dimanche 30 novembre 2008

Chaussures à son pied


Certains s’étonnent que je donne encore des leçons privées, et qu’en plus j’aime ça. Si on omet leur aspect sonnant et trébuchant, ces cours de conversation, de traduction, de révision - et de respiration pour moi - autour d’un café, m’apportent beaucoup. Souvent nos vies personnelles servent de base à nos leçons, et j’ai l’impression alors d’être une journaliste, arrivée là recueillir une tranche de vie. Raconter une histoire qui nous a touchés, dans une langue étrangère qui plus est, c’est doublement une forme de thérapie. Voici la plus récente de ces histoires :

« Une amie et moi sortions d’un cinéma quand nous sommes tombées sur T., dont j’étais follement amoureuse. Enfin, amoureuse... A chaque fois que je parle de ce que j’éprouvais pour lui, je dois me reprendre, parce que cela n’était pas de l’amour, je le sais maintenant, mais une obsession à sens unique. Je remarque que j’emploie toujours d'abord le mot amour à son encontre avant de me corriger, et ça m’ennuie. Il se tenait devant nous, et son regard a glissé de moi à ma copine, comme s’il me gommait du tableau. Je me souviendrai toujours de ce regard froid qui glisse, dans un travelling qui m’a paru infini, d’elle à moi, qui me montre qu’il évite le mien. J’entends encore son enthousiasme surjoué quand il lui parle. Puis elle et moi sommes allées faire les magasins. L’image qui me vient à l’esprit pour représenter ma blessure d’amour propre, c’est que je marchais avec des couteaux plantés dans le corps, j’étais comme un porc-épic. Nous avons dépassé un pub australien immense qui avait pignon sur rue vers Haymarket. Ses vitres étaient bleues. Pourquoi est-ce que je me souviens de cet endroit particulier ? Existe-t-il encore ? Peut-être qu’en ce samedi après-midi le lieu était bondé, et que le brouhaha joyeux qui se déversait sur la chaussée rendait ma peine d’autant plus cruelle. Dans Oxford street, nous sommes entrées dans un magasin de chaussures un peu cheap. Là, sur un coup de tête, je me suis acheté une paire d’escarpins à talons aiguilles pyramidaux assez vulgaires, moi qui n’en avais jamais porté de ma vie ! Deux jours après je les ai donnés : chez moi, quand j’avais voulu les chausser, je vacillais et manquais de me casser la cheville et le cou au moindre pas. Je n’ai compris que plus tard la portée de cet achat qui ne me ressemblait pas. »

La conversation a ensuite dévié, et nous nous sommes mises à parler du Credit Crunch, de la crise financière et des magasins de Oxford street qui, pour attirer des clients de plus en plus récalcitrants, tentaient de les appâter à coup de promotions et en ouvrant leurs portes dès 7h du matin ! « C’est vrai, maintenant, quand ils voient un client, les boutiquiers sont ravis et redoublent de prévenances » s’est-elle exclamée. Soudain, elle a pris une de ses chaussures dans la main pour me la montrer : « Les vendeuses étaient ravies ! J’en ai acheté trois paires ! » J’ai regardé la chaussure qu’elle m’agitait sous le nez : un ravissant modèle hors de prix de chez Christian Louboutin, un dernier cri, reconnaissable à sa semelle écarlate et à ses talons aiguilles pyramidaux...

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