vendredi 6 février 2009

Oreilles indiscrètes

« I like this music ! » s’est-elle exclamée dans un fort accent américain, en s’asseyant juste derrière moi. Elle parlait de celle qui passait en boucle au Café Muji d’Hibiya, un mélange planant de chants bulgares et de cornemuses. Comme chaque semaine, ils étaient là pour un cours d’anglais. Aujourd’hui, 31 décembre oblige, ils allaient discuter de leurs bonnes résolutions pour l’année 2009 : elle voulait apprendre sérieusement le chinois et le coréen, et faire un régime car son petit ami lui reprochait ses rondeurs ; il voulait améliorer son tennis, démarcher plus de clients pour sa société et aller à New York.
Elle répétait sans arrêt, comme un leitmotiv, qu’elle était jeune – « I’m very young » - et que cette jeunesse lui ouvrait toutes les portes, lui permettait d’avoir l’espoir que s’exauceraient ses rêves les plus fous. Son élève, qui devait avoir la quarantaine bien tassée, ne semblait pas en prendre ombrage. En même temps, elle disait vouloir être moins impulsive et mieux contrôler ses sentiments. Son père à lui était pêcheur. Enfant, il l’aidait à décharger des caisses remplies de poissons d'un petit chalutier. Il allait bientôt retrouver un groupe d’amis à Kyoto, et jouer au golf. Elle envoie régulièrement de l’argent à sa mère, sans cela, celle-ci ne pourrait pas survivre. Elle vient d’un état où il neige beaucoup. Elle va peut-être devoir retourner aux Etats-Unis, travailler de nouveau dans cette grande pizzeria où elle était responsable de plusieurs tables, où elle gagnait de somptueux pourboires, et ainsi faire des économies et retourner au Japon plus tard, terminer ses cours à l’Université. Ce mois-là, ses cours privés lui avaient permis de régler toutes ses factures, mais c’était bien la première fois ! On n’entendait qu’elle. Timide, il murmurait. Elle écrivait tout ce qu’elle disait sur une feuille et, à la fin de la leçon, elle lui a dit d’apprendre toutes les phrases qu’ils avaient vues ensemble, une vingtaine de pages. En se levant, elle l’a félicité : « C’est bien, vous n’avez pas dit un mot en japonais aujourd’hui ! Vous avez bien parlé ! »
Je leur tournais le dos, et j’aurais du mal à les reconnaître. Mais j’avais l’impression d’écouter une pièce de théâtre sur France Culture !

Aucun commentaire: