lundi 30 juin 2008

Reading Virginia W. (I)


Wimbledon is a dreary, high, bleak, windy suburb, on the edge of a threadbare heath.
Virginia Woolf, 30 janvier 1915

Le matin, mais surtout dès qu’elle le peut, elle écrit : My writing now delights me solely because I love writing & don’t, honestly, care a hang what anyone says. What seas of horror one dives through in order to pick up these pearls – however they are worth it. Régulièrement elle prend le train pour le centre de Londres. Principalement pour aller s’approvisionner en livres dans une bibliothèque, après quoi elle fait quelques courses dans le West End, à Debenham’s sur Oxford street par exemple. De temps en temps elle fréquente « son » Cinema Palace, souvent seule. Ou bien elle va écouter un concert de musique classique au Queen’s Hall. Un 13 février, après un tel concert, elle note : it struck me what an odd thing it was – this little box of pure beauty set down in the middle of London streets , mais ce jour-là le bruit de papiers froissés pendant le concert l’a irritée : other people eat chocolates, & crumbled the silver paper into balls. Elle rencontre des amis dans un salon de thé. Puis elle rentre chez elle en train, qu’elle prend à Charing Cross station, et elle se hâte vers la gare, la tête dans les nuages, songeant à son Journal, ses articles ou ses romans: making up phrases & incidents to write about. Which is, I expect, the way one gets killed. Elle lit tout le temps, dans son lit ou devant sa cheminée. Elle a toujours à portée de la main books & paper & ink. Si on la sollicite pour une fête, elle choisit souvent de rester chez elle pour bouquiner. Quand il fait beau, elle se promène dans un parc. Elle est à la recherche d’un appart dans le centre de Londres, dans Bloomsbury. Elle déjeune et dîne régulièrement avec des proches. Certains parmi eux partent au front et n’en reviendront plus. Un jour elle écrit: The future is dark, which is on the whole, the best thing the future can be, I think.
Mais soudain, le 15 février 1915, le journal s’interrompt pour reprendre le 3 août 1917. Entre temps elle a sombré dans la folie, elle est violente, et des infirmières la surveillent jour et nuit. On a peur qu’elle ne s’en sorte pas. Mais peu à peu, elle remonte la pente. On lui rationne quand même papier et plume car cela l’excite trop. Quand le journal recommence, elle ne parle plus que du temps qu’il fait, de champignons, de mûres, d’arbres, de chenilles et de papillons, de prisonniers allemands qui travaillent dans les champs. Ce sont des notes brèves et sèches.

dimanche 29 juin 2008

Conte de Fées moderne

« Agnès, serais-tu bien aise d'aller au cinéma Amuse CQN de Tokyo voir Aruitemo Aruitemo le nouveau film de Hirokazu Kore-eda ?
- Je voudrais bien... je voudrais bien... » Elle pleurait si fort qu'elle ne put achever.
Sa marraine, qui était fée, lui dit : « Tu voudrais bien aller voir ce film, n'est-ce pas ?
- Hélas oui » dit Agnès en soupirant.
« Hé bien, seras-tu bonne fille ? dit sa marraine, je t'y ferai aller. Va au supermarché et apporte-moi un radis. » Sa marraine le creusa, et n'ayant laissé que l'écorce, le frappa de sa baguette, et il fut aussitôt changé en une belle fusée rouge et blanche.
« Hé bien, voilà de quoi aller au Japon, n'es-tu pas bien aise ? » lui dit sa marraine en lui recommandant instamment de ne pas dépasser minuit, l'avertissant que si elle demeurait au Japon un moment de plus, sa fusée supersonique redeviendrait radis, qu’elle resterait coincée là-bas et qu’elle raterait ainsi l’importante réunion de mardi, avec les conséquences néfastes que l’on devine.
Elle promit à sa marraine et elle décolla illico, ne se sentant pas de joie. La voici à Tokyo, à Shibuya. Le temps de faire des folies au rayon papeterie du magasin Loft, elle se précipite au cinéma pour la séance de 15h. Le film est génial comme il fallait s’y attendre... Et même, il y a la bande annonce du prochain Takeshi Kitano, Achilles to Kame (ICI).
Malheureusement en sortant du cinéma, deux petits plaisantins avaient croqué sa fusée et la voilà obligée de rester à Tokyo... sans un radis !

samedi 28 juin 2008

Consultation

Comme de vrais philosophes, chaque jour nous ferons ce qui nous semblera le plus agréable ce jour-là.

Stendhal

Le Consul parle un français sans accent d’une voix grave et distinguée. Avant d’atteindre son bureau, il faut traverser celui de sa secrétaire, puis un petit vestibule. On me fait signe de pénétrer dans cette pièce, tendue de rouge, très peu meublée. Un personnage se lève de derrière un bureau où trône le drapeau de son pays. Je ne m’attendais pas à le voir en personne. Je l’observe à la dérobée, gênée par le silence, et surtout la déférence avec laquelle ses collaborateurs lui parlent. Il doit savoir qu’il impressionne, il n’est pas froid, il est juste absent. Il se lève et me dit « C’est fait ». Peut-être s’ennuie-t-il à mourir à son poste, comme ce Consul de France à Civita Vecchia en 1831, un certain Stendhal, entre deux amours, entre deux voyages...

vendredi 27 juin 2008

Wimbledon et après?

Automne chambourcien
Hiver japonais
Printemps anglais
Eté londonien surtout

jeudi 26 juin 2008

Bouchées à la Reine

Noter, noter sans cesse, car déjà la lumière a changé, car déjà la saison a basculé, et la mémoire défaille, le détail s'est évanoui, l'électricité que l'on croyait avoir captée a disparu; la vie chatoie, elle file entre les doigts, comment faire pour la mettre dans un livre ?

Geneviève Brisac - Préface aux Journaux de Virginia Woolf

Nelson Mandela vient d’arriver à Londres pour y fêter son 90e anniversaire. Vendredi, à Hyde Park, concert géant en son honneur. A Buckingham Palace la Reine, dans une robe fleurie, accueille son vieil ami d’un : « Il fait chaud, hein ? » très familier. Indeed, Votre Majesté, c’était la canicule dans votre Royaume hier ! Vos gentils sujets ont bien souffert dans les rues embouteillées de la capitale, où des affiches annoncent partout la semaine de fêtes en l’honneur de votre distingué visiteur! Mais est-ce un crime de lèse-majesté de penser surtout au mien, dans une semaine tout juste, alors que les marmitons cordons bleu cogitent et s’agitent déjà devant leurs fourneaux?

M’enverrez-vous à la Tour si vous découvrez que j’ai dû m’arrêter en plein travail, quand la mayonnaise commençait à prendre? Nul besoin qu’une plume me caresse la plante des pieds pour avouer le plaisir des hypothèses qui s’échafaudent et des phrases qui s’agencent dans l’esprit ne demandant qu’à être couchées sur le papier à la première occasion !

Ma tête roulera-t-elle sur le billot comme celles des femmes du Roi Henri, si l’on vous dit que j’ai dû m’extraire de la préface de The Storm de Daniel Defoe sur l’ouragan qui dévasta le sud du Royaume de la Reine Anne, votre ancêtre, en novembre 1703, pour Aimez-vous Brahms? de Françoise Sagan? « lassitude », « agaceries » ... De page en page ces mots se font écho et constellent les amours contrariées de Paule et Simon. C’est un livre attachant comme l’est R. avec qui je le lis à tour de rôle à haute voix, en corrigeant son accent. Combien de pattes a-t-il ajouté à machinalement, c’était très drôle !

Mon corps sera-t-il livré aux corbeaux au gibet de Tyburn si l’on m’a vue ensuite flâner au British Museum dans un jardin chinois sans fleurs, un billet pour la future expo sur l’Empereur romain Hadrien en poche et, plus tard, emprunter dans une bibliothèque tous les Journaux intimes de Virginia Woolf après que la belle voix de Colette Fellous en a lu des extraits (ICI) ?

Je sais que vous saurez faire preuve de clémence et de magnanimité !

mercredi 25 juin 2008

En diagonale

Je suis déçue par les Lettres à Sophie Volland de Denis Diderot. La faute en revient, non à Diderot lui-même et à la qualité de ses lettres, mais à celui qui les a choisies et préfacées pour l’édition Folio Classiques. Il n’a voulu en garder que les preuves de l’attachement entre Denis et Sophie, et en a coupé toute la substantifique moelle, les débats philosophiques, les discussions sur la société de leur temps. C’était ennuyeux au possible, répétitif... et j’en ai vite eu marre. Je ne retiens de cette lecture en diagonale que deux noms de plantes sud-américaines : l’ipécacuana (d’une saveur âcre et nauséabonde) et le simarouba (de couleur laiteuse et d’un goût légèrement amer), dont la pauvre Madame Diderot avalait décoction sur décoction pour apaiser ses maux de ventre ; et ces deux définitions du bonheur auxquelles je souscris entièrement :

Un repas délicieux ; une lecture douce ; une promenade dans un lieu frais et solitaire ; une conversation où l’on ouvre son coeur, où l’on se livre à toute sa sensibilité ; une émotion forte qui amène les larmes sur le bord des paupières, qui fait palpiter le coeur, qui coupe la voix, qui ravit d’extase, soit qu’elle naisse ou du récit d’une action généreuse, ou d’un sentiment de tendresse ; de la santé, de la gaieté, de la liberté, de l’oisiveté, de l’aisance ; le voilà, le vrai bonheur. Diderot à Sophie Volland (Lettre du 2 octobre 1761)

Je vous souhaite beaucoup de plaisir, des petits déjeuners bien gais le matin, des lectures douces, des promenades agréables avant et après le dîner, des causeries tête à tête et bien tendres, à la chute du jour ou au clair de la lune, sur la terrasse. Diderot à Sophie Volland (Lettre du 30 septembre 1762)

Atomes crochus

Pendant longtemps, j’ai considéré certains écrivains et cinéastes comme des amis. Je disais (...) « mon ami Ozu a réalisé... ». Ce sont des amitiés apparemment à sens unique. Un créateur, surtout quand il a du génie, est quelqu’un qui nourrit une attente, une espérance. (...) Chacun de [leurs films] a été pour moi un signe d’amitié. Pas pour ma personne mais pour l’humanité. Alors je [leur] donne mon amitié, à [leur] insu, forcément (...). C’est peu de chose, mais ce don gratuit me rend heureux.
Eloge de l’amitié de Tahar Ben Jelloun

Et quand deux de ces « amis » s’apprécient eux-mêmes – comme le prouve cette photo de Jia Zhang ke et Hou Hsiao Hsien sur le site des Cahiers du Cinéma (ICI, puis Rendez-vous et Hervé Bazin à Shangaï, 4e photo) - ça rend doublement heureux !
Sinon, j'en parlais l'autre jour et c'est dans Le Monde aujourd'hui, comme quoi... L'hymne de l'Euro à réviser pour ce soir !

mardi 24 juin 2008

To be or not to be

Nous sommes aux portes de la City, à deux pas de la station de métro Old street. Difficile d’imaginer l’approche de ce haut lieu de la finance tel qu’il était il y a 900 ans : une vaste lande monotone où l’on menait paître un maigre bétail, quelques maisons çà et là, et c’est tout. C’est au XVIe siècle qu’il prendra le nom qu’il porte encore aujourd’hui - Bone Hill : 1000 charrettes en provenance de la cathédrale St Paul y déversent des tonnes d’os que l’on recouvre d’une fine couche de terre. Au cours des siècles le nom se transforme en Bunhill Fields. Combien de fois suis-je passée devant ses grilles sans y prêter la moindre attention ? Et puis, à la faveur d’un embouteillage, mes yeux ont été attirés par un des noms gravés sur un pilier de l’entrée : Daniel De Foe. Il a été enterré ici le 24 avril 1731. Son nom a réveillé en moi des souvenirs de fac, quand je travaillais sur son livre, Moll Flanders. Je me demande toujours ce que l’oie blanche que j’étais a pu comprendre aux tribulations de cette gourgandine du XVIIIe siècle, dans un Londres où je n’avais encore jamais mis les pieds... Quand je rouvre ce genre de bouquins, comme par exemple le très drôle The Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentleman de Laurence Sterne, je suis surprise par leur langue ardue. Nous imaginions que tout le monde parlait encore comme cela en Angleterre, et quand nous y avons débarqué, il nous était plus facile de discuter, dans une langue châtiée, des mérites des sonnets de Shakespeare que de demander l’heure à un passant !
Je suis allée me promener dans ce petit cimetière. Les tombes, la plupart entourées de grilles et inaccessibles, sont blanchies par les intempéries ou recouvertes de mousse et de feuilles mortes. Les pierres tombales penchées, semblant s’entrechoquer, leurs hauteurs variables, me font penser à des dents ! On ne peut plus lire leurs inscriptions, sauf pour quelques-unes d’entre elles dont celle d’un homme qui a trempé dans la Monmouth Rebellion de 1685, un complot pour renverser le catholique James II. Seul le nom de son juge, le cruel George Jeffreys, peut encore se lire, celle de sa victime est tombé dans l’oubli.
La tombe de Defoe est à part, près de celle de William Blake. Un pot de fleurs se fane devant la tombe du peintre et poète. Tout proche, un autre tombeau surmonté d’un gisant : celui de John Bunyan, mort en 1688, l’auteur de The Pilgrim’s Progress, le livre « le plus traduit après la Bible ». Comme cette phrase nous fascinait... ! Le fait qu’il soit malgré cela impossible de s’en procurer une copie à Tours nous plongeait dans des abîmes de perplexité !
Philip Roth parle dans un de ses romans, alors que son personnage se recueille sur la tombe de Kafka à Prague, de ceux qui visitent les tombes de grands écrivains. Pourquoi le fait-on ? Je ne veux pas m’embarquer sur une docte discussion sur le « corps de l’écrivain » et la fascination qu’il exerce sur le lecteur – en tout cas sur moi. Devant ce monument banal, presque anonyme, que j’imaginais grandiose - à la mesure du plaisir de lecture que DeFoe m’a donné et continuera de me donner - l’étudiante appliquée et curieuse que j’étais m’est revenue en mémoire. Je ne pense pas avoir changé dans le fond ! En quittant Bunhill Fields, j’ai rendu silencieusement hommage à mes extraordinaires profs de fac qui ont eu le talent de me donner le goût de tous ces écrivains, pour moi encore éternellement vivants.

Hors saison


Fleur. Est-ce une fleur?
Brume. Est-ce la brume ?
Arrivant à minuit,
S’en allant avant l’aube.
Elle est là : douceur d’un printemps éphémère.
Elle est partie : nuée du matin, nulle trace.

Po Chü-i (772-846)

lundi 23 juin 2008

De Hou Hou Hou en Ha Ha Ha


Quand le texto de C. m’a cueillie entre deux tomates et trois concombres au rayon légumes de Mark’s&Spencer’s en ce beau dimanche matin, toutes mes studieuses résolutions de la journée - que dis-je, de l’été : travailler travailler travailler – ont aussitôt fondu comme neige au soleil ! Et il était enfin revenu sur Londres, ce sacré soleil, qui sait si bien jouer à cache-cache avec nos nerfs déjà si durement éprouvés! C’est sans regret que j’ai abandonné les allées du supermarché où on s’empressait de remplir son caddie en vue du barbecue de midi. Des journées de dupes nous en avons tant connu, de celles où Sa capricieuse Majesté Soleil se décide soudain de nous fausser compagnie, car il sied mieux à sa fantasque personne de baigner de rayons brûlants une autre contrée où on n’agite pas sous son auguste nez, dès son apparition, tout un assortiment de guiboles blanches et poilues, de shorts fanés, de T-shirts Arsenal délavés, de sandales de curé portées avec chaussettes, et d’opulentes poitrines laiteuses cherchant à s’échapper de tops devenus trop étroits pour avoir tant forcé sur les fish and chips pendant l’hiver ! C’est aussi par respect pour lui que j’ai caché ma blancheur d’aspirine dans la plus jolie et sympathique des salles obscures – et je ne dis pas cela parce que le sosie de Gael Garcia Bernal vous y accueille à l’entrée (quoique...) - pour n’en émerger qu’à son coucher. Il y avait un vent à décorner les boeufs, et les odeurs de viande grillée qui flottaient dans l’air prouvaient que certains ne s’en étaient pas fait prier !
On ne peut pas dire que ce soit un mauvais film, Sympathy for the Devil de Jean-Luc Godard (1968), parce qu’on y suit quand même la création laborieuse, et par cela envoûtante, de cette chanson, par de jeunes Rolling Stones aux regards embués. La caméra capture ce work of art in progress, parcoure tout le studio – des inconnus discutent sans se rendre compte qu’une oeuvre d’art se crée à deux pas – glisse de visage en visage...et recommence. On en retiendra Mick Jagger adressant à Godard – dont on n’apercevra que l’ombre fugitive découpée sur un ampli – un « ça va » rigolard. Et aussi la tenue camaïeu rose, mauve, fuschia, glycine de Ronnie Wood (Jo Odaigiri dans Tokyo Tower lui rendait-il hommage ?), et les riffs de Keith Richard, qui apparaît en vrai patron du groupe et les Hou Hou - Hou Hou du choeur réuni sous un micro suspendu. Mais il a fallu se farcir, entre deux séquences musicales, les élucubrations ennuyeuses à crever de Godard, sur la révolution, les USA... Un étouffe-chrétien si prétentieux que oui, on en éprouverait de la sympathie pour le diable et on l’enverrait bien à ses trousses !
Le deuxième film était Shine a Light de Martin Scorcese (2008). Le début, avec un réalisateur stressé, prêt à exploser, son accent italo-américain à couper au couteau, est hilarant. Ensuite c’est un concert des Stones, où on admet à contrecoeur que l’aguicheuse Christina Aguilera a une belle voix et que Jack White III, que l’on croyait poupin et balourd, est en fait grand, beau et qu’on aimerait vérifier s’il sent le sable chaud! M. m’apprenant que le « ho ho ho » (ICI) qu’on entend dans tous les stades de football c’est justement le beau Jack - aux allures d'un Benjamin Biolay plus déjanté et moins affecté - qui l’a écrit (Seven Nation Army des White Stripes), on s’est tapé le match Espagne-Italie pour le vérifier, vouant aux gémonies le dangereux Toni de l’équipe d’Italie, criant sur tous les toits le nom de l’Espagnol Fabregas, en ponctuant chaque action dangereuse de cris d’orfraie avec C. qui imitait les simagrées de Mick Jagger sur scène, doigts tendus et démarche chaloupée à la clé. Du jardin, où, à mon grand dam, les chats restaient planqués, résistant même à l’appel des croquettes, nous parvenaient des accents de musique africaine ; de l’étage au-dessus, M. cherchait à couvrir nos éclats de rire en jouant Satisfaction sur sa guitare électrique... A aucun moment je n’ai regretté d’avoir délaissé mes chers cahiers ! Ainsi, toute ma sympathie va vers toi, chère C., et au diable études, articles et discipline de fer... !

Puisant de l’eau dans la rivière nocturne


Vive flamme pour cuire le thé à l’eau vive !
Eau profonde qu’au Rocher des Pêcheurs je puise :
Petite louche, brisant les ondes, pour remplir la cruche ;
Grande calebasse, captant la lune, pour remplir la jarre.

Une écume de neige orne les feuilles qui bouillonnent ;
Un vent de pins bruit lorsqu’on verse le chaud breuvage.
Trois tasses bues, les entrailles restent assoiffées...
Ville déserte en silence : coups longs coups brefs des veilles.


Su Shih (1035-1101)

dimanche 22 juin 2008

Fontaine de Jouvence


Petit dialogue - Espace beauté d’un grand magasin

- Bonjour, je voudrais une crème de jour s’il vous plaît...
- Nous avons celle-ci, £45.
- Et celle-ci ?
- Non, elle n’est pas pour vous, elle est pour les femmes bien plus âgées !

Elle insiste tellement que je lui demande ce qu’elle avait voulu dire par là...

Au pays d’Harry Potter, suis-je tombée sur une magicienne ? Connaissait-elle le pouvoir thérapeutique et apaisant de ses mots ? Car ils ont sur moi l’effet d’un baume magique, aussitôt hydratant, raffermissant, lissant, illuminant, régénérant... Je suis ressortie en hâte – et bredouille – de ce magasin, un large sourire aux lèvres et quelque part, très satisfaite : ce n’est pas tous les jours que l’on vous rajeunit de 15 ans !

samedi 21 juin 2008

Makoto et Mamoru sont dans un bateau

Hier soir j’ai vu 5 Centimètres par seconde de Makoto Shinkai (2007), dessin animé qui doit son nom au temps que prennent les pétales du cerisier à tomber sur le sol. Le réalisateur est présent, il a l’allure d’un adolescent. Son film est très beau, les dessins ressemblent à des photographies tant leurs détails sont stupéfiants de précision: j’ai vu et entendu mes chers corbeaux, les stridulations prolongées des cigales, j’ai traversé la gare de Shinjuku... on s’y croirait ! A la sortie, R et moi nous nous extasions sur nos progrès en japonais ! Quand je pense qu’il y a un an, en voyant ce film sans sous-titres au Cinéma Rise de Shibuya, je n’avais reconnu aucun des mots! Quelle immense satisfaction que cette sensation de progresser dans une langue apprise avec peine ! Quand des phrases émergent enfin de la bouillie informe initiale ! Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Je voudrais être à ce jour où je pourrai lire, sans trop de difficultés, un de ces petits livres de poche aux couvertures colorées que je convoite à la géante librairie Maruzen...
Aujourd’hui, c’était au tour de La Traversée du temps de Mamoru Hosoda (2006). Dans ce film d’animation, Makoto et Chiaki se rendent au Musée National de Tokyo. Le dessin est ici aussi si précis, qu’il me semble reconnaître, le coeur serré, les salles qu’ils traversent. Ils s’arrêtent devant une vitrine vide où sera bientôt exposé le parchemin que Kazuko, la tante de la jeune fille, est en train de restaurer. Soudain, j’aperçois, dans la vitrine d’à côté, à peine ébauché car ne jouant aucun rôle dans le récit – quoique...- un tableau qui représente Xuanzang, ce célèbre moine bouddhiste chinois du VIIe siècle, dont le voyage en Inde, d’où il ramène un grand nombre de textes bouddhistes, est raconté dans le roman classique Le Pèlerinage vers l'Ouest. A mon tour de traverser le temps : vers le futur car dans un mois je vais voir Monkey, une adaptation de ce pèlerinage, au Royal Opera House, mais également vers le passé : il y a 6 mois, je voyais dans ce même musée une expo qui m’a beaucoup marquée et à laquelle je pense très souvent.

Le premier jour de l’été passe inaperçu. Il fait gris, froid et pluvieux. Je me traîne, fiévreuse, enrhumée, les jambes flageolantes. Même la perspective des films japonais et chinois à gogo au BFI en juillet et août n’arrive pas à m’animer, contrairement aux films qui l’étaient, eux !

Terra Incognita

Après avoir dépassé le riant Hyde Park, et avant le célèbre Harrods, le bus a viré sur la gauche pour continuer sa route dans Sloane street vers Chelsea. Un coup de volant subtil, et me voilà, sans transition, dans un Londres aux antipodes de celui que je connais. J’aurais pu me croire, en cette journée ensoleillée, en vacances dans une station balnéaire du sud de l’Europe. L’air me paraissait lumineux, l’atmosphère langoureuse, les bâtiments élégants, les rues larges, les jardins bien tenus. Ne manquaient plus que des palmiers à cet oasis! Plusieurs terrasses de cafés, aux noms évoquant la dolce vita et le farniente, s’étalaient autour d’un square ombragé. Des habitués, bronzés, élégants, y paressaient, sirotant leur boisson avec nonchalance. Leurs vêtements chics provenaient sans doute des boutiques huppées des alentours. Je pouvais voir, à travers les vitrines, les étagères bien arrangées, les vendeurs bienveillants. Et quel calme feutré, même à cette heure de pointe ! Comme j’aurais aimé, oisive, m’attabler et commander un café bien tassé, ouvrir mon livre et, l’espace d’une journée, ne plus bouger de cet îlot de douceur raffinée !
J’ai repris le bus dans l’autre sens. Je me suis réhabituée, au fur et à mesure du trajet, au vacarme de la circulation, à la foule désordonnée se bousculant dans des magasins bon marché pour assouvir sa fringale de « nouveautés », aux papiers gras jonchant les rues. Tout me semblait criard et brouillon, inachevé et vulgaire. Je voyais des chantiers partout, les mêmes enseignes, les mêmes fast-foods. Mais comment pouvais-je vivre dans une telle ruche bourdonnante!
Au bout d’un long périple, le bus s’est enfin remis à serpenter dans les rues paisibles de mon quartier. J’ai revu son vendeur de kebab, son traiteur italien, sa superette mal achalandée, et ses trottoirs qui auraient bien besoin d’un coup de balai. Je ne regrettais plus l'Eden entrevu le matin-même. En fait, ces deux univers ne sont pas si éloignés que ça, même si ici de quels trésors d’imagination il faut faire preuve pour voir la vie du bon côté et se créer un havre de paix où l’on se sente heureux !

vendredi 20 juin 2008

Hit Parade


Inspiré par Lost song de J. Seban - Les Inrockuptibles 13.03.07

Il y a les chansons qui font du bien parce qu’on les a entendues mille fois, qu’on les connaît comme un meilleur ami.

Des attractions désastres d’Etienne Daho – donne envie de faire des cabrioles et de se trémousser; Fool’s Overture de Supertramp - mon vrai premier disque, il coûtait 500 pesetas.

Il y a les chansons qui font du bien parce qu’on les a entendues mille fois et qu’on ne les connaît toujours pas assez, qu’on en tombe encore amoureux. Celles-ci sont rares et, souvent, ce sont des chansons qu’on emmènerait sur une île déserte.

Les chansons de Manolo Garcia – même après les avoir recopiées à la main, elles me surprennent encore ; celles de Jean-Louis Murat ou de Bruce Springsteen.

Il y a les chansons qui font du bien parce qu’elles font du mal – que celui qui n’a jamais pris plaisir à écouter en boucle la chanson la plus triste du monde quitte la salle.

Encore une fois de Gilbert Bécaud – « Et puis d’un coup tu arrives, tout d’un coup c’est bon de vivre » déclenche les grandes eaux, mais pas de tristesse.

Tokyo ni mo atta n’da de Fukuyama Masaharu – chanson d’un film qui fait pleurer dans les chaumières. Fait du bien car elle évoque pour moi de merveilleuses vacances, un cinéma près de Higashi-Ginza, et fait du mal parce que je suis toujours entre deux voyages là-bas.

Il y a les chansons qui du bien parce que, quand elles s’arrêtent, quelqu’un dit « ça fait du bien quand ça s’arrête ».

Toutes les chansons de Camille, qui me sortent par les yeux et me hérissent !

Il y a les chansons qui faisaient du bien et qui ne font plus rien.

Ma plus belle histoire d’amour de Barbara et les chansons de Daniel Lanois, Tom Petty, Tim Buckley (mais ça reviendra peut-être), Marc Almond, Pet Shop Boys... la liste est longue.

Il y a les chansons qui faisaient du bien et qui font bizarre parce qu’elles n’existent plus qu’associées à de vieux souvenirs.

Les chansons de Jeff Buckley... mais je sens qu'un retour en grâce est proche

Et puis il y a ces chansons qui ne faisaient pas grand-chose, et qu’on découvre magnifiées par un contexte inattendu. Une semaine sur un bateau, le vent pour unique bande-son, puis ce café pris au port, et ce titre entendu mille fois qui soudain bouleverse nos oreilles redevenues à moitié vierges. Deux semaines dans le désert, retour à l’aéroport, une mélodie des plus banales qui vient émouvoir dans le taxi, on rentre à la maison.

Satisfy my Soul de Bob Marley – Balade dans Akazaka au Toyokawa Inari et ses dizaines de statues de renards. Un omikuji qui prédit la meilleure des fortunes possibles. Un café ouvert et Bob Marley en boucle. Oreille distraite jusqu’à cette chanson: jamais je n’ai autant compris ce qu’« avoir l’âme satisfaite » voulait dire...

jeudi 19 juin 2008

Envies érémitiques


Si j’avais une demeure de l’autre côté des monts de Miyoshino,
je pourrais m’y réfugier lorsque le temps est à la tristesse.

Kokin Waka-shû
Anthologie impériale de poèmes anciens et modernes (905)


Cette semaine, sur mon agenda, dans toutes les cases, sont inscrits des horaires de réunions et de rencontres diverses. Certaines très agréables, et je les attends avec impatience, mais d’autres qui promettent de me plonger dans un ennui insondable.
Je chasse ces idées noires en pensant au poète Bashō. En 1691, il fait un nouveau séjour à Sagano, dans l’ouest de Kyoto, au pied du Mt Ogura, derrière Hinoyashiro. Il visite son disciple Kyorai dans son ermitage au toit de chaume, le Rakushisha – j’aime son nom en anglais : The Hut of Fallen Persimmons. A travers le feuillage de cet arbre aux kakis, il aperçoit le Mt Arashiyama (le Mont des Tempêtes). Il tient son Journal : le « Saga Nikki ». J’imagine sa vie là-bas : il visite les temples du coin, il se promène en barque, il écrit des haïkus avec des amis de passage, il bouquine : il a apporté avec lui les poèmes du Chinois Bai Juyi et surtout Le Dit du Genji.
Il se dit que Murasaki Shikibu a commencé son écriture en août 1004, au temple Ishiyama, sur les rives du Lac Biwa. 1004 ans plus tard, je vais moi aussi me mettre à lire ce livre. J’aimerais le faire comme Bashō, dès maintenant, sur la terrasse du Rakushisha, un verre d’eau fraîche citronnée à portée de la main, et qu’au lieu de ces fâcheux que je vais devoir me coltiner cette semaine, avoir des réunions quotidiennes avec l’Empereur du pot aux Paulownias, la Dame des Mauves, la Dame du Grémil, la Dame du Séjour où fleurs au vent se dispersent, et surtout badiner moi aussi, comme certaines d’entre elles, avec le beau Prince Brillant !

mardi 17 juin 2008

Parade


Certains endroits sont des aimants et vous êtes attiré vers eux si vous marchez dans leurs parages. Et cela de manière imperceptible, sans même vous en douter. Il suffit d’une rue en pente, d’un trottoir ensoleillé ou bien d’un trottoir à l’ombre. Ou bien d’une averse. Et cela vous amène là, au point précis où vous deviez échouer.

Dans le café de la jeunesse perdue de Patrick Modiano

Un village haut perché. Dédale de ruelles jalonnées d’échoppes et d’estaminets aux enseignes rouges. Chapeaux chinois, ombrelles, éventails, paniers d’osier, poteries en terre cuite. Mélodies sirupeuses s’échappant de radios crachotantes sans âge. Escaliers escarpés, murs décrépis, senteurs de nourriture.
Voix décidée : « Entrons-là, buvons du thé » « Votre thé est-il bien fumé au charbon ? C’est rare d’en trouver aujourd’hui ! » « Vos graines de pastèques sont-elles bonnes ? » Patronnes goguenardes : « La preuve, vous en mangez ! » Carte couverte de caractères chinois : il choisit le thé d'un oeil exercé.
A l’étage : fenêtres ajourées surplombant une baie, collines boisées, mer pour tout horizon. Atmosphère paisible, bleutée, en harmonie avec les feuilles du qing cha, le thé bleu-vert. Wu Long-Dragon Noir: goût subtil, saveurs de châtaigne, de miel, notes boisées, florales rosées, fruitées, réglissées
Mobilier robuste et précieux: banquettes en orme, chaises en catalpa, paravents ciselés en bois de santal, rideaux de perles. Elégance rustique : bruns foncés, pourpres sombres, reflets laqués chatoyants. Vasques de bronze, plantes vertes, grandes fleurs rouges. Mélopée traditionnelle, lampion qui se balance mollement. Clients épars et discrets, nuées de vapeur et de cigarette flottant au dessus des têtes penchées
Sur les tables : chapan (plateau à lattes pour que l'eau s'écoule), chahu (petite théière noire de Yixing, retenant chaleur et parfums) posée sur le chachuan (bateau à thé en terre cuite), chabei (gobelets), chahai (pichet à arômes où l’on verse le thé infusé)
Il ébouillante la théière et puise le thé dans la boîte : effluves odorantes des feuilles sèches dans la théière qui baigne dans l’eau chaude. Il verse de l'eau bouillante dans la théière qui déborde, puis vide celle-ci dans les gobelets. D'un geste machinal mais habile, rompu aux règles du Gongfu ou « l'art d'agir avec application », il verse le contenu des gobelets sur la théière et empoigne prestement la zhushuiqi, la bouilloire, qui chante sur le réchaud à charbon. L’eau est à la température désirée: il le sait à son chuintement et aux bulles en « oeil de poisson »
Légers cercles de la main qui verse: feuilles de thé équitablement imprégnées. L’eau dégouline de la théière dans le chachuan, et du chachuan ruisselle dans le chapan. Il remet le couvercle de la petite théière en place. Quelques secondes d’attente et la goutte qui perlait au bec de la théière disparaît: le thé est infusé. Il en met un peu dans le wenxiangbei, tasse haute et étroite, pour le humer et le goûter. Hochement de tête et esquisse d’un sourire, signes d’appréciation. Il verse le thé dans le pichet à arômes et le sert enfin dans les gobelets, avec adresse, jusqu’à vider la petite théière entièrement.
Quant à moi je ne désire « ni coupes d'or, ni même gobelets de jade blanc, ni la lumière de l'aube dans les plaines, ni le soleil du soir derrière les monts. Mais ce que je désire et désire et désire » c’est d’échouer dans cette maison de thé de Ziao Fen, sur l’île de Taïwan, et qu'il soit là.

dimanche 15 juin 2008

Kanegon vs. Harpagon

Eugénie Grandet m'accompagnait à Tokyo. Chaque mot me confirmait combien j’avais du mal à supporter les grippe-sous. Mentionnent-ils un nouvel achat? c’est pour mieux en donner le prix; déjeuner en leur compagnie est un calvaire: la moindre gargote leur est encore trop chère et l’on passe plus de temps à comparer les prix qu’autour d’une table; il faut qu’ils soient sûrs à l’avance du plaisir qu’ils prendront à une expo ou un film, car ils regretteraient amèrement d’avoir déboursé quelques espèces sonnantes et trébuchantes en vain. Sans mener une vie de panier percé, je pense qu'il y a un juste milieu. Au diable les Pères Grandet! Je me faisais ces réflexions quand, au Mori Museum de Roppongi, j’ai vu l’expo Ultraman (ici). La minutieuse description de chaque monstre, sa biographie aussi détaillée qu'amusante, m’ont semblé dignes de la plume de Balzac ! Loin de m’effrayer, celui qui m’a le plus fait rire c’est Kanegon. A ses pieds le petit carton nous précise que « sa bouche est un porte-monnaie ».

Kaneo Kaneda (Kane en japonais signifie argent), un jeune garçon avide, découvre un petit cocon. En le secouant, il entend comme un bruit de pièces. Ses parents le mettent en garde contre Kanegon, un monstre qui dévore l’argent. Mais Kaneo s’en moque tandis que le cocon se met à gonfler. Imaginant les richesses qui se cachent à l’intérieur, il y glisse la main et le cocon l’avale ! Le voilà transformé en Kanegon. Il doit à tout prix se gaver d’argent sinon il mourra. Tout se corse quand il se dirige vers la banque pour un festin. A la fin de l’aventure, Kanegon retourne comme une fusée dans l’espace relâchant Kaneo qui, rentrant tout joyeux chez lui, s’aperçoit que ses parents sont devenus des Kanegon !

C’est la première fois que je n’ai pas grommelé, comme le valet La Flèche dans L’Avare de Molière: « Peste soit de l’avarice et des avaricieux » !

samedi 14 juin 2008

Spécialité: Fricassée de poulets!

Bling Bling!


Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur,
Ce monde rayonnant de métal et de pierre
Me ravit en extase, et j'aime à la fureur
Les choses où le son se mêle à la lumière.

Les Bijoux de Charles Baudelaire

Quand j’avais une dizaine d’années, ma mère m’avait ramené de Málaga un collier fait d’une lanière de cuir à laquelle pendait un petit citron. A mon immense consternation, le soir-même, je l’avais perdu. De la peine de ce collier disparu a dû naître mon attachement, ma passion, pour les bijoux de pacotille, les colifichets, la verroterie.

Si je n’aime pas trop les bracelets, j’adore les boucles d’oreille, je chéris les colliers, je vénère les bagues... J’en ramène de partout. On m’en ramène aussi des quatre coins du monde. Je me souviens de ces grosses boucles d’oreille espagnoles en bois, achetées par grappes entières au mercado du village : elles avaient la forme de gros poissons multicolores, de fraises, d’ananas, de pommes, de figues de Barbarie. Je n’oserais plus les porter !

Dans mon coffret à bijoux vous trouverez ce collier blanc d’Odaiba, qui fait sensation quand je le porte, acheté le même jour que la bague en verre de Roppongi. Le collier mauve d’Ikebukuro qui va si bien avec ma toute nouvelle bague rose de Dalston. Les boucles d’oreille en petites perles turquoise de New York qui s’accordent parfaitement à la bague à boules bleues de Grenade. J’ai une jolie bague en forme d'arum dénichée devant le palais de L’Escurial, et de nouvelles boucles parisiennes: des grues japonaises miniatures en papier mâché qui dorment encore dans leur écrin orange. Des boucles d'oreille de Singapour, du Vietnam, de Malaisie, et de Chine. Un collier vermillon découvert dans le métro madrilène. Je ne suis pas de celles qui ne portent qu’un discret pendentif ou une paire de brillants bien sages aux oreilles.
J’attends l’occasion de porter à mon doigt la bague oiseau bleu pâle qui m’attendait à la boutique Les Fleurs mercredi.

vendredi 13 juin 2008

Conseils du Parnasse

Âme rieuse que je vis passer sans hâte
Sous ce balcon azuré où la gloire un jour me plaça,
Permettez qu’une pauvre statue un peu ne gâte
Votre plaisir d’écrire, et votre enthousiasme ne glaça.
De mon Art Poétique, suivez les conseils,
De mon Olympe d’éther je vous apporte mon appui.
Comme les Muses d’antan la couronne vermeille
Vous ceindrez bientôt... si vous commencez aujourd’hui!

C'est en vain qu'au Parnasse un téméraire auteur
Pense de l'art des vers atteindre la hauteur.
S'il ne sent point du Ciel l'influence secrète,
Si son astre en naissant ne l'a formé poète,
Dans son génie étroit il est toujours captif ;
Pour lui Phébus est sourd, et Pégase est rétif.

Un auteur quelquefois, trop plein de son objet,
Jamais sans l'épuiser n'abandonne un sujet.
S'il rencontre un palais, il m'en dépeint la face ;
Il me promène après de terrasse en terrasse ;
Ici s'offre un perron ; là règne un corridor ;
Là ce balcon s'enferme en un balustre d'or.
Il compte des plafonds les ronds et les ovales ;
« Ce ne sont que festons, ce ne sont qu'astragales. »
Je saute vingt feuillets pour en trouver la fin,
Et je me sauve à peine au travers du jardin.
Fuyez de ces auteurs l'abondance stérile,
Et ne vous chargez point d'un détail inutile.
Tout ce qu'on dit de trop est fade et rebutant ;
L'esprit rassasié le rejette à l'instant.
Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire.


Chantez Flore, les champs, Pomone, les vergers ;
Au combat de la flûte animez deux bergers ;
Des plaisirs de l'amour vantez la douce amorce ;
Changez Narcisse en fleur, couvrez Daphné d'écorce.

Il n'est point de serpent, ni de monstre odieux,
Qui, par l'art imité, ne puisse plaire aux yeux ;
D'un pinceau délicat l'artifice agréable
Du plus affreux objet fait un objet aimable.

jeudi 12 juin 2008

Paris (II) - Toucher, sentir, voir, goûter, entendre : exister

La couleur argent d’un exquis macaron à la fleur de jasmin, moelleux et fondant
un thé glacé à la menthe et du café noir brûlant
la poussière que soulèvent les enfants turbulents du square Antoine Vollon, leurs hurlements de joie à la sortie de l’école
les fontaines rafraîchissantes du Palais Royal, les Amours grassouillets couverts de duvet de pigeon, les chandeliers éteints de la Comédie-Française
le brouhaha de l’ancienne salle de lecture, Bibliothèque Nationale de France, où une centaine de femmes récitent, chantent, pleurent, crient, ou murmurent le même texte
la voix de stentor de l’irritante guide, qui se contente de lire les légendes des Daumier
celles de Jean-Louis Murat et de Jeanne Moreau, un rien décalées, qui nous font frissonner
les bijoux et les carnets bariolés d’une petite boutique originale, la voix pointue de sa propriétaire légèrement prétentieuse
la nôtre qui répète, pour ne pas les oublier, des mots évocateurs tels que piriforme, saute-ruisseau, Ratapoil et le « Pourquoi renoncer à ce qui était préférable ? » de l’actrice au timbre rauque et sensuel
les reflets des verres de lampe émeraude et ceux qui dansent sur la feuille qu’elle tient devant elle
le marron vieilli, strié, des pupitres de bois, les étagères vides et poussiéreuses, leurs étiquettes inutiles qui rendent nostalgique
les ors fanés, les bronzes dépolis, les fresques champêtres, les lucarnes qui les éclairent
le passage d’un nuage qui assombrit de temps à autre la salle
le noir et blanc des colonnes Buren
les murs décrépis des colonnades, les inscriptions gravées dans le grès qui rappellent chacune une histoire tragique
l’or étincelant de la façade de l’Opéra
l’encre décolorée de la signature de Victor Hugo
le papier doux et glissant des recueils de poésies chinoises
un restaurant animé à l’endroit funeste où Henri IV poussa son dernier soupir
le roulement de la rame de métro qui s’approche et le cliquetis d’une clé qui tourne dans une serrure de retour au bercail

Paris (I) - Dépaysement

Matsushima ah, Matsushima!
Ah, Matsushima, ah!
Matsushima, ah!

Bashô, émerveillé par la beauté des 260 îles de la baie de Matsushima

Dès que l’on débouche du tunnel sous la Manche, les paysages changent – ou du moins on veut bien s’en persuader. La vitre de l’Eurostar - cette chambre magique qui se charge d’opérer la transmutation autour d’elle pour paraphraser Proust - découpe les cases d’une bande dessinée, qu’assise le dos au sens de la marche, je lis comme un manga. De loin en loin, la petite ferme et son tracteur, le village blotti contre son clocher, le bosquet isolé au milieu d’un vallon, la rivière qui serpente, me rassurent que je suis bien en France, cette doulce France pittoresque que l’on se forge quand on en vit loin. Je pourrais être ailleurs sur le territoire, à une autre époque même, plus ou moins lointaine. L’espace d’un instant, au détour de ce chemin creux que j’aperçois à l’horizon, l’imposante silhouette de François 1er à la poursuite d’un pauvre cerf, le fin destrier de D’Artagnan allant arrêter Nicolas Fouquet, le carrosse doré de Louis XIV en partance pour la guerre, pourraient surgir, sans que cela ne me plonge dans la moindre perplexité ! Mais, bien vite, ces vignettes s’estompent et nous revoilà catapultés dans le présent. On se remet à somnoler, à tirer des plans sur la comète en imaginant notre futur itinéraire dans un Paris bien contemporain où, contrairement au temps de Philippe-Auguste, nous ne risquerons pas de nous recevoir un pot de chambre sur la tête, même Passage de La Bonne Graine...
Mais... comment ne pas se remettre à rêver quand, au sortir du Métro Odéon, on se heurte au frais minois de Diderot ? A partir de là, et malgré tous nos efforts, nous n’avons cessé de chanter sur tous les tons : Paris ah, Paris ! / Ah, Paris, ah ! / Paris Ah !

mercredi 11 juin 2008

Ces chers corbeaux délicieux

'Fair, fair,' cry the ospreys
On the island in the river.
Lovely is this noble lady,
Fit bride for our lord.

Premier poème du Livre des Odes (le Shi Jing) que le vieux professeur Chen Zuiliang tente vainement d’inculquer à Du Liniang au début du Pavillon aux Pivoines. En chinois les premiers mots sont Guan ! Guan ! Peut-être est-ce le cri des balbuzards pêcheurs à la parade amoureuse « spectaculaire » selon cet article ? En Bourgogne, selon Buffon, on les appellerait les corbeaux pêcheurs. Cela me fait plaisir parce que...

Parmi toute la gent ailée, j’ai un faible pour les corbeaux couleur encre de Chine, les corneilles et autres choucas. Ces derniers surtout, depuis que je sais qu’en tchèque ce mot se prononce kavka - d’où l’enseigne du magasin du père de Franz Kafka à Prague, et le nom du personnage dans Kafka sur le rivage d’Haruki Murakami. J’aime le bec noir de ce « disgracieux volatile » (E.A. Poe), ses plumes d’ébène lustrées, son cri - ce croassement « sévère » (Rimbaud) que certains s’imaginent de mauvais augure – et son manque de grâce, sa brusquerie, tout à fait assumés. A Londres il est rare de rencontrer ces noirs habitants de l'air (Buffon), mais dimanche dernier j’ai pu en observer un qui fourrageait, solitaire, parmi les herbes d’un petit espace vert, en face du café où je déjeunais. Auparavant, pendant que je corrigeais des copies dans une maison du coin, je l’entendais s’époumoner, et son cri rauque se répercutait dans tout le quartier. A Tokyo je suis servie, il y en a partout, au grand dam des Japonais d’ailleurs. A mon arrivée, le premier que j’entends me transporte de joie car sans le savoir il me souhaite la bienvenue. Au temple Nezu, celui de la photo, peu farouche, se gobergeait des offrandes d’un petit autel. Je serais restée des heures à le regarder, sans m’en lasser. Dans l’immense jardin sauvage du Shizen Kyoiku-en à Meguro, certains voletaient d’arbre en arbre, se passant le mot, comme s’ils cherchaient à me barrer le passage, perchés sur une branche au dessus du sentier escarpé. Un de leurs frangins à l’ Hamarikyu Onshi Teien, semblait avoir attendu mon retour, à deux ans de distance, niché dans le même arbre, au détour du chemin qui mène à l’embarcadère du bateau pour Asakusa. J’aimerais recenser pour vous tous ces « corbeaux délicieux » (Rimbaud) rencontrés au hasard de mes flâneries japonaises, mais... je vous vois bâiller aux corneilles... je ne vous en ferai donc pas tout un fromage!

mardi 10 juin 2008

Comme le loup blanc


Il fait beau et il fait chaud, comme le prouve le petit thermomètre à gauche de cet écran. On improvise un barbecue et on s’installe dehors où nous parvient le cliquetis des couverts dans les jardins des maisons voisines. Un lundi soir comme un dimanche en bord de mer en Provence... On n’en finit pas de contempler le ciel bleu et de s’étonner de ce soleil qui ne veut pas aller se coucher. C’est si inattendu, qu’on emporte malgré tout son imperméable, au cas où il pleuvrait en sortant du cinéma...
Peccadilles si l’on considère la vie de Gengis Khan dans Mongol, le film de Serguei Bodrov. Des paysages magnifiques, des collines à perte de vue, mais où il semble impossible de se cacher ! De chevauchées fantastiques, en batailles féroces, avec jaillissement de gerbes de sang en technicolor, le film nous ennuie, nous agace, et finit par nous faire rire. Même si je n’y avais compris un traître mot, The Blue Wolf : To the Ends of the Earth and Sea de Shinichiro Sawai, vu en japonais sans sous-titres à Tokyo en 2007, m’en avait appris bien plus que le film d’hier soir. Mais bon, en lot de consolation, il y avait le bel Asano Tadanobu, dans le rôle du véloce loup des steppes. C’est dommage que pour les besoins du scénario, il passe la moitié du temps derrière les barreaux d’une cage, le visage parcheminé de crasse, croquant des pigeons vivants à pleines dents, et l’autre à courir par monts et par vaux, vêtu de peaux de bêtes et d’un bonnet de poil - avec toutefois un joli collier à boules de métal très Chanel ! C’est seulement quand ce guerrier se repose qu’on peut admirer enfin celui pour qui Roland Barthes semble avoir écrit le texte « La paupière » dans L’empire des signes : « on dirait l’empreinte découpée d’une feuille, la trace couchée d’une virgule peinte ».
Encore une journée caniculaire avant l’escapade parisienne de demain et la chance d’apercevoir un petit bout de la Tour Eiffel – j’aimerais qu’un réalisateur japonais tourne sa version des Quatre cents coups, et joue à cache-cache avec la Tokyo Tower ci-dessus, comme dans le générique du film de Truffaut !

lundi 9 juin 2008

Recette

Prenez un chat pour le générique

Des Caryatides et des Atlantes

Et un poème de Baudelaire pour accompagner leurs images:

Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière.


Vous aurez tout sous la main pour faire un remake de Les dites Caryatides d’Agnès Varda !