mardi 30 juin 2009

Sur les pavés, je tourne la page

Michael Jackson est associé, dans ma mémoire, à une passerelle. Celle qui mène du Vieux Tours à l’Université François Rabelais sur les bords de la Loire. A vrai dire, je ne sais même plus s’il y a une passerelle à cet endroit-là ou si c’est moi qui l’y ajoute. Mais en tout cas, le seul souvenir précis de Michael Jackson – que j’adorais à l’époque – niche au bas de cette passerelle. Il faisait beau, ce devait être le début de l’été et en me replongeant dans ce moment d'il y a plus de 20 ans, je sens que j’étais très heureuse. Est-ce que je viens d’apprendre que j’ai réussi mon DEUG ou ma Licence d’anglais ? Je descends les marches, et là, Michael Jackson entre en scène. A l’époque on voyait beaucoup le clip de Billy Jean où le sol s’allume sous ses pas. Est-ce que le lien avec Jackson se trouve dans les dalles qui composent l’escalier ? J’avais peut-être l’impression que mon diplôme en poche, les rues de cette bonne ville de Tours étaient pavées d’or et, de joie, peut-être ai-je esquissé quelques pas de danse, allez savoir !

lundi 29 juin 2009

La métaphysique couverte de coquelicots

Le magnifique poème ci-dessous, que je ne connaissais pas, est récité dans Caudillo de Basilio M. Patino (1977), un documentaire sur la guerre civile espagnole et l’arrivée au pouvoir de Franco. Il illustre des images atroces du bombardement de Madrid. Le silence des spectateurs en disait long à la sortie de la salle de cinéma... Que c’est triste et décourageant de penser qu’il est toujours d’actualité!
J’explique certaines choses
Espagne au coeur de Pablo Neruda (1938)
(ici en espagnol et en anglais)

Vous allez demander: Où sont donc les lilas?/Et la métaphysique couverte de coquelicots?/Et la pluie qui frappait si souvent/vos paroles les remplissant/de brèches et d'oiseaux?

Je vais vous raconter ce qui m’arrive.

Je vivais dans un quartier/de Madrid, avec des cloches,/avec des horloges, avec des arbres./De ce quartier on apercevait/le visage sec de la Castille/ainsi qu'un océan de cuir./Ma maison était appelée/la maison des fleurs, parce que de tous côtés/éclataient les géraniums: c'était/une belle maison/avec des chiens et des enfants.

Raoul, te souviens-tu?/Te souviens-tu, Rafael?/Federico, te souviens-tu/sous la terre,/te souviens-tu de ma maison et des balcons où/la lumière de juin noyait des fleurs sur ta bouche?/Frère, frère!/Tout/n'était que cris, sel de marchandises,/agglomérations de pain palpitant,/marchés de mon quartier d'Arguelles avec sa statue /comme un encrier pâle parmi les merluches:/l'huile arrivait aux cuillères,/un profond battement/de pieds et de mains emplissait les rues,/métros, litres, essence/profonde de la vie,/poissons entassés,/contexture de toits cernés d'un soleil froid dans lequel/la flèche se fatigue,/délirant ivoire des fines pommes de terre, /tomates recommencées jusqu'à la mer.

Et un matin tout était en feu/et un matin les bûchers/sortaient de terre /dévorant les êtres vivants,/et dès lors ce fut le feu,/ce fut la poudre,/et ce fut le sang./Des bandits avec des avions, avec des maures,/des bandits avec des bagues et des duchesses, /des bandits avec des moines noirs pour bénir/tombaient du ciel pour tuer des enfants,/et à travers les rues le sang des enfants/coulait simplement, comme du sang d'enfants.

Chacals que le chacal repousserait,/pierres que le dur chardon mordrait en crachant, /vipères que les vipères détesteraient!/Face à vous j'ai vu le sang /de l'Espagne se lever/pour vous noyer dans une seule vague /d'orgueil et de couteaux!

Généraux/de trahison:/regardez ma maison morte,/regardez l'Espagne brisée:/mais de chaque maison morte surgit un métal ardent/au lieu de fleurs,/mais de chaque brèche d'Espagne /surgit l'Espagne,/mais de chaque enfant mort surgit un fusil avec des yeux,/mais de chaque crime naissent des balles/qui trouveront un jour l'endroit/de votre coeur.

Vous allez demander/pourquoi votre poésie/ne parle-t-elle pas du rêve, des feuilles,/des grands volcans de votre pays natal?/Venez voir le sang dans les rues,/venez voir/le sang dans les rues,/venez voir le sang/dans les rues !

dimanche 28 juin 2009

L’éclaircie par le rire

J’ai peur
Que le parfum ne vienne
Aux fleurs de papier
Lorsque la rose
Perd le sien

Abbas Kiarostami
Quel carnage parmi les rosiers hier! Pour la deuxième fois en quelques jours, des trombes d’eau nous sont tombées sur la tête accompagnées de grêlons énormes. C’est la violence de ces orages qui me frappe. Des branches d'arbres jonchaient la chaussée. Et la durée du déluge! Mais encore une fois je l’ai échappé belle car après une course folle contre la montre avec l’orage, j’ai tourné ma clé dans la serrure au moment où tombaient les premières gouttes de pluie. Je revenais du cinéma : Rudo y Cursi de Carlos Cuaron, le réalisateur mexicain de Y tu mama también est à mourir de rire ! La vraie éclaircie de cette journée pluvieuse.

samedi 27 juin 2009

Marcel Proust dans les nuages

Il ne sortirait pas sans son parapluie. Prenant à témoins le soleil éclatant par delà la fenêtre, je me suis un peu moquée de lui. Tout le monde dans le bureau s’est alors récrié : comment pouvais-je ne pas savoir que le déluge s’abattrait sur Londres ce jour-là ? Savoir qu’il allait tomber des cordes sans en connaître l’heure exacte, tout en me rendant compte que le petit parapluie au fond de mon sac et-qui-a-connu-un-typhon-japonais ne me protègerait aucunement de la soupe, a suscité chez moi deux réactions contradictoires: d’un côté je m’obstinais à nier l’évidence, et de l’autre je n’avais qu’une hâte, me mettre à l’abri. Vers 16h30, l’air s’est soudain rafraîchi et le ciel obscurci. Me pressant vers l’arrêt de bus j’ai vu la rue partagée en deux, comme dans une arène espagnole : sol y sombra. Quand au téléphone j’essayais à mon tour de convaincre mon interlocuteur de l’imminence de la pluie, pour décrire la situation j’ai dit : « Au dessus de chez moi, c’est Poltergeist ! » Je croyais voir deux griffons s'affronter dans les nuages.Et le déluge a éclaté avec une violence rare. Magnifiques éclairs, roulement du tonnerre, pluie battante. Un véritable tintamarre...Mes vitres ruisselantes me donnaient l’occasion de prendre des photos à la Kiarostami – on peut voir les siennes dans Pluie et Vent – la seule différence (je plaisante bien sûr !) c’est que moi je n’essuyais pas la tempête au volant de ma voiture, mais dans ma cuisine ! Jamais je n’avais observé avec autant d’intérêt les différents signes de l’orage... Les formes, les couleurs, qui en découlent...Une pluie de flèches s’abattait sur les passants et les roses. J’ai pensé à la forteresse assiégée du Château de l’araignée d’Akira Kurosawa et à Red Cliff de John Woo.Et puis les nuages ont poursuivi leurs chemins respectifs...Abandonnant derrière eux leurs oripeaux qui dessinaient étrangement le visage de Marcel Proust ou, plus prosaïquement, celui d’Hercule Poirot, reconnaissable à sa fameuse petite moustache et au chapeau melon.

vendredi 26 juin 2009

Havre de paix

Pour se familiariser avec une ville exotique, on a besoin d’un endroit clos sur lequel exercer un certain droit et où se retrouver seul lorsque le trouble des voix nouvelles et incompréhensibles devient trop grand. Un endroit silencieux, à l’écart des regards indiscrets. Une porte dont on a la clef dans sa poche et que l’on ouvre sans qu’âme qui vive vous entende. Où a donc disparu le trafic infernal ? Où sont passés la lumière brutale et les cris assourdissants ? Les centaines, les milliers de visages ?

Les Voix de Marrakech de Elias Canetti
Pour retrouver une relation « douce et modérée » avec les choses, et s’abstraire à l’effervescence de Marrakech, il suffisait à Elias Canetti de se « promener au-dessus de toute la ville » en montant sur une terrasse. De là-haut, les minarets ressemblent à des « phares qui seraient habités par une voix ».Dans mon expérience japonaise il y a d’abord ma chambre d’hôtel qui me sert de refuge. J’y reproduis, presque à l ‘identique, mon petit bazar quotidien. Il y a aussi les salles de cinéma. Certes, elles sont loin d’être des endroits silencieux. Mais le but d’un film étant de faire appel à notre imagination, c’est bien le seuil d’une « porte dont on a les clefs dans sa poche » que nous franchissons allègrement. Un jardin secret qui ne s’arpente qu’à l’insu des autres spectateurs.
Pour les mêmes raisons on peut aussi se plonger dans un livre captivant dans l’enclos serein d’un temple ou d’un jardin, voire même d’un café, où l’on peut devenir anonyme, si on sait choisir stratégiquement sa table. Le choix du livre est un travail de toute une année, mais il peut aussi se décider la veille du départ.
Mais le must, pour « se familiariser avec une ville exotique », c’est de faire une promenade en bateau. C’est en flottant, en ondoyant, que l’on peut le mieux décider des manières de l’aborder. La course du bateau dessine sur l’eau la courbe d’une parenthèse, une parenthèse dans le temps et l’espace, que le voyageur mettra à profit pour reprendre son souffle.

jeudi 25 juin 2009

Chanel Tunnel

Dans le grand magasin, je m’asperge d’Allure de Chanel
J’embaume comme une fabrique de parfum
Et dans le bus, je termine le livre d’Edmonde Charles-Roux.

mercredi 24 juin 2009

Echappée belle

En lisant le programme des « réjouissances » qui m’attendaient, mon sang n’avait fait qu’un tour. S'asseoir dans cette salle cela aurait été essayer de mettre en cage un nuage : autant dire impossible ! Alors à la place j’ai écouté une belle émission sur Mahmoud Darwich (ici) et j’ai lu certains de ses textes:

L’arbre est le frère de l’arbre ou son bon voisin. Le grand se penche sur le petit et lui fournit l’ombre qui lui manque. Le grand se penche sur le petit et lui envoie un oiseau pour lui tenir compagnie la nuit. Aucun arbre ne met la main sur le fruit d’un autre ou ne se moque de lui s’il est stérile. Aucun arbre, imitant le bûcheron, ne tue un autre arbre. Devenu barque, l’arbre apprend à nager. Devenu porte, il protège en permanence les secrets. Devenu chaise, il n’oublie pas son ciel précédent. Devenu table, il enseigne au poète à ne pas devenir bûcheron. L’arbre est absolution et veille. Il ne dort ni ne rêve. Mais il garde les secrets des rêveurs. Nuit et jour debout par respect pour le ciel et les passants, l’arbre est une prière verticale. Il implore le ciel et, s’il plie dans la tempête, il s’incline avec la vénération d’une nonne, le regard vers le haut... le haut. Dans le passé, le poète a dit : « Ah si le jeune homme était une pierre. » Que n’a-t-il dit : « Ah si le jeune homme était un arbre ! »

Et bientôt je lirai son dernier livre - La trace du papillon - et tiendrai dans mes mains sa belle couverture. Ensuite j’ai appris le nom de l’écrivain Togolais Kossi Efoui, j’ai regardé une vidéo sur lui (ici) et j’ai lu un mythe guinéen:

L'esprit des choses s'étant fait homme se mit à parler un langage étrange rempli d'image et de fleurs. On ne le compris pas et, le prenant pour fou, on le jeta dans la mer. Un poisson l'avala, mais un pêcheur ayant pris le poisson et en ayant mangé parla à son tour une langue mystérieuse. Il fut lapidé et enterré profondément. Lentement, le vent du désert découvrit sa face et, un jour de simoun, quelques débris du corps tombèrent dans le couscous d'un chasseur. Et aussitôt celui-ci de conter en paroles mystiques des choses inconnues. Il fut exterminé; son corps réduit en poudre aussi fine que la poussière du désert fut lancé dans l'espace. Un homme dont le métier consistait à tirer d'une corde tendue sur une calebasse des harmonies divines en respira quelques grains et, aussitôt, comme la corde que ses doigts faisaient vibrer, il se mit à chanter. Et on le laissa vivre. Et ainsi la pitié donna naissance au griot, et c'est elle qui toujours lui permet d'exister.Ce fut une journée « complète-mandingue »... comme on dit en Guinée !

mardi 23 juin 2009

Pour illustrer la photo d'un chameau...

L’amour
Est comme une caravane
Qui
Avec ses chameaux et ses feux
Avec ses cloches et ses chameliers
Dresse une nuit sa tente
Dans nos âmes
Dont le désert
A l’aurore
Ne révèle qu’un tas de cendres
Et des traces de pas

Bijan Jalali

(Mais je ne veux pas en croire un mot)

lundi 22 juin 2009

A marquer d'une pierre blanche

L’univers
Est petit et étroit
Mais toi
Tu en es l’âme
C’est pourquoi
Mon regard
Se perd au loin
Et je salue
Tout arbre
Comme un ami
Et j’adore
De l’univers
L’immensité
Et l’infinité.

Bijan Jalali

dimanche 21 juin 2009

Et voilà l’été!

Qu’il est difficile
Dans la chaleur de l’été
De croire à la neige !

Abbas Kiarostami
Londres en été... c'est le paradis! Les aubes y sont roses, les matinées bleues, et le soleil nous fait des après-midis ardentes (sauf quand il pleut). J'aime le silence de mon quartier, ses rues qui se vident au gré des départs en vacances. Le 21 juin, c ’est du toit d’un théâtre de Drury Lane que certains petits malins célèbrent la fête de la musique !

samedi 20 juin 2009

Arbres du Japon et d'Angleterre et poésie iranienne

Sur le tronc de tous les arbres de la forêt
De mes ongles je gravai ton nomEt maintenant
Tous les arbres te connaissent par ton nom.Avec des griffes de guépards je gravai
Ton nom sur le dos du zèbre et du cerfEt maintenantTous les guépards des montagnesTous les cerfs jaunes
Te connaissent par ton nom.

Manoucher Atachi

vendredi 19 juin 2009

Stoke-Newingtonienne de souche

Mon arbre généalogique
Fut apporté par le vent
D’une broussaille
Sans racine

Abbas Kiarostami
Cette scène s’est déroulée dans une fac, à Whitechapel. Je venais d’arriver à Londres, et je cherchais à me loger. On m’avait dit qu’il y avait une place dans une cité U, à Stoke Newington, et que pour cela il fallait prendre le train à Liverpool street. J’avais éclaté en sanglots. Je ne voulais pas aller à Stoke Newington, je voulais rester à Londres, moi ! Il avait fallu qu’on m’explique patiemment que Stoke Newington c’était Londres. Je n’étais vraiment pas dégourdie...
Je me souviendrais toujours de mon arrivée à la vieille gare de Liverpool street, qui ne sera rénovée que bien plus tard. Je revois encore ces dizaines de vieux trains, pressés les uns contre les autres comme dans ces photos sépia qui servent à illustrer La bête humaine de Zola ! J’avais l’impression d’être au XIXe siècle, sous la reine Victoria – il faut dire que je lisais Villette de Charlotte Brontë à l’époque - qu’ils étaient à vapeur et couverts de suie...

Allait commencer une des plus belles années de ma vie. La Cité U en question avait 2 étages seulement, moins de 10 chambres, la plupart occupées par des étudiants de français. Pour la première fois de ma vie j’étais libre, libre comme l’air. Je suis vraiment née une nouvelle fois à Stoke Newington.

jeudi 18 juin 2009

Moulin à paroles

Le chant de la rencontre
Manouchehr Atachi

C’est bon d’être avec toi
Tes paroles
Sont comme le parfum d’une fleur au cœur des ténèbres
Comme le parfum d’une fleur, tentantes au cœur des ténèbres.

Parler avec toi
Emporte l’œil de mes rêves
Comme la chaleur de la cheminée et le souffle culminant du feu
Vers le désert des plus lointains souvenirs
- Là où les moineaux se balancent à l’extrémité des épis de blés
Où les fleurs partagent un secret avec les astres.
En une journée, nous avons comblé un éloignement de 3 ans. Un vrai marathon de souvenirs, de confidences, de châteaux en Espagne. Après un tel inventaire, on aspire à un silence monacal...