Au moment de nous séparer elle m’a dit : Depuis que j’ai des enfants, je suis devenue très émotive. Et elle a fondu en larmes. Cela m’a suffit pour faire de même, moi qui suis émotive par définition. En fait, j’avais eu du vague à l’âme toute la journée. Je ne m’étais pas aventurée un samedi après-midi dans le West End depuis des années, j’imaginais que nous allions devoir fendre une foule animée prise par la folie des achats et se faire marcher sur les pieds... mais bizarrement, il n’y avait pas grand monde, les rues étaient ternes. Pour attirer les clients, un magasin de sport avait fait appel à des « statues humaines immobiles » peintes en rouge, vert et bleu. C’était d’un mauvais goût ! Alors tout cela ajoutait à ma tristesse de la voir repartir dans sa Suède natale. Je lui ai promis d’aller lui rendre visite en 2009.
Puis j’ai marché jusqu’au South Bank, en glanant des photos çà et là, images aux fortunes diverses, pour me changer les idées et stopper mes larmes, mais j’avais vraiment le coeur gros. Si nous avons pu aussi bien nous accorder cette semaine comme il y a 17 ans, c’est que ce que nous sommes au fond n’a pas changé. C’est un peu comme si quelqu’un de ma famille m’avait rendu visite, quelqu’un qui m’aurait connue sous d’autres cieux, et saurait des choses que les gens que je côtoie quotidiennement ne sauraient pas de moi. Oh, elle n’est pas détentrice de secrets: ma vie, depuis notre rencontre, file la même trame si ce n’est l’éclosion de mes goûts pour la culture japonaise...
Il y aurait un certain confort à rencontrer régulièrement quelqu’un qui vous rappelle que vous faisiez des oeufs florentine et une mousse au chocolat à tomber, que, amoureuse de Christian Slater après l'avoir vu dans True Romance de Tony Scott (1993), vous vous étiez mise à porter un sweat-shirt à capuche comme lui, ou que dans votre grande chambre sous les toits, vous aviez l’habitude de montrer les photos de réalisateurs et d’écrivains sur le mur en disant: « Lui je l’aime mais lui... c’est mon favorite favorite », et d’autres petits riens.
Quand nous évoquons cette époque, je vois bien la chambre, je vois clairement le sweat à capuche et je pourrais indiquer le magasin où je l’avais acheté, je vois le resto mexicain et sa fameuse salade de crabe, mais moi, je ne me vois pas, je ne m'imagine pas, c'est des sentiments diffus, ondoyants, c'est tout. La personne qui revisite ces moments est un peu comme ces cavaliers sans visage dans Lord of the Rings.
J’ai traversé le Strand et ses néons ont fini par me consoler. Mon chagrin a fait place à la joie de savoir que cette amitié n’est pas prêt de disparaître.
Il faudrait, dans la ville, créer des espaces où les gens qui auraient subitement besoin de verser de chaudes larmes, puissent se rendre et s’épancher. On les mettrait au sortir des cinémas, près des quais des gares ou des métros et un peu partout. C’est trop dur de devoir retenir ses larmes, ou de les essuyer furtivement, l’air de rien, en attendant qu’elles se tarissent d’elles-mêmes !
Peut-être aurais-je dû retourner à Covent Garden, me renverser un bidon de peinture sur la tête et rester immobile et pleurer. On aurait peut-être fait cercle autour de ma performance et jeté quelques piécettes, qui sait ?
J’ai pris le Waterloo bridge. Tout le monde s’était donné le mot et tentait de photographier ses lumières. Certains avaient des appareils très sophistiqués. Moi j’ai fait ce que j’ai pu. La Tamise noire était survolée par des mouettes aux cris stridents.
J'allais voir Tokyo! (2008), le film à sketchs de Michel Gondry, Léos Carax et Bong Joon-ho. J’ai adoré ce film. Il est très drôle et très juste et les histoires se répondent parfaitement et subtilement. Ma préférée est Interior design de Michel Gondry, qui couronnait bien ma journée : à un moment Hiroko entend une conversation. On dit d’elle qu’elle ne fait rien à part découper des photos dans les magazines. Son copain se plaint de son manque d’ambition. Et à la fin, elle fait ce qu’elle aime : des collages avec des photos découpées dans les magazines, et elle est heureuse.
Il y a bien d’autres choses dans ce sketch, mais ce qui m’a le plus plu c’est cette histoire de découpages, parce que je suis pareille et je me contenterais bien de ça, sans plus. Le dernier sketch s’intitulait Shaking Tokyo de Bong Joon-ho et son interprète principal est Teruyuki Kagawa. Au moment où j’étais en train de voir ce film et où je me disais « est-ce l’acteur de Tokyo Sonata de Kiyoshi Kurosawa ? », ce même film était couronné au festival de Mar del Plata en Argentine : Kiyoshi Kurosawa recevant « el Astor de Plata » du meilleur réalisateur. Un des membres du jury était Yu Lik-wai dont je parle à longueur de billets... C’était vraiment un bouquet garni de mes favourite-favourite d’aujourd’hui ! J’ai pensé qu’en fait, du plus loin qu'il m’en souvienne, j’ai toujours fait les choses qui me plaisaient le plus, et si elles ont parfois des visages différents, il y a une vraie constante. Je ne sais pas, ça m’a vraiment touchée, rassurée, confortée... J’étais bien, quoi... Et je comprenais encore mieux pourquoi j’aime Octavio Paz quand il dit que la fixité c’est le changement, et pourquoi j’aime les gens pleins d’imagination mais aussi cohérents avec eux-mêmes.
En sortant du cinéma, les posters de l’expo Warhol à la Hayward Gallery brillaient dans le noir. Le slogan qui accompagne les photos : Vous pensez le connaître ? Vous en êtes sûr ? m’a fait sourire. Maintenant que mon passé et ses ondulations me sont assurés, il est temps d’ouvrir les bras à mes prochaines métamorphoses.
En sortant du cinéma, les posters de l’expo Warhol à la Hayward Gallery brillaient dans le noir. Le slogan qui accompagne les photos : Vous pensez le connaître ? Vous en êtes sûr ? m’a fait sourire. Maintenant que mon passé et ses ondulations me sont assurés, il est temps d’ouvrir les bras à mes prochaines métamorphoses.
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