dimanche 22 février 2009

Dans un état proche de l’Ohio

Elle ne savait pas pourquoi elle était triste, mais, à cause de cette tristesse inconnue, elle avait commencé à penser qu’il fallait qu’elle quitte la ville... C’est cette année-là que Frankie avait réfléchi à ce qu’était le monde. Elle ne le voyait pas comme la mappemonde de l’école, avec ses pays bien séparés et ses couleurs différentes. Elle le voyait comme quelque chose d’immense, de fissuré et de mal ajusté, qui tournait à la vitesse de mille miles à l’heure.
Frankie Addams de Carson McCullers
Moi aussi, je ne savais pas pourquoi j’étais triste ces derniers temps. J’étais au bord des larmes et j’attendais avec curiosité ce qui allait les provoquer et enfin me soulager. Je lisais les belles nouvelles de Mariko Koike, que j’ai adorées, et elles me laissaient encore plus à fleur de peau... Je ne voulais pas qu’elles finissent tant son écriture ressemble à celles de Hiromi Kawakami dans Les années douces et de Haruki Murakami...
Quel drôle d’état... Par exemple, quand sur France Inter, Stéphane Paoli a dit – je ne sais plus de quoi il parlait, un film, un livre...: ça aide à vivre tout ça... hé bien, ces paroles innocentes ont failli déclancher chez moi les grandes eaux!
Ou bien j’ouvre le magazine Art press consacré à la photographie japonaise et je tombe sur une magnifique photo de Naoya Hatakemaya intitulée Slow Glass/Tokyo # 97 qui représente la Tokyo Tower la nuit, vue d’une fenêtre où la pluie ruisselle... mes larmes ont failli ruisseler de plus belle... Mais ce bizarre état a pris fin quand j’ai compris en un éclair de lucidité, que je n’avais besoin que d’une chose : du temps à moi, rien qu’à moi.
Du temps pour chercher ce qu’était le Tamamushi no Zushi, ce petit autel bouddhique qui appartenait à l’Impératrice Suiko au VIIe siècle, par exemple (ici) ...
Les gens vont te prendre pour une arriérée si tu ne connais pas le Tamamushi no zushi Ça se trouve à l’intérieur du Hôriu-ji de Nara... c’est un petit autel bouddhique portatif du VIIe siècle... pour décorer l’ensemble, on a utilisé des élytres de buprestes Il y en avait, je crois... 2500. Imagine, les ailes des 2500 coléoptères qui continuent de resplendir mille quatre cents ans plus tard. Impressionnant, non ?

Le bupreste dans Je suis déjà venue ici de Koike Mariko
Du temps pour voir la tête du bupreste (ici) ou du sériole, un poisson que l’on déguste dans une autre nouvelle du même auteur...
Peu à peu ce sont les petits bonheurs qui se sont mis à s’accumuler : j’ai trouvé chez un bouquiniste un vieux guide de Kyoto, Nara, Osaka et Kobe dans lequel on avait oublié de magnifiques tickets d’entrée à certains temples, palais et musées de la région. Un vrai trésor! On sent dans l'air la venue prochaine du printemps! L'air est doux, les oiseaux s’égosillent de nouveau! Et, cerise sur le gâteau : on annonce pour le 25 mai la sortie en DVD de Tokyo Sonata de Kiyoshi Kurosawa !
Et surtout, c’est très étrange... presque chaque jour, je tombe sur des articles, des livres, des émissions, des citations concernant Stefan Zweig, dont je n’ai lu que la biographie sur Marie-Antoinette... comme si le dieu de la littérature dont j’ai parlé plus bas, m’enjoignait de le lire d’urgence... que vais-je trouver dans ses livres? Je vais suivre la flèche et me mettre en chemin pour le savoir...

Tôkyô, elle en était certaine, était une mégalopole qui lui offrirait encore beaucoup de buprestes. Elle les dépouillerait de leurs ailes l’une après l’autre, et en tirerait satisfaction, comblée. Ainsi passeraient les années et, un jour, l’autel portatif serait entièrement décoré d’élytres. Son autel intime, bien à elle.
Le bupreste de Koike Mariko

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