vendredi 30 avril 2010

Cygne de bonheur

Le petit diable qui séjourne dans ma tête a fini par rentrer dans sa (cor)niche. Mais il a bien fait monter la mayonnaise encore une fois. Ça semble l’amuser de semer le trouble dans ma tête, cet infernal galopin. Il y réussit pas mal. Il sait que bientôt il n’aura plus droit de cité, alors il en profite, il brille de ses derniers feux, c’est son chant du cygne.Mais ce matin je sens que la pression de la semaine retombe, que tout s’éclaire et devient plus léger. Même l’Himalaya de corrections qui m’attend me semble « escaladable » en une seule journée. Pourvu qu’il fasse aussi beau et doux demain, pour aller bouquiner devant les cygnes de Hyde Park !
Alors bien sûr, il n’apprécie pas trop que je m’émancipe, que j’échappe à ses griffes, il fait les cents pas sur le chemin de ronde en guettant mon retour, le diable dans ma tête, il enrage du haut de sa tour en attendant que je le libère. Je me demande si je ne devrais pas lancer, une bonne fois pour toute, la clé de sa prison dans la Serpentine River de Hyde Park - en essayant de ne pas éborgner un cygne de Sa Gracieuse Majesté, of course !

jeudi 29 avril 2010

A new lease of life

Mais c'est le soir surtout qu'il faut voir Londres! Londres, aux magiques clartés de millions de lampes qu'alimente le gaz, est resplendissant! — Ses rues larges, qui se prolongent à l'infini; ses boutiques, où des flots de lumière font briller de mille couleurs la multitude des chefs d'œuvre que l'industrie humaine enfante; ce monde d'hommes et de femmes qui passent et repassent autour de vous : tout cela produit, la première fois, un effet enivrant ! — Tandis que, le jour, la beauté des trottoirs, le nombre et l'élégance des squares, les grilles d'un style sévère, qui semblent isoler de la foule le foyer domestique, l'étendue immense des parcs, les courbes heureuses qui les dessinent, la beauté des arbres; la multitude d'équipages superbes, attelés de magnifiques chevaux, qui en parcourent les routes, toutes ces splendides réalisations ont quelque chose de féerie dont le jugement est ébloui...
Promenades dans Londres de Flora Tristan (1840)
J’ai coupé net la citation ci-dessus car, avec Flora Tristan, la grand-mère de Paul Gauguin, ça se gâte très vite ! En septembre s’ouvrira l’expo Gauguin, à la Tate Modern. Je compte baser des cours sur cet artiste et je me suis mise à lire sa biographie. Je ne sais pas comment elle a atterri chez moi. Elle date des années 1960. Elle a cette odeur caractéristique des vieux livres de poche. Je ne connaissais presque rien sur la vie de Gauguin si ce n’est l’épisode Van Gogh et qu’il avait vécu aux Marquises.
Aujourd’hui je vais bien, l’horizon s’élargit. Je peux envisager mon été, mon automne avec Gauguin et Le Livre des Morts égyptien au British Museum... Je dis « aujourd’hui » parce que depuis un mois je m’inquiétais bêtement pour un truc bête qui m’empêchait de me laisser aller et rire de bon coeur. J’avais du mal à faire des projets, je ne voyais pas au delà du mois de mai. Mais, depuis ce matin, je n’ai plus aucune inquiétude... Je me sens revivre ! Alors je ne sais pas ce que Flora Tristan penserait du Londres d’aujourd’hui, à une semaine des General Elections, sous ce soleil éclatant, ce qu’elle pourrait en écrire de sa plume acerbe, mais moi je m’y sens très bien !

mercredi 28 avril 2010

Indécise

Comme je déteste l’indécision... Parfois (très rarement), comme hier, j’ai l’impression que ma tête, mes bras, mes jambes partent dans des directions différentes. Je suis écartelée entre plusieurs envies, et pour ne plus aimer une chose, je n’aime plus rien. C'est une sorte d'ennui à l’envers. Une déprime pleine d’énergie. Le cerveau est en surchauffe car le reste du corps serait prêt à obéir au quart de tour à l'envie qui se dégagerait du lot.
J’aurais pu visiter, comme j'en avais envie, le Fitzwilliam Museum à Cambridge et me balader sur les rives de la River Cam ; prendre le soleil sur une plage de Brighton ; lire The Mysteries of Udolpho sur un banc de St James’ Park en gardant un oeil sur les cygnes et les corbeaux ; voir un documentaire sur la danse dans un cinéma de Mayfair ; méditer sur le sort de l’Amiral Nelson au Maritime Museum à Greenwich ; revoir Diana and Acteon ainsi que Bacchus et Ariadne du Titien à la National Gallery ; aller au Globe pour une représentation de Macbeth... Mais il m’était impossible de choisir. Quand je pense que je vais devoir voter la semaine prochaine : ça promet !

mardi 27 avril 2010

Si les murs pouvaient parler à défaut d’avoir des oreilles...

Hier j’ai mentionné le nom de l’architecte Jacques Ier Androuet du Cerceau (1520-1586), auteur d’une somme inestimable pour l’architecture Renaissance en France : Les plus excellents bâtiments de France. C’est grâce à son petit-fils, Salomon de Brosse, architecte de la façade de l’église Saint-Gervais Saint-Protais, cise aujourd’hui rue de Brosse comme il se doit, que j’ai appris son existence. Les tribulations de cette église à travers l’histoire m’avaient intriguée sur le papier, c’est donc l’une des premières choses que j’ai visitées en mars dans le Marais. On peut voir sur cette photo que le petit-fils ne s’est pas inspiré des colonnes salomoniques mises au goût du jour par son grand-père en son temps. A cet endroit, au IVe siècle, s’élevait une chapelle, pillée ensuite par les Normands. L’église que l’on voit a été commencée en 1494 et sa construction durera 163 ans ! C’est le chouette Louis XIII qui posa la première pierre de la nouvelle façade en juillet 1616. En 1660, la future Madame de Maintenon y enterre son mari, le poète satiriste Scarron connu pour ses difformités. Il se décrivit lui-même ainsi : « Mes jambes et mes cuisses ont fait premièrement un angle obtus, et puis un angle égal, et enfin un aigu. Mes cuisses et mon corps en font un autre et, ma tête se penchant sur mon estomac, je ne représente pas mal un Z. J’ai les bras raccourcis aussi bien que les jambes, et les doigts aussi bien que les bras. Enfin, je suis un raccourci de la misère humaine. » La Chapelle Scarron n’existe plus, remplacée par celle qui commémore les 200 victimes d’un obus de la Grosse Bertha, qui tomba sur l’église le 29 mars 1918. Mais rien ne nous empêche de réciter tout bas l’épitaphe du spirituel Scarron : Celui qui cy maintenant dort/Fit plus de pitié que d'envie,/Et souffrit mille fois la mort /Avant que de perdre la vie. /Passant, ne fais ici de bruit /Garde bien que tu ne l'éveilles : /Car voici la première nuit /Que le pauvre Scarron sommeille.Une autre chose qui me plaisait, c’est d’imaginer le mariage de Marie de Rabutin-Chantal, 18 ans, à Henri de Sévigné, le 4 août 1644 à 2h du matin, comme il était de mise dans la noblesse. Plus tard, en 1793, on la profane, on essaye de la détruire, et faute de le pouvoir elle devient « Temple de la Jeunesse ». On dit que son clocher porte les traces des balles des autres révolutions qui ont secoué la France : 1830, 1848, 1871. Et l’on peut toujours voir l’exemplaire unique à Paris d’un orgue du XVIIe siècle, sur lequel joua toute la famille Couperin dont le célèbre François dit « Couperin le Grand », organiste de Louis XIV à Versailles.Le peintre Philippe de Champaigne lui aussi possédait une chapelle ici, où il fut enterré en 1674, et je n’ai pas été surprise de voir au Louvre le tableau ci-dessus Translation des corps de Saint Gervais et de Saint Protais (1661) (on voit leurs statues sur la façade) dont les marguilliers de l’église (laïcs chargés de l’administration des biens d’une paroisse) lui passèrent commande. J’étais en vieille connaissance!
Mais celui qui avait vraiment piqué mon imagination, c’est le mausolée à Michel Le Tellier, chancelier de France, et père de Louvois, dont Bossuet vint faire l’éloge funèbre en 1685, éloge qui termine ainsi: Surtout, mortels, désabusez-vous de la pensée dont vous vous flattez, qu'après une longue vie, la mort vous sera plus douce et plus facile. Ce ne sont pas les années, c'est une longue préparation qui vous donnera de l'assurance. Autrement un philosophe vous dira en vain que vous devez être rassasiés d'années et de jours, et que vous avez assez vu les saisons se renouveler, et le monde rouler autour de vous ; ou plutôt, que vous vous êtes assez vus rouler vous-mêmes et passer avec le monde. La dernière heure n'en sera pas moins insupportable, et l'habitude de vivre ne fera qu'en accroître le désir. C'est de saintes méditations, c'est de bonnes œuvres, c'est ces véritables richesses, que vous enverrez devant vous au siècle futur, qui vous inspireront de la force ; et c'est par ce moyen que vous affermirez votre courage. Le vertueux Michel le Tellier vous en a donné l'exemple : la sagesse, la fidélité, la justice , la modestie, la prévoyance, la piété ; toute la troupe sacrée des vertus, qui veillaient pour ainsi dire autour de lui, en ont banni les frayeurs, et ont fait du jour de sa mort le plus beau, le plus triomphant, le plus heureux jour de sa vie. A l’idée que la voix de Bossuet a retenti dans cette église, je me pâme ! Jacques-Bénigne Bossuet, « l'Aigle de Meaux » en personne, à tu et à toi avec Louis XIV, vous vous rendez compte!? Quelle était la couleur de sa voix ? Une dernière chose qui m’intriguait, outre les vitraux de Robert Pinaigrier, le plus célèbre maître verrier du XVIe siècle et tourangeau de surcroît, c’était le fameux Orme de Saint-Gervais, l’ourmeciau, comme on disait au Moyen Age, et dont on voit un portrait au musée Carnavalet...
...dont voici le piteux état actuel. C’est l’unique chose pour laquelle je peux dire que j’ai été déçue du voyage. Pour le reste, j’étais aux anges !

lundi 26 avril 2010

Colonnes à la une

Une fois qu’on a remarqué les colonnes torses dites « de Salomon » ou « salomoniques », on ne voit plus qu’elles partout. C’est en allant à la belle expo sur Jacques Androuet du Cerceau (ici) que j’ai enfin pu mettre un nom sur ces « petites colonnes torses ». Il en dessine dans ses XXV exempla arcuum (1549). Sur le site du musée du Louvre on peut lire que : « la colonne torse est la première imitation dans l'architecture française des colonnes antiques de Saint-Pierre de Rome, qu'on croyait provenir du temple de Jérusalem (construit par Salomon). La colonne "salomonique" avait été popularisée par Raphaël dans La Guérison du paralytique, composition largement diffusée par la gravure. L'emploi de colonne dans l'art funéraire est une pratique de l'Antiquité. »En passant près du carditaphe (monument du coeur) du Connétable Anne de Montmorency au Louvre (ici) qui s’élevait après 1571 dans l’église des Célestins près de celui de Henri II, j’ai reconnu un exemple de colonne salomonique. Je n’étais pas peu fière !Après j’en ai vu partout, jusque dans une rivière du Hampshire...
Je devrais peut-être changer de lunettes?

dimanche 25 avril 2010

Le temps qu'il fait

Comme j’écoute les infos sur une chaîne de radio française, il m’arrive souvent d’appliquer les prévisions météorologiques qu’on y donne pour Paris, à la capitale anglaise. Si je vois le soleil par ma fenêtre et que de l’autre côté de la Manche on annonce des orages, je vais prendre mon parapluie. S’il pleut à Londres et que le soleil brille à Paris, j’hésite à glisser cet encombrant accessoire dans mon sac.C’est ainsi que l’Angleterre et la France cohabitent en moi, vivent ensemble, se chevauchent, se combattent, et se réconcilient. Mais le médiateur entre ces deux rivaux légendaires, le coin glissé pour éviter qu’ils ne s’emboîtent parfaitement, c’est le Maroc. Dans mon esprit, le ciel du Maroc reste immuablement au beau fixe - même si je me souviens des jours de pluie à Casablanca et d’Ifrane sous la neige. C’est le vrai temps idéal, vers lequel il faut toujours tendre. Alors qu’il pleuve ou qu’il vente au dessus de ma tête, m’importe en fait peu.
Aujourd’hui il pleut sur Londres, contre toute attente. Adieu les 17 degrés de la veille, les sandalettes et les épaules dénudées. Aujourd’hui, les allées de Hyde Park doivent ressembler à celles du Jardin du Luxembourg un glacial dimanche de mars.

samedi 24 avril 2010

« Le Michel-Ange de notre cuisine »

Hier, c’était la première fois que je n’ai pas confondu la maison du voisin avec la sienne. La première fois aussi où j’ai eu le choix, pour annoncer ma présence devant la porte, entre le heurtoir à tête de lion et la sonnette : les autres fois, dans l’obscurité, avant de me décider à défaut pour le premier, je cherchais frénétiquement la seconde à tâtons. La première fois où aucune pièce donnant sur la façade n’était éclairée, et que le violoncelle qui auparavant me servait de repère, avait repris sa seule fonction d’instrument de musique. C’est surtout la première fois où s’est révélé à moi l’immense jardin que j’avais deviné et tant imaginé en scrutant les ténèbres au delà de la baie vitrée de la cuisine, quand j’arrivais à la nuit tombée.
C’est qu’à 19h, un 23 avril, il fait toujours clair. La journée avait été très chaude, mais la pelouse était fraîche sous mes sandales. Des noms savants des plantes et des arbres, je n'ai pas retenu grand-chose, mais comment oublier l’histoire de ces fleurs qui atteignent le pic de leur beauté au moment de leur mort? Et celle de cet arbre dont il ne reste qu'une souche noueuse, et qui était tombé un beau jour de toute sa masse: malgré sa fière allure il n’était qu’un tronc creux n’attendant qu’un souffle pour se scinder en deux. Quelle catastrophe avait-on frôlé ce jour-là! Derrière, bizarrement, on avait découvert une antique machine à essorer le linge, en bois et en fer, comme il y en avait au XIXe siècle. Comment avait-elle fait pour échouer à cet endroit ? Des merles intrépides que le chien ne se donnait même pas la peine de poursuivre, sautillaient çà et là sur la pelouse, et de minuscules petits oiseaux donnaient un concert dans les arbres. En passant joyeusement de branche en branche, qui se ployaient légèrement sous leur poids plume, ils semblaient pincer les cordes d’une guitare.De retour dans la cuisine, un livre de recettes provençales était ouvert à la page de la bourride, une sorte de ragoût de poissons. Ceux-ci avaient été choisis avec le même soin que met Françoise aux Halles dans A la Recherche du temps perdu quand elle s’y fait donner « les plus beaux carrés de romsteck, de jarret de boeuf, de pied de veau, comme Michel-Ange passant huit mois dans les montagnes de Carrare à choisir les blocs de marbre les plus parfaits pour le monument de Jules II. » Au moment où « le Michel-Ange de la cuisine » a posé le plat fumant sur la table, dans le jardin, un corbeau en a profité pour passer du pommier au châtaignier. Son vol noir a dessiné comme un trait de crayon nerveux dans le bleu entre les deux arbres. Un tableau qui s'intitulerait : An evening to remember.

vendredi 23 avril 2010

La route du Beau

Je n’avais encore pas vu un seul dessin de la Renaissance italienne, quand j’ai levé la tête. Jamais le dôme de la salle de lecture du British Museum ne m’avait paru si beau, comme si je le voyais pour la première fois. J’avais l’impression qu’il touchait le ciel. Alors, bien sûr, comme on ne peut le photographier, je lui substitue celui de l’église Saint-Paul Saint-Louis à Paris. Si la Reading Room a vu Rimbaud bouquiner, l’église a accueilli Madame de Sévigné, quand elle venait avec la cour écouter les sermons de Bourdaloue. J’ai été submergée par une vraie et grande émotion. Je me trouvais un peu idiote parce que passant ma vie au British Museum j’ai eu mille fois l’occasion de le voir, sans m’effondrer pour autant. Mais hier la lumière était différente et aucune statue chinoise, romaine ou aztèque ne cherchait à attirer notre regard vers elle. Il pouvait donc s’élever librement vers le « couvercle » doré au-dessus de nos têtes. Et je ne peux illustrer ce trouble qui m’a saisie que par une photo du spectacle « Mouvements pétrifiés » auquel j’ai assisté au Louvre le 26 mars dernier. C’était si « beau et bizarre » que là aussi, j’ai pleuré. Ce n’est pas seulement ce « parcours chorégraphique parmi les sculptures du Louvre » qui était à couper le souffle, il y avait aussi les reflets du soleil couchant, j’étais en vacances, je venais de passer une journée idéale.
J’étais dans l’humeur parfaite pour suivre le parcours de cette magnifique exposition. J’ai passé plus de 3h devant des Leonard de Vinci, des Raphaël et des Michel-Ange, ce « lieu vague où l'on voit des hercules/Se mêler à des Christs, et se lever tout droits/Des fantômes puissants qui dans les crépuscules/Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts » (Baudelaire) et tant d’autres. Mais je mentirais en disant que je ne dois cette émotion qu’à la beauté des dessins des « Old Masters » et de la Reading Room... car sur la « route du Beau », on peut se trouver nez à nez, par hasard, avec la personne au monde qu’on a le plus envie de voir à ce moment-là.

jeudi 22 avril 2010

Eaux du Japon

La vie digne d’être vécue est celle que l’on consacre à la recherche des joies !
Et dans ce but, rejeter toute contrainte, est chose qu’on excuse !

Ibn Abbâd
Quand je regarde des photos du Japon, quand je jette un oeil sur mes carnets, l’envie d’y retourner me saisit. C’est comme s’il y avait une petit train dans ma tête, qui faisait tout un circuit, et qui, régulièrement, s’arrêtait Gare des Envies d’Ailleurs. J’entends alors, entre deux sifflets de sa locomotive : « Passagers pour Tokyo, en voiture ! » Maintenant le Japon est lumineux, silencieux, lent et désirable. Il est si loin! Avant de me mettre à douter que j’y suis allée, il serait temps d'y retourner.

mercredi 21 avril 2010

« Un seul nuage partout » dit-on des fleurs de Yoshino

Avec quelle force il s’est soudain élevé vers le ciel, ce corbeau du Hampshire ! Il nous faisait regretter de ne pas avoir d’ailes, « deux petites ailes, d'une blancheur nuancée de l'incarnat du coeur d'une rose » dont on voit « palpiter l’extrémité délicate, qui jamais ne repose » celles que l’on trouve « aux épaules du dieu volage » (Cupidon), comme je viens de le lire dans L’Âne d’Or d’Apulée. Il nous donnait envie de redresser les épaules, d’aller droit au but, de faire preuve de volonté. Quand j’entends parler de ce nuage de cendres, de tous ces gens coincés, faute d’ailes, au quatre coin du monde, je pense à la liberté de ce corbeau.
En dépit de votre promesse,
De ce lointain voyage, beaucoup de temps passera
Avant votre retour.
Au pied de la montagne couronnée de nuages
Je vous attendrai.

Kamo no Shigemasa (1220)

mardi 20 avril 2010

La beauté subtile et aérienne

Peindre les fleurs de prunus, c’est faire le portrait d’un homme supérieur ou d’une belle femme. Sachez utiliser des traits simples et dépouillés pour en souligner l’élévation d’âme, des traits subtils et délicats pour en révéler la beauté éthérée. Dans la réalité, d’ailleurs, vaines seraient des fleurs de prunus en pleine éclosion, si ne venaient, un pichet de vin à la main, quelques ermites à l’allure désinvolte, ou quelques poètes à l’esprit libre de toute contrainte. Ils s’attarderont longuement auprès d’elles, savourant leurs couleurs et leurs parfums, psalmodiant des chants qu’ils composeront à mesure.
Cha Li (dynastie Ts’ing, 1644-1911)
Il neigerait à Tokyo, à la fois des pétales de cerisier mais aussi de la vraie neige, comme en 1969. Un même caprice de la météo produisit ce poème de la première moitié du VIIIe siècle :

A mon ami
J’avais voulu les montrer,
Les fleurs de prunier,
Mais elle ne se distinguent plus
Depuis que la neige est tombée.

Yamabe no Akahito

A Londres c’est surtout dans les parcs et les squares que l’on voit des cerisiers ou des pruniers en fleurs. Ces arbres ne sont jamais solitaires. Mais à Paris, soudain, au détour d’une rue, on aperçoit un nuage rose ou blanc, comme rue des Barres dans le Marais derrière l’église Saint-Gervais Saint-Protais, par exemple, ou en face du Musée du Quai Branly.Cette photo semble avoir été prise au Japon et non boulevard Raspail...

Mais à l’expo Takeshi Kitano, nous étions un peu au Japon en plein Paris. C’est la première photo que j’ai prise à Paris, j’y pense avec un petit pincement au coeur... C’était vraiment des vacances formidables !

lundi 19 avril 2010

Que d'eau, que d'eau!

En janvier 1910, Edith Wharton emménage dans un appartement au 53 Rue de Varennes, une rue proche des Invalides. En mettant de l’ordre dans mes livres j’ai retrouvé la belle biographie richement illustrée – Edith Wharton : An extraordinary life de Eleanor Dwight- que j’avais fini de lire le « 18 avril 2001 », il y a 9 ans jour pour jour, comme je l’avais inscrit à l’intérieur. C’est là que j’avais vue, pour la première fois, page 165, une photo des inondations de Paris.Quand je suis allée à l’expo Paris inondé 1910, j’ai repensé à Edith Wharton. La Rue de Varenne est peu affectée par l’inondation, et bien que l’eau atteigne le pas de la porte du 53, le téléphone et l’électricité continuèrent de fonctionner.
They had come out into the great tree-planted space before the Invalides. The dome of Mansart floated ethereally above the budding trees and the long grey front of the building: drawing up into itself all the rays of afternoon light, it hung there like the visible symbol of the race's glory. Archer knew that Madame Olenska lived in a square near one of the avenues radiating from the Invalides; and he had pictured the quarter as quiet and almost obscure, forgetting the central splendour that lit it up. Now, by some queer process of association, that golden light became for him the pervading illumination in which she lived.

The Age of Innocence de Edith Wharton
Peut-être Edith Wharton a-t-elle imaginé qu’Ellen Olenska vivait rue de Varenne ? En tout cas, le magnifique dôme des Invalides étincelait plus sur le portrait de son architecte – Jules hardouin Mansart – au Louvre, que dans la réalité, en ce jour d’avril où je l’ai photographié.
A few streets away, a few hours away, Ellen Olenska waited. There was nothing now to keep her and Archer apart—and that afternoon he was to see her. He got up and walked across the Place de la Concorde and the Tuileries gardens to the Louvre. She had once told him that she often went there, and he had a fancy to spend the intervening time in a place where he could think of her as perhaps having lately been. For an hour or more he wandered from gallery to gallery through the dazzle of afternoon light, and one by one the pictures burst on him in their half-forgotten splendour, filling his soul with the long echoes of beauty.

The Age of Innocence de Edith Wharton

dimanche 18 avril 2010

Cuivres et livres

Au Maroc, à la maison, il y avait le Jour des Cuivres : on circulait de pièce en pièce ramassant çà et là sur notre passage les cuivres dépolis (il n’y en avait pas tant que cela quand même !) qu'y s'y trouvaient, on les entreposait sur le balcon, on les enduisait d’un liquide noirâtre à l’odeur âcre, on nettoyait, on frottait avec un chiffon... à la fin de l’opération, c'est brillant de mille feux qu'ils retrouvaient leurs places assignées sur les étagères. Faire les cuivres, ça revenait régulièrement, je ne sais plus à quelle fréquence. C’est vrai aussi que c’était une corvée à l’époque.
Je n’ai pas de cuivres mais j’ai des livres. Mais c’est un peu à la même opération de polissage que je vais me livrer : je veux les voir tous étalés devant moi, je veux les feuilleter, regarder leur couverture, me rappeler pourquoi je les ai choisis, pour en faire une sorte d’inventaire, mais sans registre, sinon celui de la mémoire.
Ce qui me revient maintenant, c’est ce bruit de cymbales, ce cliquetis particulier, que faisaient ces cuivres quand on les posait en vrac sur le sol du balcon ou quand on les manipulait, les vieux chiffons qu’on utilisait et je nous revois, assises sur le sol du balcon, avec le beau soleil marocain autour de nous. C’est peut-être en réminiscence de ces cuivres que j’aime régulièrement étaler mes livres sur le sol et m’asseoir devant eux pour les refaire briller dans ma mémoire?