dimanche 30 novembre 2008

Chaussures à son pied


Certains s’étonnent que je donne encore des leçons privées, et qu’en plus j’aime ça. Si on omet leur aspect sonnant et trébuchant, ces cours de conversation, de traduction, de révision - et de respiration pour moi - autour d’un café, m’apportent beaucoup. Souvent nos vies personnelles servent de base à nos leçons, et j’ai l’impression alors d’être une journaliste, arrivée là recueillir une tranche de vie. Raconter une histoire qui nous a touchés, dans une langue étrangère qui plus est, c’est doublement une forme de thérapie. Voici la plus récente de ces histoires :

« Une amie et moi sortions d’un cinéma quand nous sommes tombées sur T., dont j’étais follement amoureuse. Enfin, amoureuse... A chaque fois que je parle de ce que j’éprouvais pour lui, je dois me reprendre, parce que cela n’était pas de l’amour, je le sais maintenant, mais une obsession à sens unique. Je remarque que j’emploie toujours d'abord le mot amour à son encontre avant de me corriger, et ça m’ennuie. Il se tenait devant nous, et son regard a glissé de moi à ma copine, comme s’il me gommait du tableau. Je me souviendrai toujours de ce regard froid qui glisse, dans un travelling qui m’a paru infini, d’elle à moi, qui me montre qu’il évite le mien. J’entends encore son enthousiasme surjoué quand il lui parle. Puis elle et moi sommes allées faire les magasins. L’image qui me vient à l’esprit pour représenter ma blessure d’amour propre, c’est que je marchais avec des couteaux plantés dans le corps, j’étais comme un porc-épic. Nous avons dépassé un pub australien immense qui avait pignon sur rue vers Haymarket. Ses vitres étaient bleues. Pourquoi est-ce que je me souviens de cet endroit particulier ? Existe-t-il encore ? Peut-être qu’en ce samedi après-midi le lieu était bondé, et que le brouhaha joyeux qui se déversait sur la chaussée rendait ma peine d’autant plus cruelle. Dans Oxford street, nous sommes entrées dans un magasin de chaussures un peu cheap. Là, sur un coup de tête, je me suis acheté une paire d’escarpins à talons aiguilles pyramidaux assez vulgaires, moi qui n’en avais jamais porté de ma vie ! Deux jours après je les ai donnés : chez moi, quand j’avais voulu les chausser, je vacillais et manquais de me casser la cheville et le cou au moindre pas. Je n’ai compris que plus tard la portée de cet achat qui ne me ressemblait pas. »

La conversation a ensuite dévié, et nous nous sommes mises à parler du Credit Crunch, de la crise financière et des magasins de Oxford street qui, pour attirer des clients de plus en plus récalcitrants, tentaient de les appâter à coup de promotions et en ouvrant leurs portes dès 7h du matin ! « C’est vrai, maintenant, quand ils voient un client, les boutiquiers sont ravis et redoublent de prévenances » s’est-elle exclamée. Soudain, elle a pris une de ses chaussures dans la main pour me la montrer : « Les vendeuses étaient ravies ! J’en ai acheté trois paires ! » J’ai regardé la chaussure qu’elle m’agitait sous le nez : un ravissant modèle hors de prix de chez Christian Louboutin, un dernier cri, reconnaissable à sa semelle écarlate et à ses talons aiguilles pyramidaux...

samedi 29 novembre 2008

Des bricoles

En calculant le nombre d’heures qu’il me faudrait pour venir à bout de toutes mes corrections, j’ai imaginé un robot qui s’occuperait de la tonne de copies que j’ai à corriger chaque semaine. Il suffirait d’entrer le code du cours, le niveau, les critères et hop ! Pendant qu’il s’activerait, je resterais vautrée sur mon lit. De temps en temps, je lèverais le nez pour vérifier que tout va bien. J’admirerais les commentaires au bout de la copie, toujours motivants, sachant aiguiller l’étudiant vers un progrès assuré... Puis, par une fente, je glisserais le carnet de notes, et il imprimerait les données en face des noms.

En déambulant dans les travées de mon supermarché favori, j’ai imaginé qu’il pourrait aussi me concocter de petits plats, variés et équilibrés, dont les recettes seraient piochées dans toutes les cuisines du monde. Il y aurait des boutons où les plats préférés auraient été programmés : la touche couscous, celle de l’agneau aux épinards à l’indienne, et celle des nouilles à la singapourienne seraient usées. Il serait de connivence avec mon frigo, et celui-ci serait branché sur internet. On me livrerait les courses directement. J’aurais réglé le budget pour que ces deux compères gourmets ne me ruinent pas à mon insu!

Si toutes ces tâches me reviennent c’est qu’en anglais bricolage se dit D.I.Y (do it yourself). Je trouverais peut-être mon bricoleur de génie au Japon ? Qui sait ?

vendredi 28 novembre 2008

J’ai dû semer de l’hémérocalle un peu partout


Une femme a des regrets d’avoir quitté son mari : Maintenant il est tard, mais des graines de l’herbe d’oubli en votre coeur je voudrais n’avoir pas semé.
Il répondit : Si, du moins, j’apprenais que tu fais pousser en ton coeur l’herbe d’oubli, je saurais que tu m’aimais.

XXIe épisode des Contes d’Ise


Plus que deux semaines de cours... Mais où est donc passé le mois de novembre ? Des « je suis crevé/e », « je n’en peux plus », « vivement que ça finisse », s’élèvent de toutes parts. Profs et étudiants sont sur les genoux. On ne parle plus que de ça : de la quille ! Certains – pauvres fous – s’échinent à nous parler de la rentrée de janvier : les tests, les réunions, les examens à préparer... Nous les écartons d’un revers de main. Nous sommes prêts à dire oui à tout. Tout cela nous semble si loin... Les vacances passeront le plus lentement du monde, c’est notre espoir. Toutes les difficultés s’aplaniront avec la trêve des confiseurs. Et j’ai peur d’oublier tout ce que j’ai à faire avant de partir. Je frise le « wishful thinking », de prendre mes désirs pour la réalité et d’oublier les paquets de copies dans un café, les traductions à faire, les documents pour les cours, mes clés et surtout ma montre... Je n’ai envie que de préparer mon voyage et de rêver à des itinéraires tortueux qui me mènent d’un temple à un sanctuaire à travers des forêts de bambous... Et de fêter la Noël 15 jours à l’avance avec tous mes amis, c’est tout !

jeudi 27 novembre 2008

Le Monde des Livres 3/3

Le plus bizarre dans le placard aux livres ce sont toutes ces biographies sur l’ Impératrice d’Autriche Elizabeth (Sissi). Il y a une raison à cela : le premier livre que je me souviens avoir adoré, vers 6 ou 7 ans – et que j’ai toujours en ma possession – était sur la vie de Sissi. Je lisais et relisais ce livre pour enfant sans savoir qu’elle avait vraiment existé. Je devais avoir 9 ans quand je l’ai appris par hasard en lisant un magazine d’histoire qu’on recevait chez nous. Un vrai choc. Je n’en finissais pas de faire des comparaisons entre la vraie histoire et la façon dont on l’avait édulcorée. Comme si on avait voulu tromper l’enfant que j’étais. Au collège j’étais imbattable sur les causes de la première guerre mondiale et l’empire austro-hongrois. Mais quand nous parlions de l’Empereur François Joseph, je voyais sous ce vieillard aux favoris broussailleux, le fringant empereur qui, tenant tête à sa mère - la méchante archiduchesse Sophie - refusait la main de sa cousine Hélène et tombait amoureux de la jeune Elizabeth. J'ai beaucoup appris de mon questionnement. Et puis en 6e, notre excellent prof de français, M. Germain, nous avait donné une longue liste de lecture pour les vacances de Noël. J’allais pour la première fois lire de vrais livres. J’ai commecé par Premier Amour de Tourgueniev :

Seize ans ! le bel âge pour Vladimir Pétrovitch. Zinaïda en a vingt et un. Elle prend plaisir à l'appeler monsieur Voldémar. Il porte encore veste courte col rabattu : un enfant amoureux de la jeune princesse pour l'avoir vue par-dessus la palissade de son domaine. Premier amour, premiers tourments. Tour à tour, il connaît la tristesse, l'exaltation subite, l'allégresse trouble, l'espoir et la crainte selon l'humeur de Zinaïda. D'abord insouciante, coquette, la jeune fille devient froide, mystérieuse. Vladimir songe à un rival secret. Il s'étonne de la voir caracoler à cheval avec son père et d'étranges soupçons l'envahissent. Mais comment s'y arrêter.. L'amour est aveugle et Vladimir inconscient du drame qui se joue à ses côtés.

J’ai continué avec Ravage de Barjavel

De l'autre côté de la Seine une coulée de quintessence enflammée atteint, dans les sous-sols de la caserne de Chaillot, ancien Trocadéro, le dépôt de munitions et le laboratoire de recherches des poudres. Une formidable explosion entrouvre la colline. Des pans de murs, des colonnes, des rochers, des tonnes de débris montent au-dessus du fleuve, retombent sur la foule agenouillée qui râle son adoration et sa peur, fendent les crânes, arrachent les membres, brisent les os. Un énorme bloc de terre et de ciment aplatit d'un seul coup la moitié des fidèles de la paroisse du Gros-Caillou. En haut de la Tour, un jet de flammes arrache l'ostensoir des mains du prêtre épouvanté.

et L’Assommoir de Zola

De ces trois livres c’est le Zola que j’avais le plus aimé, peut-être parce que je voyais beaucoup de misère autour de moi. Le Barjavel m’avait épouvantée (ça ne m’étonne pas en en lisant le résumé...) et le Tourgueniev laissée indifférente, mais je pense que c’est lui, le premier vrai livre que j’ai lu de ma vie. Je me souviens aussi de ma surprise que mes parents aient tous les livres recommandés par le prof, qu’ils les avaient tous lus, et beaucoup beaucoup d’autres encore. C’était parti...

Voilà, pour la énième fois j’ai mis de l’ordre dans ce qui me tient de bibliothèque. J’ai mis à portée de main, Crime et Châtiment de Dostoïevski. Non pour m’en débarrasser, bien sûr, mais pour le lire !

mercredi 26 novembre 2008

Le Monde des Livres 2/3

Dans le noir du placard aux livres, les indispensables Stendhal, Flaubert, Balzac, Zola, Maupassant (ces deux derniers dans une collection qui me vient de mes parents) et Proust, côtoient pêle-mêle Thomas et Klaus Mann, Rainer Maria Rilke, Franz Kafka (les seuls Pléiades que j’ai. C’est de lui et sur lui que j’ai le plus de livres) et Milan Kundera (mais ce dernier plus pour très longtemps, il ne m’intéresse plus du tout).

La Grande Mademoiselle, Alma Mahler-Werfel (son extraordinaire journal), Benoîte Groult, Marie Cardinal, Marguerite Duras, Simone de Beauvoir et Edith Wharton manquent de s’écrouler sur Cicéron, Suétone, Pline le Jeune et Martial.

Baudelaire, Rimbaud, Federico García Lorca et Joseph Brodsky, reposent de tout leur poids sur les oeuvres complètes de Molière, La Bruyère et Rabelais.

Laurence Sterne (Tristram Shandy) et D.H. Lawrence (The Plumed Serpent), Lord Byron, Samuel Richardson (Clarissa), John Fante, Shakespeare et Walt Whitman, jouent des coudes avec Voltaire, Diderot et Beaumarchais.

Tolstoï et Dostoïevski (que j’ai régulièrement envie de relire) écrasent de leurs poids conjugués Umberto Eco (des essais, pas ses romans) et Juan Goytisolo.

Jorge Semprún et Jean-Christophe Petitfils (Louis XIII, XIV et XVI) aplatissent Roland Barthes et Philippe Sollers (1 seulement).

Il y a aussi deux ouvrages dont le petit format n’est pas pratique à caser : La Bible (témoin d’une option d’histoire à la fac) et un Missel qui me vient de ma grand-mère.
Pendant ce temps, Murakami, Kawabata et Shikibu se pavanent à l’air libre, comme des oiseaux hors de leurs cages, dans tout l’appartement.

mardi 25 novembre 2008

Le Monde des Livres 1/3


Au début, je ne devais rester que quelques mois à Londres. Dès que j’ai su que mon séjour se prolongerait – au delà de 2008, qui l’aurait cru ? - , au compte gouttes, insensiblement, les livres se sont mis à garnir mes rebords de fenêtre d’abord, puis les moindres recoins des lieux où j’ai vécu. C’est petit chez moi et c’est tant mieux. Et comme ce que j’ai le plus ce sont des livres, ils font régulièrement les frais de mes besoins d’espace. Bizarrement je n’ai jamais eu de bibliothèque ou de vraies étagères où les entreposer. Qui pourrait soupçonner toutes ces piles de bouquins tapis dans un placard que je ne peux atteindre qu’en plongeant dedans tête la première ? Ils ont un point commun : ils ne sont ni japonais ni chinois car ceux-ci sont les chouchous du moment et s’ils s’amoncèlent, c’est sous mes yeux qui les couvent tendrement.

lundi 24 novembre 2008

Où es-tu quand je ne te vois ?

Dans mon enfance ils s’appelaient l’Olympia, le Rex, le Lynx, le Lutetia, et le Rialto. Dans mon adolescence le Caméo et les Studios. Aujourd’hui ils se nomment le Rio ou le Curzon Soho... Pourquoi les noms des cinémas se terminent-ils si souvent en « o » ? Mystère et boule de gomme !
De tous les cinémas de Tokyo que j’ai fréquentés - le Toei, le Picadilly, le Palace, le Rise, le Quinto et « Le Cinema » à Shibuya ; le Togeki à Higashi Ginza ; le Mediage à Odaiba ; le Cine Libre et le Shin Bungeiza à Ikebukuro ; le Yebisu Garden à Ebisu ; le Toho à Roppongi Hills... j’ai un faible pour le Cinema Angelica où je n’ai pourtant jamais mis les pieds. Ayant écumé toutes les autres salles, il ne me restait plus sur ma liste que La reine des neiges de Lev Atamanov (1957). Malgré tous mes efforts, je n’ai jamais pu le trouver. Il avait fini par me faire penser au château enchanté du Roi Pêcheur, tel que le décrit vers 1180 Chrétien de Troyes dans Perceval ou le Conte du Graal. Ce cinéma de Shibuya n’a rien à envier au Palais Aventureux de Carbonek qui abrite le Graal, qui n’apparaît qu’aux preux chevalier pour s’évanouir comme par enchantement dès qu’ils s’en éloignent. Je n’étais peut-être pas assez angélique pour en franchir le seuil..

dimanche 23 novembre 2008

London Hi-tech et sous la neige

Ici, au pays de James Bond, de dessous notre couette douillette, il nous suffit d’appuyer sur un bouton pour savoir si le jour s’est levé ainsi que le temps qu’il fait. Aussitôt, comme autant de télescopes, ou la colombe de Noé, des antennes s’échappent des toits et scrutent la voûte céleste. Si jamais une épaisse couche de nuages plombe le ciel, on appuie sur un autre bouton et les branches des arbres s’agitent frénétiquement pour les disperser. Puis, de leurs doigts fins et délicats, leurs petites mains nous tissent une aube sur mesure. Hier j’avais demandé un ciel aussi bleu que sait l’être celui du Japon. J’ai été exaucée.Mais parfois notre haute technologie tombe en panne.Sans les impulsions de notre télécommande, nos arbres se tiennent immobiles dans le noir et blanc ambiant. Ils se recouvrent peu à peu, en commençant par leur sommet, d’une fine pellicule d’or. Une fois la connexion rétablie, il nous suffira de les faire s’agiter et de nous précipiter à leurs pieds pour remplir de grands paniers de paillettes.Le samedi est jour de sortie des avions. Du sol, à l’aide d’une manette, ils nous servent de stylets. Nous pouvons alors, pour passer le temps, zébrer le ciel de nos gribouillis Ou, pour ceux que cela amuse, pratiquer nos hiraganas, nos katakanas ou nos kanjis. Ce matin il neige. Hier soir des essais étaient pratiqués près de Marylebone High Street. Vu la taille des flocons, je juge plus prudent d'hiberner. Qu'il neige, qu'il vente, peut me chaut la couleur du ciel aujourd'hui!

samedi 22 novembre 2008

Le hasard a bien fait les choses...

On dit que c’est par hasard que les Soeurs Tatin auraient créé leur célèbre et goûteuse tarte. Moi, c’est dans ce café accueillant que j’ai résisté au plus savoureux des gâteaux. Je n’en reviens toujours pas.Mais il y a café et café... C’est en poireautant pendant 20 minutes dans celui-ci que j’ai découvert que je pouvais faire des photos en noir et blanc avec l’appareil que j’ai depuis plus d’un an... et même des films ! Je n’en reviens toujours pas !J’aurais été bien moins surprise en voyant un ange prendre son envol en face du supermarché!
Elle m’a dit, en regardant les tableaux sur le mur: Au premier abord ils semblent bizarres et puis... C'est vrai... C’est celui-ci que je préfère. Et je suis certaine que c’est de l’avoir eu sous le nez qui m’a permis de supporter le supplice de Tantale de prendre le thé à un mètre des plus moelleux et des plus crémeux gâteaux de Londres. Je n’en reviens toujours pas !

vendredi 21 novembre 2008

Le jour et la nuit, et pourtant...


Quand j’ai rendez-vous dans ce café de la City, je me demande toujours pourquoi il me fait penser au quartier d’ Ebisu à Tokyo et particulièrement au Yebisu Garden Place. A part la couleur des murs marron-rose, honnêtement, ils n’ont rien en commun. Et pourtant, mon esprit associe immanquablement ces deux endroits. Vous aurez beau y chercher un grand magasin, un hôtel de luxe, un musée de la photo, des tapis roulants immenses, la réplique d’un château renaissance, la table d’un grand chef, un cinéma, et une multitude de boutiques grand luxe, vous ferez chou blanc. Leur lien dans mon esprit ne tient qu’à un fil : au Yebisu Garden Place, on passe souvent de l’ombre à la lumière en circulant entre l’esplanade et ses cafés, les corridors sombres et venteux, les cours intérieures, les escaliers feutrés, le marbre, les tapis, les dalles... Un jour j’ai dû aussi, en attendant un film, me pencher et voir un bout de terrasse de café et avoir eu une sensation de soif. Dans le tiroir de ma mémoire étiqueté Ebisu on trouve ce jeu de couleurs et de sensations, un regard furtif et de guingois, le tout enrobé d’oisiveté. Voyez par vous-mêmes ICI

jeudi 20 novembre 2008

Madame Bovary, c'est pas moi!

http://www.monbeausapin.org/ : vous rigolerez et ferez une bonne action...

Je viens de voir Un coeur simple de Marion Laine avec ma classe. Quel beau film. On y voit de nombreux clins d'oeil à toute l'oeuvre de Flaubert et notamment à l' Education sentimentale. Madame Aubain et son laudanum fait penser à Madame Bovary et son arsenic, son prof de musique qui la dévore des yeux est le Frédéric de Madame Arnoux... A mon bac de français, j'étais tombée sur l'agonie d'Emma Bovary. J'ai dit à la harpie qui me servait d'examinatrice, que Flaubert tournait autour du lit de son héroïne comme avec une caméra. Cette méchante m'avait ri au nez: "Le cinéma avait-il été inventé à l'époque?", m'avait-elle lancé à la figure, me déstabilisant complètement.... 7/20. Bien plus tard, ce n'est plus au lycée mais dans une fac anglaise que je retombe sur Flaubert. Je dois comparer deux passages d' Un coeur simple. Je choisis la chambre de Félicité éclairée d'une lucarne "qui donne sur les prairies" et l'endroit où se tient Madame Aubain toute la journée, devant "la croisée". Là aussi... le prof ne veut pas me noter, la note serait trop basse... ! Je me remets au travail et m'attaque à Salammbô. Ma note dépasse toute mes espérances: 16/20. J'ai récemment retrouvé mes essais. Je les ai relus avec l'oeil du prof aguerri, et je ne jouerais pas les modestes, ils étaient excellents. Je les ai foutus à la poubelle. J'ai reconnu dans le film de Marion Laine et dans sa façon de traiter l'espace dévolu à Félicité par Madame Aubain, et celui que se réserve jalousement celle-ci, qui vont jusqu'à se confondre - la domestique meurt dans un capharnaüm composé aussi des reliques de sa patronne sous forme de meubles et d'objets divers - ce que j'avais dit dans mon essai pas digne d'être corrigé et j'ai enterré une bonne fois pour toute ces deux vieux profs aigris.

mercredi 19 novembre 2008

Le Japaon


Un paon se pavanait sur la scène, et picorait des graines de kumquat. De temps en temps, il nous jaugeait, remuant sa fine tête de droite à gauche et de gauche à droite. Puis, comme lassé de notre silence et de notre immobilité, il se détournait pour contempler les danseurs, leurs corps nus couverts de poudre blanche, zébrés de rouge comme autant de cicatrices béantes, qui se mouvaient comme des automates, se roulaient soudain sur le sol, la bouche ouverte happant l’air, ou entamaient une course folle sur une musique assourdissante. Kinkan Shonen ou graine de Kumquat: quel symbole le paon revêt-il au Japon ? Je crois que c'est l'oiseau du Bouddha. Que signifiait sa présence au coeur de cette représentation butoh des rêves d’un jeune garçon, peuplés de soldats qui se font mitrailler, d’automates et de robots futuristes, de combats de sumo... ? En fait, il avait plus de présence, plus de chair, que ces silhouettes humaines de poudre et de lumière. J’aurais donné cher pour savoir ce qu’il « paonsait ».

mardi 18 novembre 2008

L'avion de 5h du matin


Comment expliquer qu’une aube aussi belle et prometteuse se termine en grisaille humide moins d’une heure plus tard?

Je me lève toujours à la même heure, été comme hiver, quand un avion, dont j’ignore la destination, passe au dessus de mon quartier. Peut-être va-t-il se poser à Heathrow ? Le temps d’aller dans la cuisine et on ne voit plus que son sillage dans le ciel.
Même sous d’autres latitudes je me lève à 5h du matin. Est-ce génétique ou seulement une habitude ?
Dans trois semaines environ je pourrai voir si c’est toujours vrai.

lundi 17 novembre 2008

La nostalgie n'est plus ce qu'elle était

Au moment de nous séparer elle m’a dit : Depuis que j’ai des enfants, je suis devenue très émotive. Et elle a fondu en larmes. Cela m’a suffit pour faire de même, moi qui suis émotive par définition. En fait, j’avais eu du vague à l’âme toute la journée. Je ne m’étais pas aventurée un samedi après-midi dans le West End depuis des années, j’imaginais que nous allions devoir fendre une foule animée prise par la folie des achats et se faire marcher sur les pieds... mais bizarrement, il n’y avait pas grand monde, les rues étaient ternes. Pour attirer les clients, un magasin de sport avait fait appel à des « statues humaines immobiles » peintes en rouge, vert et bleu. C’était d’un mauvais goût ! Alors tout cela ajoutait à ma tristesse de la voir repartir dans sa Suède natale. Je lui ai promis d’aller lui rendre visite en 2009.
Puis j’ai marché jusqu’au South Bank, en glanant des photos çà et là, images aux fortunes diverses, pour me changer les idées et stopper mes larmes, mais j’avais vraiment le coeur gros. Si nous avons pu aussi bien nous accorder cette semaine comme il y a 17 ans, c’est que ce que nous sommes au fond n’a pas changé. C’est un peu comme si quelqu’un de ma famille m’avait rendu visite, quelqu’un qui m’aurait connue sous d’autres cieux, et saurait des choses que les gens que je côtoie quotidiennement ne sauraient pas de moi. Oh, elle n’est pas détentrice de secrets: ma vie, depuis notre rencontre, file la même trame si ce n’est l’éclosion de mes goûts pour la culture japonaise...
Il y aurait un certain confort à rencontrer régulièrement quelqu’un qui vous rappelle que vous faisiez des oeufs florentine et une mousse au chocolat à tomber, que, amoureuse de Christian Slater après l'avoir vu dans True Romance de Tony Scott (1993), vous vous étiez mise à porter un sweat-shirt à capuche comme lui, ou que dans votre grande chambre sous les toits, vous aviez l’habitude de montrer les photos de réalisateurs et d’écrivains sur le mur en disant: « Lui je l’aime mais lui... c’est mon favorite favorite », et d’autres petits riens.
Quand nous évoquons cette époque, je vois bien la chambre, je vois clairement le sweat à capuche et je pourrais indiquer le magasin où je l’avais acheté, je vois le resto mexicain et sa fameuse salade de crabe, mais moi, je ne me vois pas, je ne m'imagine pas, c'est des sentiments diffus, ondoyants, c'est tout. La personne qui revisite ces moments est un peu comme ces cavaliers sans visage dans Lord of the Rings.
J’ai traversé le Strand et ses néons ont fini par me consoler. Mon chagrin a fait place à la joie de savoir que cette amitié n’est pas prêt de disparaître.
Il faudrait, dans la ville, créer des espaces où les gens qui auraient subitement besoin de verser de chaudes larmes, puissent se rendre et s’épancher. On les mettrait au sortir des cinémas, près des quais des gares ou des métros et un peu partout. C’est trop dur de devoir retenir ses larmes, ou de les essuyer furtivement, l’air de rien, en attendant qu’elles se tarissent d’elles-mêmes !
Peut-être aurais-je dû retourner à Covent Garden, me renverser un bidon de peinture sur la tête et rester immobile et pleurer. On aurait peut-être fait cercle autour de ma performance et jeté quelques piécettes, qui sait ?
J’ai pris le Waterloo bridge. Tout le monde s’était donné le mot et tentait de photographier ses lumières. Certains avaient des appareils très sophistiqués. Moi j’ai fait ce que j’ai pu. La Tamise noire était survolée par des mouettes aux cris stridents.
J'allais voir Tokyo! (2008), le film à sketchs de Michel Gondry, Léos Carax et Bong Joon-ho. J’ai adoré ce film. Il est très drôle et très juste et les histoires se répondent parfaitement et subtilement. Ma préférée est Interior design de Michel Gondry, qui couronnait bien ma journée : à un moment Hiroko entend une conversation. On dit d’elle qu’elle ne fait rien à part découper des photos dans les magazines. Son copain se plaint de son manque d’ambition. Et à la fin, elle fait ce qu’elle aime : des collages avec des photos découpées dans les magazines, et elle est heureuse.
Il y a bien d’autres choses dans ce sketch, mais ce qui m’a le plus plu c’est cette histoire de découpages, parce que je suis pareille et je me contenterais bien de ça, sans plus. Le dernier sketch s’intitulait Shaking Tokyo de Bong Joon-ho et son interprète principal est Teruyuki Kagawa. Au moment où j’étais en train de voir ce film et où je me disais « est-ce l’acteur de Tokyo Sonata de Kiyoshi Kurosawa ? », ce même film était couronné au festival de Mar del Plata en Argentine : Kiyoshi Kurosawa recevant « el Astor de Plata » du meilleur réalisateur. Un des membres du jury était Yu Lik-wai dont je parle à longueur de billets... C’était vraiment un bouquet garni de mes favourite-favourite d’aujourd’hui ! J’ai pensé qu’en fait, du plus loin qu'il m’en souvienne, j’ai toujours fait les choses qui me plaisaient le plus, et si elles ont parfois des visages différents, il y a une vraie constante. Je ne sais pas, ça m’a vraiment touchée, rassurée, confortée... J’étais bien, quoi... Et je comprenais encore mieux pourquoi j’aime Octavio Paz quand il dit que la fixité c’est le changement, et pourquoi j’aime les gens pleins d’imagination mais aussi cohérents avec eux-mêmes.


En sortant du cinéma, les posters de l’expo Warhol à la Hayward Gallery brillaient dans le noir. Le slogan qui accompagne les photos : Vous pensez le connaître ? Vous en êtes sûr ? m’a fait sourire. Maintenant que mon passé et ses ondulations me sont assurés, il est temps d’ouvrir les bras à mes prochaines métamorphoses.

dimanche 16 novembre 2008

L'arbre aux esprits

Depuis qu’un jour de printemps - où il avait neigé comme en plein hiver - je l’avais pris en photo, l’arbre que je vois d’une des fenêtres de ma cuisine m’intrigue. Il a une vraie présence dans ma vie. Il me sert de baromètre et d’almanach des saisons.
Le Singe grammairien d’Octavio Paz comprend de longs passages sur la « arboleda » et sur le vent qui secoue jusqu’à se faire tordre les arbres. Mais ils restent obstinément enracinés : El viento sacude los árboles y los golpea hasta hacerlos aullar. Los árboles se retuercen, se doblan, se yerguen y se estiran como si quisiesen desarraigarse y huir. No, no ceden. Si estos árboles se echasen a andar, destruirían a todo lo que se opusiese a su paso. Prefieren quedarse donde está: los habita una obstinación silenciosa. No ser ni león ni serpiente: ser encina, ser pirú.Le poète les compare à d'immenses crabes, tout en pinces et en bras entremêlés: A trechos, donde no hay hojas, se ve el tronco nudoso y las bifurcaciones de sus ramas larguísimas. Profusión de brazos, pinzas, patas y otras extremidades armadas de púas: un cangrejo inmenso.
Moi, depuis quelques jours, je sentais une présence de l’autre côté de ma fenêtre. quand j’ai aperçu cette feuille jaune en forme de visage qui s’agitait sous les rafales. Ces branches, ce tronc, semblaient contenir un esprit figé dans son envol. Sur la branche voisine s’agitait une tête de mort à la Munch.
Je me suis attachée à ce visage fantôme, et comme je savais que la feuille finirait par tomber, je me levais plusieurs fois vérifier si elle était toujours là, surtout quand j’entendais le vent souffler.
Ce matin, elle n’était plus là. Je suis allée faire des courses dans mon quartier et je l’ai cherchée au pied de l’arbre. Il y avait de nombreuses feuilles jaunes tachées de vert, éparpillée un peu partout, mais j’avais la certitude que je reconnaîtrais la mienne entre mille. Je m’apprêtais à soulever des tas de feuilles mortes quand mon imagination a pris le dessus : imaginons que ce soit vraiment un esprit, et qu’elle n’attendait que ça, me séduire, et une fois que j’aurais mordu à l’hameçon... elle se serait jetée de l’arbre pour que je la ramasse, et une fois dans mon appartement.... ce scénario digne des films d’horreur de Kiyoshi Kurosawa m’a tenue jusqu’à la pâtisserie. Une fois mon pain au chocolat avalé, je l’avais oubliée... enfin, je l’espère, la nuit tombe vite !