C’est une de ces personnes que j’ai laissées sur le carreau, pour mon plus grand bien. Parfois j’imagine que je tombe sur lui par hasard et qu’il me demande des explications. Je serais bien en peine de lui en fournir car la liste de mes griefs seraient trop longue et dérisoire. A Londres je n’avais pas vu ces traits de caractère rédhibitoires pour moi : il était fatigué de naissance, il avait des cactus dans les poches, rien ne trouvait grâce à ses yeux, il était toujours en retard et à la traîne, et il ne voyait pas plus loin que le bout de son nez. Mais à Tokyo, tout s’est révélé... Peu à peu je l’oublie et, de voyage en voyage, je l’exorcise. Mais il me faudra encore plusieurs séjours pour qu’aucun coin de Tokyo ne me le rappelle. Car son souvenir plane encore dans les allées du jardin Hamarikyu : une vague histoire de lunettes cassées et de prix d’entrée... Je les aurais bien piétinées de rage, ses foutues lunettes de New York auxquelles il tenait tant !Dans les ruelles de Shibuya : en sortant du Cinema Rise, il cherche toujours à m’expliquer avec moult gestes les cadrages de Umoregi (La forêt oubliée) de Kōhei Oguri, dans lequel joue Tadanobu Asano. Et combien de temps encore l’entendrais-je m’annoncer sur un ton vaniteux, qu’une foule de Japonais se faisaient un point d’honneur de venir feuilleter l’édition nippone d’un bouquin auquel il avait contribué : il avait soi-disant observé leur manège toute une après-midi. Heureusement que je l’avais très vite abandonné à son triste sort pour me balader toute seule! Lui restait abattu par la chaleur dans la chambre d’hôtel...
Sinon il aurait fini dans les douves du Palais Impérial...Dans les eaux grises de la Sumida... Ou criblé de chevrotine par ce chasseur de canards de l’Hamarikyu !
Je dois être juste et le remercier de m’avoir entraînée à Tokyo dans un premier voyage si frustrant qu’il m’a donné une soif de connaissance que je ne pourrais jamais étancher.
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