dimanche 28 février 2010

Un rêve d’école

J’étais assise autour d’une table ronde dans une salle très éclairée.
Jeudi ma réunion avait commencé dans une pièce blafarde. Puis quelqu’un a tourné l’interrupteur et la lumière est devenue éblouissante.
Dans la nouvelle « Deux hussards » de Tolstoï, il est question d’une table de jeu. Pour mieux y voir on « rapproche deux bougies », et dans le café où je lisais cela hier, j’ai changé de place pour m’asseoir à une table directement située sous une lampe. Je me souviens de la page vivement éclairée.
Je parlais sans m’arrêter en m’adressant à trois ou quatre personnes.
C’est vrai que j’ai eu à m’exprimer beaucoup jeudi.Soudain, au beau milieu de mon discours, Benjamin Biolay est entré dans la pièce et m’a dit « Viens ». Je me suis levée et je l’ai suivi.
Jeudi j’ai dû quitter la réunion avant tout le monde car j’avais cours dans un autre bâtiment.
Il faisait nuit noire, nous nous sommes enlacés. Nous parcourions la ville endormie.
Quand je suis sortie dans la rue pour aller à mon cours, la nuit était tombée.
Nous étions seuls au monde. Nous marchions sans nous parler.
J’ai pensé une demi-seconde à Benjamin Biolay mercredi soir lors d’un débat sur la mode quand quelqu’un a prononcé le mot hippy : dans sa dernière chanson il dit « je ne suis pas hippy hippy chic mais quand même » et j’aime bien comment il dit ça.

J’ai dit, en me blottissant contre lui : « J’ai envie de marcher ».
Cette semaine, une étudiante espagnole a employé ce mot incorrectement. Elle voulait dire « s’échapper » « partir » « se casser » (marcharse en espagnol).
Je me souviens de cette ballade dans la nuit comme d’une chose extrêmement douce. Et de son bras qui me soutenait fortement. Je pensais que le lendemain j’allais le quitter – je me suis vue préparant mes bagages – mais je n’éprouvais aucune tristesse. Je me disais que je devais profiter d’être avec lui cette nuit-là. Au réveil j’ai compris que ce rêve me racontait les réunions interminables qui se succèdent et où l’on ne parle que budgets et effectifs ; le découragement qui me gagne de plus en plus et qui me donne envie de tout laisser tomber (de marcharme); et toujours, essentiel, la seule vraie joie du métier : celle de retrouver mes chers étudiants dans le cocon de la salle de cours. Heureusement qu’ils sont là. Après les tronches d’enterrement auxquelles je dois faire face à longueur de journée, j’apprécie leur fraîcheur et leur envie d’apprendre. Que Benjamin Biolay les incarne, ça, c’est une autre histoire !

samedi 27 février 2010

1+1=3

Il a dit qu’on se reverrait dans « a couple of months ». J’ai fait mentalement le calcul : deux mois... ça nous fait vers le 26 avril... C’est long. En fait, il voulait dire le 17 mai. On apprend toujours à ses dépends que « couple » en anglais ne veut pas dire « 2 » mais « quelques » ! Pourtant, que le 17 mai soit la date de son retour me rend très joyeuse : le 17 mai est la date des oraux à la fac, jour où je suis le stress incarné car c’est moi qui les organise. Ce 17 mai, qui est aussi un peu un jour anniversaire, je sens que je vais être d’un calme... olympien !

vendredi 26 février 2010

Où pourrions-nous aller pour être loin ? (Tolstoï)

« Vers les sept heures du soir, ayant pris du thé, je quittais un relais de poste dont j’ai oublié le nom, mais qui se trouve quelque part sur le territoire de l’Armée du Don, près de Novotcherkassk. » Ainsi commence la nouvelle de Tolstoï intitulée La tempête de neige, qu’il écrivit entre 1854 et 1856.
Le cocher ne plaît pas au narrateur, il ne lui fait pas confiance. D’ailleurs il ne ressemble pas à un cocher, ni par ses vêtements ni par ses attitudes. Où va ce traîneau dans cette plaine où « tout est blanc, blanc et mouvant » ? Tout est fait pour désorienter le lecteur : il y a des changements de traîneaux, des troïkas que l’on dépasse et puis que l’on retrouve devant soi comme si on avait tourné en rond... On ne sait plus où on en est et surtout si cette course va prendre fin.Le narrateur se met à somnoler et il rêve. C’est un rêve magnifique qui nous entraîne loin de la tempête de neige, un mois de juillet en plein midi. « Je vais quelque part en marchant sur l’herbe fraîchement fauchée du parc, sous les rayons brûlants du soleil à son zénith. (...) Tout ce qui m’entourait était si beau et cette beauté agissait si puissamment sur moi qu’il me semblait que j’étais beau moi aussi, et la seule chose qui me faisait de la peine était qu’il n’y eût personne pour m’admirer ».
C’est un récit magnifique. Il faut regarder Tolstoï trottiner dans les allées de Iasnaïa Polyana enneigée (ici), et à la question: Où pourrions-nous aller pour être loin ? qui l’obsédait peu de temps avant de mourir, alors qu'il fuyait son domaine et sa famille, on se doit de répondre aujourd'hui: dans un récit de Tolstoï!

jeudi 25 février 2010

Vague à l’âme

Petite période de marasme et d’inquiétude diffuse. Je sais que ça va passer, alors pour accélérer la sortie de la zone de turbulences je me répète comme un mantra la phrase de Paul Valéry dans Au hasard et au crayon : « Rien de plus rare que de ne donner aucune importance aux choses qui n’ont aucune importance ». Bientôt je pourrais de nouveau rire à gorge déployée comme ces acteurs comiques de la Grèce antique.
Et danser, en jouant des castagnettes!

mercredi 24 février 2010

"Je suis le souverain des choses transitoires"

C’est ce qu’écrit en 1893 Robert de Montesquiou sur la photographie que lui a réclamée Marcel Proust. J’ai levé la tête de mon livre. Trafalgar square. J'aime la silhouette de la colonne Nelson sur la photo.Pourquoi ce lien dans mon esprit entre la dédicace de Montesquiou et ce qu’écrit Paul Valéry dans Regards sur le monde actuel ? « Je suis impatient des choses vagues. C’est là une sorte de mal, une irritation particulière, qui se dirige enfin contre la vie, car la vie serait impossible sans à-peu-près. »Accepter que les choses soient ondoyantes et flottantes... que c'est difficile!

Sur le Waterloo Bridge, de toutes les vitres du bus, on pouvait admirer des Turner ou des Monet.

mardi 23 février 2010

Beau thé

Jolies théières, je vous imagine orner une table du Texas ou du Nebraska, dans la vitrine d’une collectionneuse entre une théière japonaise et une théière marocaine, dans la chambre d’une étudiante d’anglais qui vient de faire une petite escapade à Londres avec des copines, ou sur une page de Elle vantant les nouvelles tendances de la mode anglaise. N’importe où mais pas chez moi !

lundi 22 février 2010

Pharaons ensoleillés

Le pharaon Ptolémée II nomma Zénodote (320-240 av. J.-C.) à la tête de la Bibliothèque d’Alexandrie, fondée par Démétrios de Phalère, un orateur athénien, élève d’Aristote. Zénodote se consacre aux oeuvres d’Homère. Ptolémée III, lui, choisit Eratosthène. Callimaque de Cyrène, Apollonios de Rhodes, Aristophane de Byzance lui succédèrent. Un jour j’ai vu une gravure représentant la bibliothèque d’Alexandrie. Les murs étaient couverts d’étagères croulants sous les papyrus. Juché sur un escabeau, un jeune bibliothécaire farfouillait parmi ces papyrus. Des érudits discutaient autour d’une table. Je me souviens aussi des grandes colonnes qui soutenaient le plafond, surmontées d’une tête de pharaon.Sur la gravure cette scène baignait dans les rayons de soleil. Ils nous aidaient à imaginer le hors-champ: les voiles blanches sur la Méditerranée, les sables du désert, les felouques sur le Nil, les pyramides à l’horizon, les sphinx, les temples, un pharaon et sa suite... Quand je traverse la salle des antiquités égyptiennes par jour de grand soleil, je crois pénétrer dans la bibliothèque d’Alexandrie et j'oublie rapidement que je me trouve en plein coeur de Bloomsbury.

dimanche 21 février 2010

Thot

Thot, le babouin, était vénéré par les scribes car, « Seigneur du temps », il avait inventé l’écriture et le langage. Il n’y avait pas de limites à son savoir. Il le disséminait en abandonnant livres et écrits dans les temples. J’ai pensé à lui en trouvant dans le bus The Comedians, un roman de Graham Greene sur Haïti, posé bien en évidence sur un siège.
Pourtant, il y a un côté de Thot qui tape sur les nerfs. Se sachant supérieurement intelligent, il est imbu de lui-même, il n’éduque plus mais humilie par des phrases alambiquées que personne d’autre que lui ne peut comprendre. De ces Thot obscurs, à l’ego gigantissime, j’en croise, à la seule différence qu’ils n’ont ni son intelligence ni sa culture. Pour me consoler je me dis qu’il existe également des gens qui allient à l’intelligence la plus fine, à la culture la plus large, l’humilité et la pédagogie. Ce qui est bien, c’est qu’un seul suffit à faire oublier tous les autres fâcheux.

samedi 20 février 2010

L’oiseau de Theangela

L’oiseau que tient cette jeune ionienne va passer un mauvais quart d’heure: elle va le sacrifier aux dieux. Elle empêche l’oiseau de s’échapper. On le sent presque gigoter. Mais j’aime son geste « protecteur ». Aujourd’hui j’ai l’impression que je suis l’oiseau et que la main m’appartient aussi : j’ai vraiment besoin de me remettre de cette semaine éprouvante. Après, je me relâcherai dans la nature vers le bleu du ciel!

vendredi 19 février 2010

Résistance passive

Cette pluvieuse semaine – si on omet mercredi, qui fut une journée de printemps avant la lettre, avec ciel bleu immaculé et températures douces – j’ai tant puisé dans mes réserves que je suis sur les rotules. Heureusement, je lisais un livre sur Gustave Flaubert, et c’était un bon antidote aux âneries auxquelles j’ai été confrontées. Le petit chef, à la de Funès, qui se trémoussait sur sa chaise. La collègue qu’il faut porter à bout de bras tant elle doute d’elle-même. Le pessimiste pour qui l’humanité est monstrueuse, qui voit la vie en noir, et la dépressive, qui lève les yeux au ciel dès qu’on parle d’espoir, qui acquiesçait en l’entendant... C’est dingue le nombre de gens qui fonctionnent mal et qui manquent de bienveillance... Il y a des semaines où on a plus de mal à le supporter que d’autres. J’ai essayé: A part le soleil et le ciel bleu de mercredi, le Flaubert dans ma poche, il y a eu les petits films où l’on voit le vrai Tolstoï trottiner sur la neige de Iasnaïa Polyana dans le générique de fin du navet intitulé The last station. L’écrivain russe prônait la résistance passive... Ça m’a été d’un grand secours cette semaine !

jeudi 18 février 2010

Fêlée

Je dois prendre le bus à 7h30.
Je dois savourer mon croissant à 8h10 maximum.
Je dois finir le livre sur Flaubert pour commencer celui sur Proust, avant 8h50.
Je ne dois pas oublier mon cours de 11h.
Je dois finir toutes mes corrections et trouver un lieu paisible pour le faire.
Je dois trouver une excuse pour ne pas voir pour la deuxième fois en deux jours Claude Gueux.
Je dois ensuite me dépêcher de rentrer chez moi pour ne plus avoir à dire « je dois » !

mercredi 17 février 2010

Munch Munch Kiss Hug (chanson de Ponyo)

Ponyo sur la falaise de Hayao Miyazaki est enfin sorti en Angleterre. J’avais vu la première fois ce merveilleux animé à Tokyo en décembre 2008 mais en japonais. Cette fois il y avait des sous-titres ! J’ai repensé au cinéma de Ginza (ici) et à l’accueillant Café Meal Muji en face. Bizarrement, quand je ne faisais pas d’efforts pour me souvenir de cette séance, l’image qui me revenait sans cesse à l’esprit était celle de la statue de Godzilla (ici) sur le chemin du métro. L’histoire du film est un peu tirée par les cheveux, mais les dessins – surtout ceux des poissons et des coquillages - sont très beaux et poétiques. Le générique du film vaut son pesant d'or. Comme j’avais envie que les portes du cinéma s’ouvrent sur Tokyo ! Avec tous les lampions et les idéogrammes du quartier chinois en face on aurait pu s'y croire... Mais la seule statue du coin c’est celle de Nelson à Trafalgar square !

mardi 16 février 2010

Elucubrations

Aristote a dit: All men desire to know but not all forms of knowledge are equal, the best is the pure and disinterested search for the causes of things. Searching for them is the best way to spend a life. Certes, mon bon Aristote... Alors je voudrais qu’on me dise comment ces pieds ont-ils fait pour rentrer dans cette petite boîte ? Et si ce n’est pas des pieds, qu’est-ce ? D’autres plantes...plus naturelles ? Quel est le sens de ce hiéroglyphe ? Et le bras au dessus qui a l’air de dire que c’est un truc facile!
Quand j’ai vu ces dessins j’ai pensé à Marcel Proust. Les dessins de la main, du feu de bois et de la flamme, de la petite madeleine ronde, et du bâton, semblent sortir du bec de la théière. Peut-être le Pharaon aux belles guiboles est-il en train de se souvenir de son passé à l’heure du thé?

lundi 15 février 2010

Ma main à couper

« Les bras m’en tombent ! » : ces derniers temps j’ai eu maintes fois l’occasion de le dire, chaque jour apportant son lot de nouvelles et de comportements abracadabrants. Mais aujourd’hui et demain, dès que j’ai un moment de libre, je corrige des tonnes de copies. Alors j’espère que mes bras et mes mains vont rester en place !

dimanche 14 février 2010

Coeur de ville

Dire : Je vous aime, à quelqu'un, jamais on ne l'eût inventé ; ce n'est là que réciter une leçon, jouer un rôle, commencer à débiter, à sentir et à faire sentir tout ce qu'il y a d'appris dans l'amour. Cette parole, dont la mémoire fait les frais, transforme sur le champ la situation des esprits, ouvre une perspective de prodiges et de vicissitudes où la conscience se perd. L'instant se fait énorme, la sensation d'un seuil redoutable franchi s'impose. On croit avoir prononcé devant l'Univers des mots magiques, et ils le sont en vérité, précisément parce qu'ils sont appris comme une formule dont les livres et le théâtre nous ont instruits. A ces mots s'illuminent les fresques traditionnelles de l'amour. On fait son entrée sur je ne sais quelle scène mentale de l'Opéra où l'on se voit puissant et tendre, ne disant rien que de chantant.
Rhumbs de Paul Valéry
Qu’elle est grande cette ville! Où finit-elle ? C’est ce que je me disais hier soir, alors que le bus s’enfonçait dans le sud-est de Londres où je n’ai jamais mis les pieds ou presque. Mon seul repère étaient les petites lumières rouges au sommet de la Canary Wharf Tower, le plus grand gratte-ciel du Royaume-Uni (235m), rive nord. Le bus 188 a fait un arrêt à Canada Water station qui tient son nom d’un dock où accostaient autrefois les bateaux en provenance du Canada. Mais il n’y a plus l’ombre d’un quai. Pas loin c’est le quartier de Rotherhite d’où le Mayflower a mis les voiles en 1620 pour Southampton et la Nouvelle Angleterre. Pourrais-je quitter mon nord « natal » et rassurant, si proche du coeur de la ville, pour le sud et ces rues anonymes ? Voilà Greenwich : on se croirait dans un village de pêcheurs. Des couples dînaient aux chandelles. Dans les vitrines, parmi les ancres, les cordages et les lampes de brume, se balançaient des coeurs rouges, de toutes les tailles et de toutes les matières. Impossible d'ignorer que c’était la veille de la Saint-Valentin! Quelle est peuplée cette ville ! Quelle diversité ont ses habitants ! J’ai même vu deux punks français avec de jolies crêtes peroxydées, si grandes qu’elles me cachaient le nom des arrêts sur le panneau d’affichage ! Et dire que parmi ces millions de Londoniens il n’y en a qu’un à qui je dis je t’aime en le chantant sur tous les tons!

samedi 13 février 2010

Fatigue et boule de gomme

Dans mon agenda, j’écris mes rendez-vous au crayon et je les efface au fur et à mesure. Il y a des jours où je suis vraiment masochiste : je commence la matinée très tôt et sur les chapeaux de roue, j’enchaîne les rencontres dans le plus grand nombre de quartiers différents, séparés entre eux par des bus dont je calcule à la seconde près la durée du trajet (tout en sachant que les bus rouges n’en font qu’à leur tête). Si je passe devant « mon » musée je ne manque pas d’y faire un petit tour, et si les horaires correspondent, le soir, je vais au cinéma. Mais hier, que la journée m’a paru longue ! J’avais l’impression de traîner un fardeau qui s’alourdissait à chaque pas. Aucun mystère à ça : j’avais oublié ma gomme.

vendredi 12 février 2010

Robin des jardins

Je n’ai jamais vu de chouette en vrai, mais je dis très souvent « chouette ! »Et j’ai écrit, il y a longtemps, un article dans la Revue La Chouette.De toutes les souris que j’ai vues, aucune ne jouait de la trompette.Je n’ai jamais croisé non plus le chemin d’un sanglier. En voyant celui-là au Louvre, si menaçant, je m’en félicite !Il y a eu une fois un nid de guêpes au coin de ma fenêtre. Elles étaient aussi potelées que sous Ramsès II.J’aimerais rencontrer un jour un cerf aussi majestueux que celui du château d’Amboise.J’ai hâte de revoir le jardin des Tuileries et ses moineaux peu farouches...Et barboter les canards dans l’étang de Shinobazu du Parc Ueno à Tokyo.Le dernier vrai lézard que j’ai vu lézarder au soleil, c’était au Maroc. Celui-ci sort de l’atelier de Bernard Palissy au Louvre, au XVIe siècle.Les renards, on en aperçoit la nuit dans les petites rues de Londres, se glissant furtivement de jardin en jardin. Mais aucun ne porte de bavoir comme en arborent leurs divins congénères japonais.
Mais une chose qui m’a comblée d’aise cette semaine c’est de voir, ailleurs que sur une carte de Noël, le premier vrai rouge-gorge (robin en anglais) de ma vie. Il se croyait seul et furetait çà et là, et je n’osais me précipiter sur mon appareil photo de peur de l’effaroucher. J'aurais aimé le tenir dans ma main et caresser ses plumes et son duvet. Cela aurait été très chouette.