Puis j’ai marché jusqu’au South Bank, en glanant des photos çà et là, images aux fortunes diverses, pour me changer les idées et stopper mes larmes, mais j’avais vraiment le coeur gros. Si nous avons pu aussi bien nous accorder cette semaine comme il y a 17 ans, c’est que ce que nous sommes au fond n’a pas changé. C’est un peu comme si quelqu’un de ma famille m’avait rendu visite, quelqu’un qui m’aurait connue sous d’autres cieux, et saurait des choses que les gens que je côtoie quotidiennement ne sauraient pas de moi. Oh, elle n’est pas détentrice de secrets: ma vie, depuis notre rencontre, file la même trame si ce n’est l’éclosion de mes goûts pour la culture japonaise...
Il y aurait un certain confort à rencontrer régulièrement quelqu’un qui vous rappelle que vous faisiez des oeufs florentine et une mousse au chocolat à tomber, que, amoureuse de Christian Slater après l'avoir vu dans True Romance de Tony Scott (1993), vous vous étiez mise à porter un sweat-shirt à capuche comme lui, ou que dans votre grande chambre sous les toits, vous aviez l’habitude de montrer les photos de réalisateurs et d’écrivains sur le mur en disant: « Lui je l’aime mais lui... c’est mon favorite favorite », et d’autres petits riens.
Quand nous évoquons cette époque, je vois bien la chambre, je vois clairement le sweat à capuche et je pourrais indiquer le magasin où je l’avais acheté, je vois le resto mexicain et sa fameuse salade de crabe, mais moi, je ne me vois pas, je ne m'imagine pas, c'est des sentiments diffus, ondoyants, c'est tout. La personne qui revisite ces moments est un peu comme ces cavaliers sans visage dans Lord of the Rings.
J’ai traversé le Strand et ses néons ont fini par me consoler. Mon chagrin a fait place à la joie de savoir que cette amitié n’est pas prêt de disparaître.
Il faudrait, dans la ville, créer des espaces où les gens qui auraient subitement besoin de verser de chaudes larmes, puissent se rendre et s’épancher. On les mettrait au sortir des cinémas, près des quais des gares ou des métros et un peu partout. C’est trop dur de devoir retenir ses larmes, ou de les essuyer furtivement, l’air de rien, en attendant qu’elles se tarissent d’elles-mêmes ! 
Peut-être aurais-je dû retourner à Covent Garden, me renverser un bidon de peinture sur la tête et rester immobile et pleurer. On aurait peut-être fait cercle autour de ma performance et jeté quelques piécettes, qui sait ?
J’ai pris le Waterloo bridge. Tout le monde s’était donné le mot et tentait de photographier ses lumières. Certains avaient des appareils très sophistiqués. Moi j’ai fait ce que j’ai pu. La Tamise noire était survolée par des mouettes aux cris stridents.
J'allais voir Tokyo! (2008), le film à sketchs de Michel Gondry, Léos Carax et Bong Joon-ho. J’ai adoré ce film. Il est très drôle et très juste et les histoires se répondent parfaitement et subtilement. Ma préférée est Interior design de Michel Gondry, qui couronnait bien ma journée : à un moment Hiroko entend une conversation. On dit d’elle qu’elle ne fait rien à part découper des photos dans les magazines. Son copain se plaint de son manque d’ambition. Et à la fin, elle fait ce qu’elle aime : des collages avec des photos découpées dans les magazines, et elle est heureuse.
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