dimanche 31 mai 2009

Attention fragile

Dans la galerie d’art, posés dans un coin, des cartons de verres à vin.Ils devaient être nombreux au cocktail de l’expo photo d’ Abbas Kiarostami.Je n’y étais pas, lui non plus.

samedi 30 mai 2009

Née sous le signe de l’art&essai, ascendant multiplexe

J’ai essayé de lui expliquer pourquoi j’avais été « morte de rire » devant Night at the Museum : Battle of the Smithsonian de Shawn Levy avec Ben Stiller :

« A un moment il y a Ben Stiller, il a une plaquette égyptienne dans les mains qui ressemble à un iphone géant. En même temps Kahmunrah le Pharaon qui a un cheveu sur la langue tient Owen Wilson captif. Alors Ben Stiller lui dit : ‘Donne-moi le sablier et je te donne la tablette et le code’ et le Pharaon lui répond : ‘Non, c’est toi qui vas me donner la plaquette et le code’ . Et ça dure comme ça 5 minutes, et aucun ne cède. En plus Ben Stiller fait un signe qui énerve le Pharaon qui le menace : « Je vais te tuer si tu ne me donnes pas la plaquette et le code, et si tu fais ce geste » et évidemment Ben Stiller fait les 3 choses en même temps, ce qui énerve Kahmunrah. Et ce manège dure au moins 10 minutes. C’était vraiment drôle. »
Et moi de rire de plus belle, et lui de me regarder, aussi imperturbable que le Sphynx. Evidemment, la drôlerie de cette scène est incommunicable. Il faudrait les costumes, les mimiques, les décors, et mon chez moi ne se prête pas à une telle reconstitution. Mais c'est dingue comme ce film s’est déjà volatilisé dans mon esprit... Un petit tour et puis s'en est allé!

vendredi 29 mai 2009

Mieux vaut To (une fois par an) que jamais

Joey, un des organisateurs du Terracotta Film Festival, est un très sémillant jeune homme au look de chanteur de charme des années 50. Il fallait le voir sauter comme un cabri sur la scène du Prince Charles et se saisir du micro d’un geste leste, comme s’il allait entamer une sirupeuse ritournelle. Malheureusement, à la place, c’est un agaçant « Hi guys ! » qu’il nous lançait à la figure. Il faut dire qu’à ses pieds se pressait une marée de mecs boutonneux aux cheveux gras, nourris aux fish and chips ou au buffet thaï industriel (All you can eat for £2.50), au look d’étudiants en cinéma, avec sacoche en bandoulière intégrée et pantalon tombant sur les cuisses, lecteurs invétérés de mangas hardcore, connaissant sur le bout des doigts le bottin des réalisateurs coréens et vouant un culte infernal à Jean-Luc Godard. Sans oublier les deux énergumènes du BFI (la cinémathèque d’ici), à l’hygiène douteuse, l’un gardant son sempiternel chapeau de feutre noir crasseux vissé sur des cheveux indéfinissables même pendant la projection, et l’autre, célèbre pour lancer de temps en temps deux « Ha Ha » à contretemps, surtout lors des scènes d’amour ou de torture.Ceux-là prenait le Hi guys! de notre Joey national comme le signe qu’ils faisaient partie d’une élite, ces happy few sachant épeler "Kongkiat Khomsiri" même à l’envers, et connaissant la filmographie des jeunes Amarttayakul, Penpadkee et Chitmanee qui « kick ass, man ! » Il y avait aussi çà et là quelques beaux Chinois, venus entendre un peu de leur langue maternelle, peut-être pas cinéphiles pour un sou, un peu comme moi quand je me tape Bienvenue chez les Ch’tis pour entendre un bout de français... J’adore les films de Johnnie To. Les films de Johnnie To à Londres éclosent comme les lotus : en mai ou en juin. Mais un lotus d’une espèce très rare, car il n’y a jamais qu’un film de Johnnie To par an ici. Je vais toujours le voir un jour où il fait beau, où tout va bien, un jour de fête. Je ne le fais pas exprès, il se trouve que c’est comme ça. Et quel que soit le mérite de la fleur de l’année, je l’adore avant, pendant et après. En fait, si les lotus font « plop ! » quand ils s’ouvrent, le To de printemps n’est jamais un « flop ».
Celui que j’ai vu s’appelle Sparrow (moineau), c’est-à-dire pickpocket en argot de Hong-Kong. Il était question d’une aguichante môme moineau, et d’un vrai piaf qui ne ressemblait pas du tout à un moineau européen mais à un toucan de poche ! C’était léger, drôle, surprenant, et pour une fois, il n’y avait qu’une seule petite goutte de sang, et encore... versée par inadvertance. Le scénario semblait sortir d'une cervelle de moineau, mais la réalisation, avec clin d’oeil aux Parapluie de Cherbourg, est réjouissante. Je suis sortie du cinéma aux anges, maudissant mes parents de ne pas m’avoir fait naître à Hong-Kong, et avec du Simon Yam plein les yeux. Vivement le prochain: j'en piaffe d'impatience!

jeudi 28 mai 2009

Le simple sentiment de l’existence dans sa plénitude

A force de vouloir raconter des histoires comme dans les téléfilms ou dans le cinéma hollywoodien, on perd quelque chose d’essentiel : le simple sentiment de l’existence dans sa plénitude. Quand je lis Julien Gracq, il ne me raconte pas une histoire comme Hollywood, il n’essaie pas de faire de la psychologie avec de faux conflits. Simplement, il me dit quelque chose de beaucoup plus essentiel : quelles sont les trois images que je vais garder avant de mourir ? Alors c’est une presqu’île, ce sont des marais salants... Ce sont des choses aussi simples que ça, qu’on trimballe jusqu’à sa mort.
Jacques-Pierre Amette
Faites comme chez vous, Europe 1, 24 mai 2009

Moi je trimballe ce coin de rue, dans la descente du temple Fushimi Inari. Le nouveau livre de Jacques-Pierre Amette s'intitule Journal météorologique, et quand cette image se présente à mon esprit, c’est d’abord à la température que je pense, au doux soleil hivernal... mais aussi aux pentes fraîches de la colline où se trouve le sanctuaire. De ces considérations naissent les senteurs boisées, les effluves de l’encens... et puis vient le bruit de mes pas sur les feuilles craquantes et les aiguilles de pin... et le goût de l’eau fraîche dans ma gorge... Ce doit être ça le simple sentiment de l’existence dans sa plénitude...

mercredi 27 mai 2009

Virginia Woolf, Bloomsbury

Le buste de Virginia Woolf, dans un petit coin de Tavistock sq, me fait penser à la statue de Yosano Akiko, qui se trouverait quelque part dans Dôgenzaka, près de Shibuya station, à Tokyo. Un bon motif de voyage!

mardi 26 mai 2009

Hans et Watanabe

Le car pénétra bientôt dans les montagnes. Sur la route en lacets, le chauffeur ne cessait de tourner son volant dans un sens puis dans l’autre, et je commençais à avoir mal au coeur. Bientôt, les virages se firent plus espacés et le car pénétra soudain dans une forêt de cyprès froide et humide. La forêt se termina enfin, et nous débouchâmes dans une sorte de cuvette entourée de montagne.

La ballade de l’impossible de Haruki Murakami
C’est un chemin de fer à voie étroite où l’on s’embarque et, dès l’instant où la machine, de petite taille, se met en mouvement, commence la partie proprement aventureuse du voyage, une montée brusque et ardue qui ne semble pas vouloir finir. C’est par une route rocheuse, sauvage et âpre que, tout de bon, on s’engage dans les hautes montagnes.

La Montagne magique de Thomas Mann
La première fois que j’ai lu La ballade de l’impossible de Haruki Murakami, c’était en anglais et il s’appelait Norwegian Wood. Combien j’avais aimé ce bouquin ! Je l’aimais d’autant plus que je venais de finir La Montagne Magique de Thomas Mann, qu’Hans Castorp me manquait, et j’avais trouvé dans le Watanabe de Murakami une sorte de héros de substitution. La coïncidence avait voulu que, dans le roman, Watanabe lui-même soit « absorbé par la lecture de La Montagne magique de Thomas Mann » ! En relisant la semaine dernière le livre de Murakami, en français cette fois-ci, les passerelles entre les romans allemand et japonais sont évidentes. J’ai de plus eu l’impression que le Watanabe que les mots anglais avaient construit dans mon esprit est différent de celui évoqué par les mots français. Je ne sais pas lequel des deux je préfère. La première fois le livre m’avait bouleversée, la deuxième fois moins, parce que les copines de Watanabe ne m’intéressaient plus, ne me touchaient plus, elles m’agaçaient plus qu’autre chose. Je n’ai pas retrouvé ce que j’avais aimé la première fois. Peut-être parce que j’ai encore à l’esprit les quatre soeurs de Tanizaki ou tout simplement parce qu’entre les deux lectures 6 ans se sont écoulés et que j’ai changé. Je me dois de relire le roman de Thomas Mann – qui est quand même d’une autre envergure que celui de Murakami pour qui j’ai un peu perdu mon engouement - pour vérifier si mon attachement pour Hans Castorp est resté intact, lui.

lundi 25 mai 2009

Une après-midi dans le Prince Charles

L’entrée de la salle du Prince Charles, un cinéma de Chinatown, se fait par le sous-sol. Cet endroit sombre et étroit, rouge et noir, ressemble comme deux gouttes d’eau au sous-sol du Cinéma Rise, dans le quartier de Shibuya à Tokyo. C’est au Cinéma Rise que j’ai vu le film Maison de Himiko de Inudo Isshin, en août 2005. Un film magnifique dont l’acteur principal est Jo Odagiri. Avant d’acheter mon billet, dans un café, prenant mon courage à deux mains, j’avais demandé à une serveuse de déchiffrer pour moi les kanjis sur l’affiche : « Maisonne do Himiko » avait-elle dit. En fait, le titre était en « français » ! C’était drôle ! Je repartais - la mort dans l’âme - le lendemain à Londres, et les adieux que Jo Odagiri fait à sa dulcinée à l’écran, je les ai pris pour moi. Ce qui est marrant c’est que quand je suis revenue en avril 2007, Jo Odagiri jouait dans tous les films projetés à Tokyo. J’en ai fait une overdose !
Samedi dernier il faisait 20 degrés à Londres. C’était en plus le début d’un pont de trois jours. Mais c’est sans regret que j’ai abandonné le soleil pour la pénombre du Prince Charles. Le Terracotta Film Festival bat son plein avec ses films d’Extrême-Orient. Et parmi eux Dream de Kim Ki-duk, un réalisateur coréen... avec Jo Odagiri. Alors dans le film, tout le monde parle coréen sauf mon idole qui parle japonais. Ça fait bizarre de voir les acteurs coréens faire comme si de rien n’était !
L’histoire est complètement débile : quand Jo rêve, une parfaite inconnue (Ran) fait des crises de somnambulisme pendant lesquelles elle se livre à des trucs bizarres et dangereux. Elle finit par tuer son amant parce que Jo l’avait rêvé... un truc dans ce genre. Allez expliquer cette anomalie à la police coréenne ! On finit par interner Ran alors, pour la protéger, Jin (Jo) décide de ne plus dormir : fastoche ! Alors il tient ses yeux ouverts avec du scotch (son visage ressemble alors à un masque de dragon), ou bien il s’enfonce des épingles dans le crâne, ou bien se fout des coups de marteau sur les orteils, ou s’enfonce un couteau dans la cuisse... en se tordant de douleur.
Je réprimais le fou rire qui me gagnait en pensant que jamais il n’avait pensé à boire du café, ce qui quand même tache moins la moquette. La cerise sur le gâteau c’est quand il venait voir sa copine au commissariat, sanguinolent, se tapant la tête contre les murs et râlant comme un damné, et que l’on voyait dans le fond le flic imperturbable feuilletant ses dossiers ! A la fin, c’est l’apothéose : les deux se suicident.
J’ai pensé, en émergeant de ce cauchemar, à Abbas Kiarostami selon qui « la poésie comme le vrai cinéma se rapproche du rêve », c’est sûrement vrai sauf quand le film lui-même s’appelle Dream ! Mais, quand même... Jo Odagiri... comme il est beau !

dimanche 24 mai 2009

Le gros champignon de Piccadilly circus

La terre qui tremble sous vos pieds. Des hommes casqués qui émergent de portes bleu Tunis et rose fuschia. Des mètres de barricades noires qui modifient l’itinéraire des balades. Des bâches qui s’élèvent jusqu’au ciel. Le chantier pharaonique de Piccadilly Circus sait se dissimuler aux yeux indiscrets des passants. Pourtant rien ne peut étouffer le bruit assourdissant et continu des marteau-piqueurs et des perceuses, et les grues sont si gigantesques que de là-haut on doit voir la France ! En passant dans Air street la bien nommée, je me suis demandé si c’était la tour de Babel qui allait surgir de cette serre poussiéreuse.

samedi 23 mai 2009

Elle a trouvé que Londres avait changé...

Il y a plus de dix ans, nous étions colocataires, avec deux autres personnes, dans une coquette maison du quartier de Shoreditch, à deux pas de la City. Elle était étudiante et travaillait le week-end dans une boulangerie chinoise de Soho. Elle ramenait souvent des gâteaux fourrés à la viande, d’un « goût étrange venu d’ailleurs », et elle ingurgitait des mixtures qu’elle se procurait chez les apothicaires du quartier chinois et qui dégageaient une odeur nauséabonde. Je ne lui ai jamais demandé à quoi elles servaient exactement.
Nous avons dû déménager, chacune de notre côté, tout en continuant de nous voir. Nous nous donnions toujours rendez-vous au coin de Leicester sq et de Charing Cross road, devant l’Hippodrome, un ancien music-hall. Nous allions manger des dim sums dans un resto chinois où elle semblait connaître tout le monde. Et elle commandait toujours des pattes de poulet, c’est-à-dire des morceaux de peau de pattes de poulet en sauce. Ça craquait, c’était d’une texture un peu plastique, et je ne pouvais m’empêcher d’avoir à l’esprit des poulets qui gambadaient quand j’essayais d’en attraper un peu du bout de mes baguettes. Avaler ensuite ma prise c'était une autre paire de manches! Elle entretenait une relation avec un mystérieux homme d’affaires chinois qui possédait plusieurs businesses à Soho. Je connaissais déjà les films de Johnny To, et je l’imaginais en héroïne d’une histoire d’amour sur fond de clans, d’opium et de triades. Son amant lui trouvait des boulots d'enfer: il l’expédiait au fin fond de la Chine vendre des moutons aux Egyptiens et en Hongrie fabriquer du foie gras! Elle revenait ensuite à Londres et s'empressait de me narrer par le menu ses aventures rocambolesques.
Elle est repartie depuis dans sa Malaisie natale. Elle n’écrit pas trop et je ne savais pas grand chose de sa vie là-bas avant de la retrouver un midi, au bout de 3 années d’absence, devant l’Hippodrome. Elle n’a pas changé d’un pouce. Nous nous entendons toujours aussi bien. Seule entorse à nos habitudes, nous avons refait le monde dans un restau japonais. C'est dans l'air du temps. Sans doute voulait-elle me faire plaisir. Je l'en remercie même si j’ai un peu regretté les fameuses pattes de poulet!

vendredi 22 mai 2009

Première bougie

You want to give it all up ?
You want to give up the taste of cherries?

Le Goût de la cerise d’Abbas Kiarostami

Toute la journée j’avais fait passer des oraux. Depuis 4 jours, je ne faisais que ça : des oraux, des surveillances, des corrections. Et ce jeudi soir, à un jour de la fin des examens, dans un parfum de vacances (c’est-à-dire sans plus de cours car la vraie quille c'était pour plus tard), j’ai ouvert mon blog. Il y a tout juste un an : ici. Tout simplement parce que j’avais envie d’écrire tous les jours un petit texte et de l’illustrer avec des photos que j’aurais prises. Un jeu. Point. Bien sûr, je pourrais faire la même chose dans un carnet, for my eyes only. Sans doute...
S'il s'agit de faire un bilan de cette année, je peux affirmer que mon blog a grandement contribué à me rendre la vie plus belle car pour moi l’écriture d’un billet est un exercice de méditation, c’est écarter les événements déplaisants pour se concentrer sur quelque chose qui a donné du plaisir, c’est aussi essayer de tourner en dérision les déconvenues. Cette mise en perspective muscle le mental. C’est aussi retenir et faire partager des moments qui se seraient envolés à tout jamais. C’est un miroir qui nous renvoie une image belle de nous-mêmes, et comme ça fait du bien ! C’est de la ré-écriture, une fiction du réel dans laquelle on se reconnaît. C'est aussi des rencontres enrichissantes. Une richesse. Alors, loin de moi l'envie d’oublier le goût de la cerise...
Merci de me lire !

jeudi 21 mai 2009

Franz Kafka ou Frank Capra?

Derrière la statue de Lincoln au Lincoln Memorial à Washington se trouve l'inscription suivante:
In this Temple
As in the hearts of the people
For whom he saved the Union
The memory of Abraham Lincoln
Is enshrined for ever

Tout ça, c’est de la faute de Russel Crowe ! Qu’avait-il à si bien jouer dans State of Play ? Comme je le confonds avec Colin Farrell, j’ai voulu revoir Miami Vice de Michael Mann... Aussitôt dit aussitôt fait... pour m’apercevoir de mon erreur, mais sans ne rien perdre au change. Comme je croyais que Michael était le fils d’Anthony Mann, j’ai eu envie de voir Bend of the River/Les Affamés, un western de 1952. C’est là que l’affaire se corse : comme James Stewart est le héros de ce film et que je l’ai trouvé... disons... « intéressant », j’ai emprunté au hasard Mr Smith goes to Washington, un film absolument génial et très actuel bien qu’il date de 1939. C’est comme ça que j’ai vu mon premier Frank Capra, un réalisateur dont le nom me faisait rêver... et qu’à ma plus grande honte j’ai longtemps confondu avec Frank Sinatra ! Là je me suis aperçu que James Stewart avait des faux airs de Nicholas Cage, que j’aime tant, qu’ils ont la même voix sensuelle... « Ah ! Si j’avais eu 20 ans en 1939... » (j'aurais 90 ans aujourd'hui!)
Il n’y a pas de hasard: je pensais aller voir State of Play en toute innocence... mais en remontant les méandres de mes envies cinéphiliques, je découvre que depuis le début, le film qui m’attendait au tournant, celui qui m’a profondément remuée, c’était le film de Frank Capra qui, comme son nom l’indique, se passe dans les couloirs du pouvoir de Washington, exactement comme State of Play. Ce film semblait m’attendre comme l’immense statue de Lincoln attendait l’arrivée providentielle de Jefferson Smith (James Stewart), pour remettre le sénat dans le droit chemin.

mercredi 20 mai 2009

Accueillir le flux du vent et de l'amour

Les examens battent leur plein... Le couronnement de l’année universitaire. Son point d’orgues. Impossible de garder la tête dans les nuages. D’ailleurs je ne me souviens plus où j’ai pris la photo de ce nuage-crocodile: était-ce après la visite de l’expo du Nouvel An, au Musée National de Ueno, ou bien passait-il au-dessus du Pacifique, au large de Kamakura ?


En te cherchant
au seuil de la montagne je pleure
Au seuil de la mer et de l'herbe.


En te cherchant
au passage des vents je pleure
Au carrefour des saisons,
Dans le châssis cassé d'une fenêtre qui prend
Le ciel enduit de nuages
Dans un vieux cadre.


En attendant ton image
Ce cahier vide
Jusqu'à quand
Jusqu'à quand
Se laissera-t-il tourner les pages?


Accueillir le flux du vent et de l'amour
Dont la soeur est la mort
Et l'éternité
Son mystère qu'elle t'a soufflé


Tu devins alors le corps d'un trésor
Essentiel et désirable

Comme un trésor
Par qui la possession de la terre et des pays
Est devenue ce que le coeur accueille.


Ton nom est un moment d'aurore qui sur le front du ciel passe
- Que ton nom soit béni!


Et nous encore
Nous revoyons
La nuit et le jour
et l'encore.

mardi 19 mai 2009

Je reverdirai, je le sais, je le sais, je le sais

Par essence la poésie provoque l’étourdissement. C’est une bonne chose de laisser le lecteur de poésie dans cette zone de flou, dans ces limbes où le sens n’est pas net, où le sens n’est pas donné de façon claire. Plus on clarifie le sens, et plus on éloigne le lecteur du monde de la poésie qui est par essence diffus et gris. En cela la poésie est très proche du cinéma. La poésie, comme le vrai cinéma, se rapproche du rêve.

Abbas Kiarostami
Ça rime à quoi (France Culture, 17 mai 2009)

Quoi de mieux que la poésie, pour garder la tête hors de l’eau lors d’une semaine d’examens? Même si ce n’est pas moi qui les passe et que je suis de l’autre côté de la barrière, je bois comme un buvard le stress des étudiants...

Tavalod è-digar/Autre naissance


Tout mon être est un verset de l'obscurité
Qui en soi-même te répète
Et te mènera à l'aube des éclosions et des croissances éternelles
Je t'ai soupiré et soupiré
Dans ce verset je t'ai, à l'arbre, à l'eau et au feu, greffé.

La vie peut-être
Est une longue rue que chaque jour traverse une femme avec un panier
La vie peut-être
Est une corde avec laquelle un homme d'une branche se pend
La vie peut-être est un enfant qui revient de l'école
La vie peut-être c'est allumer une cigarette dans la torpeur entre deux étreintes
Ou le regard distrait d'un passant
Qui soulève son chapeau
Et à un autre passant, avec un sourire inexpressif, dit : "Bonjour."
La vie peut-être est cet instant sans issue
Où mon regard dans la prunelle de tes yeux se ruine
Et il y a là une sensation
Qu'à ma compréhension de la lune et ma perception des ténèbres je mêlerai.

Dans une chambre à la mesure d'une solitude
Mon coeur
A la mesure d'un amour
Regarde
Les prétextes de son bonheur
Le beau déclin des fleurs dans le vase
La pousse que dans le jardin tu as plantée
Et le chant des canaris
Qui chantent à la mesure d'une fenêtre.

Ah...
C'est mon lot
C'est mon lot
Mon lot
C'est un ciel qu'un rideau me reprend
Mon lot c'est de descendre un escalier abandonné
Et de rejoindre une chose dans la pourriture et la mélancolie
Mon lot c'est une promenade nostalgique dans le jardin des souvenirs
Et de rendre l'âme dans la tristesse d'une voix qui me dit :
"Tes mains
Je les aime".

Mes mains je les planterai dans le jardin
Je reverdirai, je le sais, je le sais, je le sais
Et les hirondelles dans le creux de mes doigts couleur d'encre
Pondront.
A mes oreilles en guise de boucles
Je pendrai deux cerises pourpres et jumelles
Et à mes ongles je collerai des pétales de dahlia.

Il est une rue là-bas
Où des garçons qui étaient de moi amoureux, encore
Avec les mêmes cheveux en bataille, leurs cous graciles et leurs jambes grêles,
Pensent aux sourires innocents d'une fillette
Qu'une nuit le vent a emportée avec lui.
Il est une ruelle
Que mon coeur a volée aux quartiers de mon enfance.

Volume en voyage
Sur la ligne du temps
Volume qui engrosse la sèche ligne du temps
Volume d'une image vigile
Qui revient du festin d'un miroir

Et c'est ainsi
Que l'un meurt
Et que l'autre reste.
Au pauvre ruisseau qui coule dans un fossé
Nul pêcheur ne pêchera de perles.

Moi
Je connais une petite fée triste
Qui demeure dans un océan
Et joue son coeur dans un pipeau de bois
Doucement doucement
Une petite fée triste
Qui la nuit venue d'un baiser meurt
Et à l'aube d'un baiser renaît.

lundi 18 mai 2009

Vases communicants

La surface polie de la bouteille thermos formait un miroir convexe qui reflétait les moindres détails de la pièce éclairée, mais terriblement déformés. La chambre apparaissait immense avec un plafond infiniment élevé. L’image de Satchi ko sur son lit semblait toute petite, extrêmement lointaine.
- Regardez-moi, dit-elle
Et tout en parlant elle remuait la tête, levait le bras. Le miroir convexe montrait une forme qui remuait la tête, le bras. Etait-ce une fée enfermée dans une boule de cristal, la fille d’un roi-dragon dans son palais sous les mers, une princesse du sang dans son palais ? Teinosuke se demandait combien de temps s’était écoulé depuis que sa femme ne s’amusait plus à ces jeux d’enfant. Sans le dire, les époux retrouvaient les sensations éprouvées au cours de leur voyage de noces, il y avait plus de dix ans.
-Il faudra que nous fassions de temps en temps un voyage comme celui-ci, murmura le soir Satchi ko à l’oreille de son mari.

Quatre soeurs de Tanizaki Jûnichiro
J'ai tourné la 889e page... Et elle a bien raison Satchi ko, il faut faire de temps en temps un tel voyage. Jamais je n’ai eu autant de patience, et d'indulgence, moi si à cheval sur la ponctualité, pour tous les petits retards, acceptant des rendez-vous aux quatre coins de Londres pour mieux éprouver ce plaisir indicible de n’avoir que quelques minutes pour lire, pendant un trajet en bus ou entre deux conversations. 3 pages, un chapitre, une demi-page par ci par là... Et puis 100 pages d’un coup, mais interrompues par le sommeil. Cette lecture intermittente ne m’a pas gâché mon plaisir, au contraire. C’étaient des respirations salutaires pour mieux me replonger dans ma lecture. J’ai eu l’impression que ce livre et moi nous nous échangions notre bonheur d’exister, lui dans les librairies, dans les sacs, dans les mains, et moi dans les rues, avec mes amis, au cinéma, dans ma classe. Parce que ces dernières semaines ont été euphoriques. Peut-être ai-je ressenti, par delà les mots, le plaisir que Tanizaki a eu à l’écrire ?
Abbas Kiarostami est à Paris, et le 8 juin il commence le tournage de son prochain film - Copie conforme - à Lucignano, en Toscane. Hier soir il était sur France Culture pour parler de ses poèmes (ici). L’écouter ce matin avant d’aller faire passer des oraux – je les ai organisés et je suis un peu stressée – est un vrai cadeau. La journée commence sous les meilleurs auspices.

dimanche 17 mai 2009

Ils étaient descendus à l’hôtel de « La Vue sur le Fouji »

Le Fouji était là , face à l’entrée de l’hôtel, si près qu’on l’aurait touché. Pour la première fois, Satchi ko venue à côté du Fouji pouvait en admirer à son aise, le matin, le soir, tous les aspects changeants. Le lendemain de son arrivée, Satchi ko se reposait sur son lit après le déjeuner. D’un côté elle apercevait le sommet du Fouji, de l’autre les ondulations de la chaîne de montagnes entourant le lac. Sans raison particulière, elle vit dans son imagination un paysage qui était le bord d’un lac de Suisse qu’elle n’avait jamais vu et pensa au Prisonnier de Chillon de Byron. Pourquoi se figurait-elle qu’elle se trouvait dans ce pays lointain et non plus au Japon ? Elle pensait encore qu’elle se trouvait au fond d’un lac frais, respirant à pleins poumons un air qui frémissait comme un bouillonnement de gaz carbonique. Des petits nuages passaient et repassaient dans le ciel, voilant et dévoilant le soleil. Elle avait l’impression que la blancheur des murs agissait sur son esprit pour le rendre plus clair. On pouvait tendre l’oreille, on n’entendait pas un bruit. Dans le silence, Satchi ko regardait l’apparition et la disparition des rayons de lumière et perdait la notion du temps.

Quatre Soeurs de Tanizaki Jûnichiro

Plus que 80 pages...

samedi 16 mai 2009

Travel Writer

Il profitait du moindre embouteillage, du plus léger ralentissement dans la circulation, et à Londres, à 8h du matin, il était gâté. Ces quelques secondes grappillées aux feux rouges, cette minute glanée aux arrêts de bus lui étaient précieuses. Il détestait les embardées, les virages, les déviations, les coups de volant intempestifs. Pour pouvoir écrire son Journal dans un bus en toute tranquillité, il lui aurait fallu vivre dans une ville qu’Haussmann aurait marquée de sa patte, ou bien celle de Pingyao dans le Shanxi, dont le tracé ressemble à une carapace de tortue. Ça me démangeait de savoir ce qu’il écrivait dans son carnet noir. Il levait parfois la tête, observait la rue, et se remettait à écrire. Il remplissait des pages entières, revenait dessus, rajoutait quelques mots... Mais malheureusement je n’ai pu lui dérober que le mot « get » car il ne voulait vraisemblablement pas mettre ses transports en commun !

vendredi 15 mai 2009

Çe ne nous rajeunit pas...


Elle me raconte
Les Bahamas, ses voiliers blancs, sa mer bleu turquoise
Bali et ses cérémonies funéraires
Les pashminas du quartier indien de Singapour
Le parachute ascensionnel au-dessus de la mer Egée
Le survol de l’Ayers Rock au point du jour
Les poissons grillés du Brésil
Les colibris du Costa Rica
Dans ma tête défilent des images tirées du National Geographic...

Je lui laisse imaginer
Une maison en adobe comme celles des Pueblos au Nouveau Mexique
Une vallée inaccessible sans moyens de communication
Des champs à perte de vue
Des chaînes de montagne à l’infini
Un arbre solitaire
Un rare corbeau
Le pain très fin, qui se plie comme un drap

Je sais qu’elle pense que je ne tiendrais pas plus de 3 jours dans mon « paradis de terre », mais elle ne me le dit pas. Elle m’écoute et me comprend, c’est tout. Je ne me lasse pas de constater combien nous sommes différentes... Et c’est sûrement cela le secret de notre amitié de 22 ans.

jeudi 14 mai 2009

C’est au cinéma qu’on dort le mieux

Il dit qu’il avait l’habitude de quitter un cinéma quand une séquence lui avait plue, qu’il n’avait pas envie de connaître la suite du film. Je l’imagine se lever en pleine séance, dire pardon pardon, écraser dans le noir les pieds de ses voisins qui le regardent partir en râlant... Il dit qu’il sort du cinéma quand on essaye de lui raconter une histoire, qu’il aime les films ennuyeux, qui vous endorment, mais qui ont un effet durable sur vous, que vous essayez de reconstruire, qui vous tiennent éveillés la nuit. J’imagine qu’on lui tape sur l’épaule en lui chuchotant « Hé, tu dors ? ». Il ouvre quelques secondes les yeux pour mieux se rendormir. Je trouve tout cela très charmant – parce que c’est lui ! Mais je pense que je passerais mon temps à dire « non non, je ne suis pas avec lui! », moi qui regarde jusqu’au bout des films pleins d’effets spéciaux dont les explosions réveilleraient les morts !

mercredi 13 mai 2009

Faut pas (tout le temps) rêver...

Imagination is one of the most distinct and extraordinary gifts granted to human beings. Why do we dream? I finally found a reason. When do we resort to dreaming? At times when we are unhappy with our circumstances. No system of inquisition can control one’s fantasies. They can throw you in jail, but you still have the ability to live your sentence outside the prison without anyone holding you there. Through imagination, you can pass over insurmountable walls without leaving any trace of yourself, and you can always go back. Now the question is: once out, why go back? That has to do with the credibility of reality. You have to go back and see what your reality is. In fact, through dreaming, you have the opportunity to tolerate some of the unchangeable hardships of life. You get out, you dream, you are refreshed and you go back. It’s like being in a stuffy room and opening a window. You let the air come in and then you breathe. In my mind, our dreams are windows in our lives and the meaning of cinema is in its similarity to this window.
Abbas Kiarostami
Ce qui me plaît le plus dans cette citation d’Abbas Kiarostami, c’est quand il dit qu’il faut s’échapper de la réalité par le rêve et l’imagination mais qu’il faut aussi regarder la réalité en face. L’un ne va pas sans l’autre en quelque sorte. J’aime l’idée qu’il faille revenir de son plein gré « dans sa prison ». Quelle preuve de liberté ! J’avais vraiment besoin que quelqu’un que j’admire me rappelle une chose aussi simple que ça...

mardi 12 mai 2009

Les cheveux de la tortue

Parmi des centaines
de pierres petites et grosses
seule en mouvement
la tortue

Avec le vent d’ Abbas Kiarostami

Pourquoi, dans Le vent nous emportera, le beau film d’Abbas Kiarostami, celui que dans le village on appelle l’ingénieur, retourne du pied une brave tortue? Quand il reçoit un appel de Téhéran sur son portable, il doit sauter dans sa voiture et filer sur une petite hauteur où la communication passe mieux. C’est là-haut que les villageois enterrent leurs morts. Ce geste – de retourner cette pauvre tortue – est inexplicable. On voit Behzad remonter dans sa voiture et s’éloigner, avec cette tortue immobile, retournée sur sa carapace. Une fois la voiture disparue, la caméra revient sur l’animal qui arrive à se remettre sur ses pattes au prix de laborieux efforts. Kiarostami dit que cette tortue qui chemine péniblement parmi les tombes est un symbole de longévité. Behzad est venu de la capitale pour filmer un documentaire sur les funérailles d’une centenaire. Mais voilà, elle s’accroche à la vie. Il s’en prend à la tortue par frustration et dépit.
Ce film sur l’attente a couronné idéalement ma journée d’hier. Quand on attend quelqu’un ou quelque chose, un voyage par exemple, au début de l’attente on est très impatient, on ne sait pas si on aura la force de pouvoir tenir jusqu’au jour J. Et puis on trompe cette attente pour ne pas en souffrir. Pour mieux oublier les nôtres, on fait même siennes les attentes des autres, celles de personnages de roman par exemple : Youki ko va-t-elle enfin trouver un mari dans le roman de Tanizaki ? Mais au fur et à mesure que le jour de l’échéance se rapproche, l’attente renaît de plus belle. Des fois on oublie qu’on attendait comme quand on commande un livre avant sa publication et qu’on le retrouve un jour dans sa boîte aux lettres. Le pire serait de ne plus attendre. Voilà ce que je pensais hier à mon arrêt de bus, et toutes les tortues du monde auraient pu passer, je n’aurais pas touché à un seul de leurs cheveux !

lundi 11 mai 2009

Time and tide

blue skies
nothing but blue skies...
low tide

Kobayashi Issa
(1763-1827)

A Tsukudashima, « l’île aux rizières » à l’embouchure de la Sumida, on ne cultive plus le riz mais les gratte-ciel. La colonie de pêcheurs d’Osaka installée là en 1613 par Ieyasu pour fournir en poisson la ville d’Edo, se réduit à ces deux pêcheurs du dimanche qui laissaient flotter leurs lignes dans les eaux du fleuve. Seul le Sumiyoshi-jinja témoigne encore de leur dévotion au dieu de la mer. On brûlait des feuilles mortes dans l’enceinte du temple et il était difficile d’éviter les volutes de cette épaisse fumée âcre. Un an auparavant c’était aux vociférations d’un politique en campagne électorale, penché à la portière de sa voiture, auxquelles il avait fallu échapper. Mais le reste du temps c’est un endroit idéal pour lire tranquille, bercé par le clapotis de l’eau.On abandonne parfois la danse des mots pour celle du fleuve... Tiens ! un bateau vient de passer qui a déjà disparu de notre champ de vision. On ne l’avait pas entendu. Mais bientôt son sillage - qui ressemble à un filet de poisson - s’efface dans l’eau étale de la Sumida.

dimanche 10 mai 2009

Belle vie

Youki ko aimait les “soushis dansants” dont le patron était si fier, les langoustes qui remuaient encore quand on les servait au client.
- Mangez-la vite ! son esprit ne reviendra pas vous hanter.
- Un jour alors que j’étais à Shibouya, Tatsouo nous a invitées dans un restaurant spécialisé dans le poulet rôti. Le poulet était très bon ; mais ensuite ils ont tué une grenouille pour la faire griller ; elle a poussé un cri ! nous sommes devenues blanches toutes les deux. Youki ko a entendu ce couac toute la nuit dans les oreilles.
- Oh ! tais-toi ! dit Youki ko qui regarda encore une fois son « soushi dansant ».
Quand elle fut assuré qu’il ne dansait plus, elle prit ses baguettes.
Quatre soeurs de Tanizaki

Star Trek de J.J. Abrams n’est pas beau à regarder. L’histoire, les rapports entre les personnages, les effets spéciaux... bof. J’ai vu mieux et de plus exaltant. Pourquoi alors, en quittant le cinéma, me sentais-je aussi contente ? Parce que c’est un film sympa malgré tout, que c’est dimanche, qu’il fait beau, et que je me sens en vacances. Et surtout, j’adore aller au cinéma à 10h du matin. Il n’y avait personne, les magasins n’étaient pas encore ouverts... C’est un peu comme partir en voyage.
Chéri de Stephen Frears, par contre, est très beau à regarder. Il y a ce plan sur la mer à Biarritz. Une mer gris perle qui roulait, en vagues successives, sur le sable. On aurait dit la soie bordée de dentelle blanche d’une des somptueuses robes de l’héroïne. Mais pour le reste... Le Chéri en question manquait tellement de charme ! Et quand on comparait ses yeux à des soles – ce qui était un compliment – je pensait plutôt qu’il avait un museau de tanche ! Pourtant, là aussi, en sortant du cinéma, j’étais toute joyeuse. Parce qu’après avoir passé une journée délicieuse, ma soirée allait continuer sur la même note.
Coraline de Henry Selick est aussi très beau à regarder, plein d’invention et de génie visuel... mais l’histoire tient dans un mouchoir de poche. C’était marrant quand même de le voir en 3D. C’était vendredi et c’est bien ce jour-là que vraisemblablement la mouche tsé-tsé de la plus belle humeur du monde m’a piquée.

samedi 9 mai 2009

J'ai vu rouge

Il apparaissait de temps à autre sur la paupière gauche de Youki ko, au-dessous du sourcil, une petite ombre qui disparaissait ensuite.

Bruine de neige (Quatre soeurs) de Tanizaki Junichirô

Moi aussi, depuis deux jours, j’ai une tache rouge, mais dans l’oeil droit. Je lisais justement le livre ci-dessus quand j’ai vu comme une ombre se balader sur la page. J’ai cru d’abord à un effet de lumière. Le lendemain, j’avais l’oeil rouge sang. Ça m’apprendra à fréquenter les momies du British Museum ! Etait-ce une malédiction à la Toutankhamon ? Ou m’étais-je empoisonnée en feuilletant frénétiquement ce bouquin comme dans Le Nom de la Rose ? Serait-ce peut-être un virus livresque inédit? Comme je suis tombée récemment dans les escaliers chez Katie au moment même où celle-ci prononçait le nom de Nostradamus, j’ai cru que quelque chose ne tournait plus rond dans ma p’tite tête... que je m'étais foulé un os du cerveau. En plus, j’avais souffert récemment de trous de mémoire importants en ne me souvenant plus notamment du nom de Russell Crowe que je venais de voir sur un écran. Comment vérifier que ce n’était pas la fin des haricots? J’ai pris un remède de cheval : je me suis forcée à dresser la liste des films d’ Hirokazu Kore-eda (mon dada à moi) - d’aucuns diraient que se souvenir de son nom est déjà un exploit à lui tout seul ! Résultat des courses : ce n’était que de l’ hippo-condrie, comme d'hab'!

vendredi 8 mai 2009

Je ne monte pas sur mes grands chevaux mais...

C’est un phénomène de l’édition. La vente de ses livres atteint des chiffres mirobolants. Il pond des best-sellers à la douzaine. Son éditeur ne tarit pas d’éloges sur sa poule aux oeufs d’or. Pour convaincre ceux qui font la fine bouche, on ajoute toujours, dès qu’on mentionne son nom, qu’il est « traduit en plus de 23 langues », comme si les lecteurs étrangers avaient nécessairement plus de goût littéraire que les mauvais coucheurs nationaux. « Le livre est sorti ce matin, et 1h plus tard, j’en ai déjà vendu 10 exemplaires » se félicite une libraire. « Il se vend comme des petits pains ! » renchérit une autre. « On me harcèle au téléphone pour connaître le jour de la sortie de son dernier opus ».
Lui a le triomphe modeste. Il aime à raconter qu’un jour, dans un aéroport, apercevant une de ses lectrices plongée dans son dernier livre, il se serait approchée d’elle pour lui demander pourquoi ce livre semblait tant lui plaire, sans dévoiler son identité. Elle lui en aurait écrit la référence sur un bout de papier. Il jubilait.
Il méprise les critiques qui jugent son livre sans grand intérêt et sa prose vide de valeur littéraire. Il se gausse de ces gens qui font des fautes d’orthographe et de français dans leurs articles, comment peut-on les prendre au sérieux, hein ?
Sa mère lui a dit « Lis Flaubert, mais après lis Agatha Christie. » C’est ce qui lui a donné l’envie d’écrire des livres d’amour et de suspense. Il a gagné un petit concours de nouvelles en classe de 4e. Depuis il se balade avec un carnet où il note citations et embryons d’histoires. La façon dont il parle de son nouveau personnage est presque clinique, policier, on sent la formule, la petite fiche, quelque chose comme « pilote d’hélico au dessus du grand canyon, elle a un grain de beauté entre les omoplates, son père l’a beaucoup aimée, elle a un chien et deux canaris ».
Il vit entre Paris et Antibes et son plus grand luxe est d’amener, sur un coup de tête, « la femme qu’il aime » à New York, voir une expo, sans que cela n’écorne son budget.
Dans l’émission où il était invité, on s’est bien gardé de lire un extrait de son nouveau bouquin. En écoutant sa voix terne et mesurée, précautionneuse comme s’il s’était guéri d’un bégaiement, je me disais « Il n’écrit pas pour moi, voilà tout ». On m’a connue moins philosophe !

jeudi 7 mai 2009

D'abord on ne retient que "ko ko ko ko"...

- Koi san, veux-tu m’aider?
Ce sont les premiers mots de Quatre soeurs de Junichirō Tanizaki dont je transporte les 889 pages partout avec moi. C’est aussi bon de le lire que de subir le supplice de Tantale de ne pas pouvoir le faire. Dans le bus je sais que je vais tellement être emportée par ma lecture que je referme mon livre plusieurs arrêts avant ma destination car je sais que je pourrais facilement oublier de descendre ! Pourtant au début je pestais contre les noms des soeurs Makioka – Tsuru ko, Youki ko, Tae ko, Satchi ko - et de leur fille et nièce Etsou ko, qui m’embrouillaient. Mais, très vite, le brouillard initial se dissipe et les personnages nous apparaissent clairement. Et voilà, on ne peut plus lâcher le livre. On ne peut pas dire que l’action y soit palpitante, mais j’aime cette attente imprécise, ces développements souterrains, discrets et doux, comme dans la vie. C'est beau, c'est drôle, c’est érudit, c’est émouvant...

mercredi 6 mai 2009

Comme un lotus de Shinobazu

Mon premier été à Londres, j’avais trouvé un petit boulot d’enquêtes par téléphone où je gagnais une fortune (£5 de l’heure !) pour appeler dans toute la France des chefs d’entreprise, des directeurs commerciaux ou des artisans, et leur poser des questions fascinantes sur les différents bois, les marques de peintures ou les motoculteurs qu'ils utilisaient.
Je travaillais tous les jours sauf le week-end, partais très tôt le matin – Oxford Circus, à 7h30 du matin en été, c’est extraordinaire - et rentrais vers 19h. J’avais une heure de pause déjeuner où j’allais m’acheter un sandwich au saumon fumé. Je ne me lassais pas de manger du saumon fumé tous les jours, pour trois fois rien, alors que jusque-là je n’en trouvais dans mon assiette qu’au Nouvel An, et encore, une tranche presque transparente.
A Tours, je n’avais jamais pu obtenir de job d’été. Il y en avait peu et j’étais trop nouvelle dans la ville pour bénéficier du moindre piston. J'avais une petite chambre chez un couple de logeurs qui fouinaient dans mes affaires. Je dépendais de mon père pour toutes mes dépenses.
A Londres, je logeais dans un superbe appartement de Notting Hill, prêté par une amie. Je ne payais encore ni impôts, ni loyer. J’avais à la banque plus d’argent que je n’en avais jamais eu de ma vie. En septembre, j’allais obtenir mon diplôme de Maîtrise et dans la foulée donner des cours dans deux facs londoniennes après seulement une année en tant qu’assistante, où je m’étais aussi épanouie que les lotus de l’étang de Shinobazu au printemps, parmi des gens qui m’avaient accueillie les bras ouverts. Je jouissais d’une liberté sans bornes. La vie était un jeu étourdissant.
Je n’ai jamais oublié ce premier travail, mais le lieu exact où il se trouvait s’est effacé malgré moi de mon souvenir - surtout que la physionomie du quartier a beaucoup subi de liftings. La mémoire m’est soudain revenue vendredi dernier, en passant pour la énième fois à M... très tôt le matin, pour aller prendre un café à deux pas de la fac. Je me suis soudain rappelé que l’entreprise s’appelait M... aussi, et il ne m’a fallu que trente secondes pour en repérer la porte d’entrée devant laquelle je passe régulièrement depuis plusieurs années sans que cela ne m'interpelle.
Si ma mémoire s’est soudain réveillée c’est peut-être parce qu’en ce moment, sous ce beau soleil prinatnier, ce que je ressens est proche des sentiments qui agitaient cette jeune Agnès de 24 ans, à qui une nouvelle vie pleine de surprises tendait les bras et qui s’y jetait, insouciante.

mardi 5 mai 2009

Je l’aurais haché menu comme chair à pâté

C’est une de ces personnes que j’ai laissées sur le carreau, pour mon plus grand bien. Parfois j’imagine que je tombe sur lui par hasard et qu’il me demande des explications. Je serais bien en peine de lui en fournir car la liste de mes griefs seraient trop longue et dérisoire. A Londres je n’avais pas vu ces traits de caractère rédhibitoires pour moi : il était fatigué de naissance, il avait des cactus dans les poches, rien ne trouvait grâce à ses yeux, il était toujours en retard et à la traîne, et il ne voyait pas plus loin que le bout de son nez. Mais à Tokyo, tout s’est révélé... Peu à peu je l’oublie et, de voyage en voyage, je l’exorcise. Mais il me faudra encore plusieurs séjours pour qu’aucun coin de Tokyo ne me le rappelle. Car son souvenir plane encore dans les allées du jardin Hamarikyu : une vague histoire de lunettes cassées et de prix d’entrée... Je les aurais bien piétinées de rage, ses foutues lunettes de New York auxquelles il tenait tant !Dans les ruelles de Shibuya : en sortant du Cinema Rise, il cherche toujours à m’expliquer avec moult gestes les cadrages de Umoregi (La forêt oubliée) de Kōhei Oguri, dans lequel joue Tadanobu Asano. Et combien de temps encore l’entendrais-je m’annoncer sur un ton vaniteux, qu’une foule de Japonais se faisaient un point d’honneur de venir feuilleter l’édition nippone d’un bouquin auquel il avait contribué : il avait soi-disant observé leur manège toute une après-midi. Heureusement que je l’avais très vite abandonné à son triste sort pour me balader toute seule! Lui restait abattu par la chaleur dans la chambre d’hôtel...
Sinon il aurait fini dans les douves du Palais Impérial...Dans les eaux grises de la Sumida...
Ou criblé de chevrotine par ce chasseur de canards de l’Hamarikyu !

Je dois être juste et le remercier de m’avoir entraînée à Tokyo dans un premier voyage si frustrant qu’il m’a donné une soif de connaissance que je ne pourrais jamais étancher.