samedi 28 février 2009

Visiteur du Soir

L’escalier embaumait le rôti de veau aux pruneaux. Bien sûr, s’il ne m’avait pas dit que c’était ce qu’il y avait au menu, je ne l’aurais pas deviné, j’aurais seulement pensé que ça sentait délicieusement bon.Dans la cuisine je lui ai dit « Chouette du rôti de veau aux pruneaux ! »Tout à ses fourneaux, je ne sais pas s’il s’est rendu compte que c’était une réplique de Jacquot de Nantes d’Agnès Varda. Je suis gourmande, cela n’étonnera personne, mais faire la cuisine ne m’intéresse absolument pas. Au fil des années j’ai compris que cela était dû au fait que ma mère n’avait pas eu le temps de me transmettre ce savoir et ces gestes. Et que, quelque part, je me les interdit.Peut-être, si elle n’avait pas quitté ce monde si tôt, serais-je aujourd’hui une vraie cordon bleu, connue parmi mes amis pour ma tarte au citron meringuée, mon tajine au citron, et mes oeufs mimosas ? C’est pourquoi je suis en admiration devant ceux qui me préparent de bons petits plats, à qui ça fait plaisir de me contenter, qui sondent mes goûts culinaires, et se mettent en quatre pour leur donner vie. Ça me paraît extraordinaire, c'est un véritable don que l'on me fait et qui relève, pour moi, d’opérations proches de l’Alchimie.
Quand je le lui ai fait remarquer il m’a répondu: « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour ». Savait-il que c’est aussi une phrase que l’on entend dans Jacquot de Nantes, réplique d’un film - serait-ce Les Visiteurs du soir ? - que va voir le petit Jacques Demy au cinéma Olympic de Nantes ?
Tout cela m'a donné envie de lui chanter sur tous les tons, comme une des Demoiselles de Rochefort : Qu'il était grand, qu'il était beau, qu'il sentait bon les pruneaux, ton rôti de veau !
Quand le train entra dans l’agglomération de Tôkyô, c’était l’heure où l’animation dans la ville atteignait son apogée, avec ses enseignes qui s’illuminaient bien avant que ne commençât la soirée. Sur le pont Ôhashi, sous les lampadaires qui venaient d’être allumés, les passants allaient fébrilement en quête de divertissements : je regardais ce fourmillement incessant. A cet instant-là, à l’entrée du pont, des lampes bleues s’éclairèrent toutes ensemble aux fenêtres d’une banque.
Une histoire sur un promontoire de Yukio Mishima

vendredi 27 février 2009

The grass is always greener...

D'abord, en arrivant à Londres, on découvre Saint-Pancras, la nouvelle gare, Saint-Pancras International, avec son immense verrière et ses arches gothiques en briques qui ont été restaurées, une gare qui avait été inaugurée en 1868 et qui depuis novembre 2008 est un des plus beaux lieux de la ville. Autrefois, cette halle principale était le plus vaste espace clos du monde, la Halle Barlow, mais elle a été agrandie pour accueillir les trains Eurostar. C'est une espèce de longue avenue faite de briques, de transparences et de plantes, on est déjà dans le battement de Londres et l'horloge là-haut qui surplombe la gare pour donner la vérité, Londres comme toutes les villes du monde se réinventent à chaque époque mais il y a ici quelque chose qui euphorise immédiatement, c'est une Londres sensible qu'on aime retrouver à chaque voyage, avec ses figures, ses mouvements, ses lignes, ses vitesses, ses lumières qui courent sur les années et les pierres d'une façon si particulière qu'il est quasiment impossible de décrire pourquoi et comment ce sont des lumières à chaque fois inédites. Et le rythme des métros, des chevaux, des taxis noirs, des Roll's décapotables, ce serait le temps de Londres, les temps de Londres, qui s'entrelacent et qui se faufilent sous les pas, passé, présent, futur, un grand collage qui pose à tous cette inlassable question : comment regarder, par quoi et par où commencer, comment choisir ses rendez-vous avec la ville, comment pressentir ce qui sera là demain, tout à l'heure, dans dix ans et qui peut-être déjà là.

London rendez-vous dans Carnet Nomade de Colette Fellous
(à écouter ici)
Très belle évocation de Londres et, si je n’y habitais pas, je sauterais dans le premier Eurostar pour m’y euphoriser comme dit Colette Fellous! L’émission vaut le détour pour ses côtés comiques...
Ha, la charmante Colette s’extasiant d’être abordée par un SDF dans la rue, tirant la rapide conclusion qu’à Londres on s’aborde tous comme ça dans une convivialité sans cesse renouvelée... Vraiment, mais dans quelle ambiance gaie nous vivons ici, le savions-nous?
Il y a aussi le moment où un de ses interlocuteurs l’amène à la Pâtisserie Valérie où les gâteaux, pour très jolis qu’ils soient, sont connus pour leur goût insipide. Elle glousse à tout bout de champ, comme si elle n’avait jamais voyagé... Une vraie pintade.
Mais le pompon c’est quand le « spécialiste » de cinéma, homme sympathique au demeurant mais qui ne parle que de lui et de son intérêt pour l’identité des voitures et des trains qui passent dans les films de Godard (no comment) – passion qu’il partage avec de drôles d’hurluberlus - connu pour s’être vanté un jour de fuir les salles obscures car selon lui aucun film n’arriverait aux chevilles de ceux du grognon ermite suisse (mais comment a-t-il pu croiser le chemin de notre Colette nationale pour parler de Londres et du cinéma !?) – l’emmène dans son bureau et chez lui, dans d’omniprésents bruits de clé et de portes qui claquent comme s’il était le gardien du donjon de la Tour de Londres... on a beau chercher le rapport entre lui, Londres et le cinéma, en vain. C’était très amusant et horripilant aussi.
Mais le Londres de Colette paraissait « oh, soooo exciting ! » que ça me faisait oublier la grisaille ambiante... et où a-t-elle bien pu voir autant de Rolls décapotables ?
Londres en ce dernier vendredi de février, est très belle, en tout cas si j’en juge par la belle lumière dans laquelle baigne mon quartier, ma rue, mon appartement, le mur que je vois couvert de photos en face de mon ordinateur... Londres rayonne sous le soleil, sous le ciel bleu. J’aime imaginer ses millions d’habitants s’agitant jusqu’à plus soif pour la faire vivre... Cette pensée rend encore plus sensible le plaisir que je prends à profiter du calme des quatre prochains jours.

jeudi 26 février 2009

Tour de Tours dominical

Que faire un dimanche à Tours? Après le déjeuner, en mettant le nez dehors, on s’aperçoit que si tous les magasins sont fermés, cela n’empêchent pas des badauds de faire du lèche-vitrine... Mais quand on sait que l’on ne sera pas là quand les magasins seront ouverts, il ne nous reste que deux solutions pour échapper à la Druckerisation de la télé: marcher jusqu’au bout de la rue Nationale pour se balader au bord de la Loire, et/ou aller au cinéma.Je jouais de malchance car ce dimanche-là il n’y avait aucun film à voir, ou du moins que j’avais envie de voir. Je suis quand même allée aux Studio, en pèlerinage, tout près de la cathédrale et du musée. J’ai vu un dessin animé franco-irlandais: Brendan et le Secret de Kells de Tomm Moore, très beau mais dont je ne garde aucun souvenir, dans une salle remplie d’enfants sages, répondant aux doux noms de Marcel, Gaspar, Arsène... coachés par des mères poules en Prada et en lunettes noires Christian Dior.J’aime bien aller aux Studio par la rue de la Scellerie et passer devant le Grand Théâtre, des antiquaires, des boutiques de vêtements chics, de petits restaurants et des pâtisseries aux gâteaux appétissants. Elle débouche sur un petit square sur lequel donne le musée des Beaux-Arts. Les Studio sont rue des Ursulines, et pour y arriver il faut longer le rempart gallo-romain.
Je ne sais pas pourquoi mais, à chaque fois que j’emprunte cet itinéraire, je me mets à imaginer ce qui ce serait passé si je n’étais pas restée à Londres, si j’étais revenue au bout de mes 9 mois d’assistanat... J’aimerais vraiment savoir ce que serait ma vie aujourd’hui si un soir de novembre 1987 je n’avais pas traversé Clissold Park à Stoke Newington en rentrant chez moi, si le coucher de soleil sur la vieille église en bordure du parc ne m’avait pas autant émerveillée et donné envie de rester en Angleterre...
Après la séance, je me suis promenée sur les bords de la Loire avant de redescendre la rue Nationale avec ses devantures fermées. En rentrant, l'horripilant Drucker était encore à la télé... et je l'ai regardé jusqu’au bout !

mercredi 25 février 2009

Une retraite argentée

Au Moyen-Age, les Kawaramonos appartenaient à la classe la plus basse de la société japonaise. Méprisés et ostracisés – ils s’occupaient de la viande et des cadavres - leur nom signifie : « ceux qui habitent les berges de la rivière». Ils vivaient sur les seules terres qui n’appartenaient à personne car elles étaient inondables, difficiles à cultiver, insalubres. On a du mal à l’imaginer quand on contemple la Kamogawa à Kyoto.Ce jour-là, j’étais allée de bon matin me promener à l’ouest de Kyoto, du côté du Pavillon d’or (Kinkaku-ji) et du jardin de pierre du Ryōan-ji. Et puis j’ai traversé la ville pour aller vers l’est, découvrir enfin le Pavillon d’argent (Ginkaku-ji) sur les collines de l’Higashiyama. Mais en passant la porte, je me suis aperçue qu’il était recouvert de voiles, comme une princesse de l’époque Heian. Tant pis !En fait, quand le shogun Ashikaga Yoshimasa est venu y habiter en 1483, sa chère retraite de montagne n’était point encore finie, et peut-être le même spectacle l’y attendait !Ashikaga Yoshimasa (1435-1490) avait choisi avec soin ce somptueux emplacement, dès 1466 dit-on, mais les guerres féroces, les épidémies, le manque de fonds, et d’autres vicissitudes n’avaient permis le début de la construction que le 21 février 1482. Il a pris grand soin de choisir les meilleurs architectes, les meilleurs peintres, les meilleurs artistes de l’époque, pour en faire un lieu d’une beauté exquise.Il y contemplait la lune, et le changement des saisons. Il y composait de la poésie, s’y faisait lire le Dit du Genji, et dans une pièce pour la première fois consacrée à cet effet, il buvait du thé avec ses amis.Il est à l’origine du mouvement culturel dit de la « culture de la montagne de l’est » (Higashiyama Bunka). Yoshimasa, piètre homme d’état, était un esthète. Il serait le premier à s’être intéressé à la fonction décorative d’un vase de fleur dans une pièce.
Il était bien entendu très intéressé par la conception des jardins. Il employait une multitude de Kawaramonos pour déplacer les pierres, pour planter les arbres, et s’occuper de ses jardins. Il avait, étrangement pour son époque, de la sollicitude pour ces hommes qu’on considérait comme la lie de la société.Zen’ami (1386-1482), un kawaramono, est le véritable architecte des jardins du Ginkaku-ji. Yoshimasa le tenait en très haute estime.Bien sûr, les jardins dans lesquels je me suis baladée n’ont rien à voir avec ceux que les kawaramonos de l’époque Muromachi avaient façonnés sous les directives du Shogun Yoshimasa et pour son plaisir personnel. Et la vue de Kyoto qui s’offrait à ses yeux des hauteurs de son jardin était bien différente de celle d’aujourd’hui... les montagnes exceptées!J’espère que les travaux ne dureront pas trop longtemps et que, dans quelques mois, le Pavillon d’argent se dévoilera enfin à mes yeux, dans sa splendeur retrouvée .

mardi 24 février 2009

Au coeur de Londres mais au Japon

Dans le théâtre du Barbican (ici), il n’y avait pas de musique pour faire patienter les spectateurs, mais les bruits d’un train qui entrait en gare de Shibuya. On entendait les messages des haut-parleurs, les portes qui s’ouvraient, les passagers descendre et se diriger vers les sorties. En fermant les yeux, on s’y serait cru... Mais je les ai gardé bien ouverts : il y avait des Japonais partout ! Et la pernicieuse idée d’aller à Tokyo pour Pâques m’a traversé l’esprit.

Quand la lumière s’est éteinte, la phrase suivante s’est inscrite sur un écran : Prochain arrêt Kyoto. Un vieil homme, en costume de ville, s’est avancé et nous a raconté sa visite sur la tombe de son père. Je ne sais pas si c’était un souvenir personnel, en préambule à la pièce, ou si cela en faisait partie. A la fin de son récit, il a revêtu un costume japonais traditionnel, et s’est assis dans le noir. Toute la pièce se déroulera à la lueur des bougies. Les auteurs se sont inspirés de Eloge de l’ombre de Tanizaki.

Une femme est alors entrée sur scène. Elle venait enregistrer la nouvelle Shunkin de Tanizaki pour la NHK. Elle avait des problèmes de coeur. Les relations mièvres et drolatiques entre son amant et elle, que l’on devinait par leurs conversations téléphoniques, contrebalançaient celles sado-masochistes de Shunkin et Sasuke.

Elle se met à lire le texte quand un acteur – en fait le narrateur de la nouvelle voire Tanizaki lui-même – lui vole la parole. Ce passage de témoins subtil nous plonge au XIXe siècle. Nous accompagnons le narrateur dans un « cimetière » où, sous un pin, se trouvent les deux tombes de Shunkin et son serviteur, élève et amant, Sasuke. Les autres comédiens agitaient des planchettes en bois au dessus des tombes (deux comédiens immobiles). Ces planchettes formeront aussi des encadrements de portes et délimiteront des pièces, des couloirs, des maisons, des toits...

L’écran au fond de la scène se couvrait de kanjis, de photographies, de silhouettes, d’oiseaux... Shunkin enfant était une marionnette, que deux comédiens vêtus de noir manipulaient comme dans le bunraku... mais il m’a fallu plusieurs minutes pour m’apercevoir que c’était un être de chair qui jouait Shunkin adulte... Il y avait des morceaux de papier qui devenaient des oiseaux ou des âmes... Parfois, quand la lumière tombait sur Shunkin et Sasuke enlacés, leurs deux ombres projetées sur l’écran dessinaient une araignée dévorant sa proie. Et nous avons vu vieillir Sasuke : il répétait les mêmes gestes avec, à chaque fois, une différence infime, jusqu’à sa mort.

C’était vraiment d’une beauté, d’une profondeur, et d’une ingéniosité à couper le souffle. Ça m’a fortement remuée, même lessivée, et surtout, ça m’a rendue euphorique!

lundi 23 février 2009

A Blois, on mange du couscous!

J’aime bien la route entre Tours et Blois.
Sur notre gauche défilent, comme dans un panorama de fête foraine, l’Abbaye de Marmoutier et ses hautes grilles; de petits manoirs qui se dissimulent derrière un rideau de peupliers; des champs à perte de vue où paissent vaches et chevaux, d’où s’élèvent soudain des nuées d’oiseaux, où s’aventurent les biches (une traversera la route juste devant notre voiture); une multitude de villages et de fermes; des caves où se dégustent les bons vins du terroir ; des collines percées de grottes troglodytes; et toutes sortes d’arbres : saules pleureurs, peupliers, ormes, frênes...Sur notre droite, c’est encore plus évocateur : nous longeons la majestueuse Loire. Sous un soleil d’hiver, elle ressemblait à un fjord norvégien ! Ce serait si bon d’arrêter la voiture et de s’y promener...
Je serai bien incapable de dire quand nous franchissons la frontière entre l’Indre-et-Loire et le Loir-et-Cher, mais je me souviens du panneau indiquant le village de Veuves, celui barré de rouge à la sortie d’Amboise (apercevoir son château est toujours un spectacle réjouissant), et celui annonçant que le château de Chenonceaux se trouve à quelques mètres de là, tout au bout de cette allée ombragée... et j’aime le chercher des yeux à travers une forêt profonde et fascinante.
Quand nous arrivons à Blois, juste avant le pont qui enjambe les voies de chemin de fer, il y a toujours quelqu’un pour s’exclamer : voilà la chocolaterie Poulain ! et pour regretter la bonne odeur de chocolat qui flottait dans l’air jusqu’en 1992.
Mais depuis toujours, depuis 30 ans en fait, c’est quand je vois cette pâtisserie que je sais que le court voyage touche à sa fin. J’ai toujours aimé aller à Blois chez mon oncle et ma tante.Juste avant d’arriver chez eux, nous passons près de la ZUP où ils habitèrent à la fin des années 1970. On la rénove aujourd’hui en abattant ses tristes tours de béton. J’ai des souvenirs très précis de leur étroit appartement : mon premier été en France j’avais acheté un disque de Billy Joel que nous écoutions en boucle avec mes cousins. Je me souviens très précisément du soleil de cet après-midi-là, de ses rayons qui inondaient le salon. De mon cousin assis sur un fauteuil. De nos tentatives pour déchiffrer les paroles en anglais.
Dans la nuit qui a suivi cette visite, je rêverais que, retournant dans le quartier des Roches Noires à Casablanca, je ne retrouvais plus que des champs retournés, d’un marron sombre, où se devinaient les ruines de la maison où j’avais habité. Nous nous sommes tous régalés avec ce délicieux couscous ! Les images me font encore saliver, je sens encore son fumet, sa consistance, ses saveurs épicées...Mais on rentre toujours trop tôt de Blois. Dès que le soleil décline nous levons le camp, à regret. Les bords de Loire sont toujours aussi impressionnants... A la nuit tombée ils savent se charger de mystère. A une période très difficile de ma vie, la maison de mon oncle et ma tante à Blois était devenue mon cocon. Je m’y rendais très souvent le week-end, comme mes copines qui rentraient dans leur famille après une semaine en cité U à Tours. J’aimais les bonnes joues rouges de ma tante, entendre râler mon oncle contre les chanteurs qu’on voyait à la télé – quand c’était mon père ça m’énervait ! – regarder le foot avec mon cousin et rigoler avec ma cousine. Ma reconnaissance envers eux est infinie car je ne sais pas ce que je serais devenue sans leur amour.