Quand la lumière s’est éteinte, la phrase suivante s’est inscrite sur un écran : Prochain arrêt Kyoto. Un vieil homme, en costume de ville, s’est avancé et nous a raconté sa visite sur la tombe de son père. Je ne sais pas si c’était un souvenir personnel, en préambule à la pièce, ou si cela en faisait partie. A la fin de son récit, il a revêtu un costume japonais traditionnel, et s’est assis dans le noir. Toute la pièce se déroulera à la lueur des bougies. Les auteurs se sont inspirés de Eloge de l’ombre de Tanizaki.
Une femme est alors entrée sur scène. Elle venait enregistrer la nouvelle Shunkin de Tanizaki pour la NHK. Elle avait des problèmes de coeur. Les relations mièvres et drolatiques entre son amant et elle, que l’on devinait par leurs conversations téléphoniques, contrebalançaient celles sado-masochistes de Shunkin et Sasuke.
Elle se met à lire le texte quand un acteur – en fait le narrateur de la nouvelle voire Tanizaki lui-même – lui vole la parole. Ce passage de témoins subtil nous plonge au XIXe siècle. Nous accompagnons le narrateur dans un « cimetière » où, sous un pin, se trouvent les deux tombes de Shunkin et son serviteur, élève et amant, Sasuke. Les autres comédiens agitaient des planchettes en bois au dessus des tombes (deux comédiens immobiles). Ces planchettes formeront aussi des encadrements de portes et délimiteront des pièces, des couloirs, des maisons, des toits...
L’écran au fond de la scène se couvrait de kanjis, de photographies, de silhouettes, d’oiseaux... Shunkin enfant était une marionnette, que deux comédiens vêtus de noir manipulaient comme dans le bunraku... mais il m’a fallu plusieurs minutes pour m’apercevoir que c’était un être de chair qui jouait Shunkin adulte... Il y avait des morceaux de papier qui devenaient des oiseaux ou des âmes... Parfois, quand la lumière tombait sur Shunkin et Sasuke enlacés, leurs deux ombres projetées sur l’écran dessinaient une araignée dévorant sa proie. Et nous avons vu vieillir Sasuke : il répétait les mêmes gestes avec, à chaque fois, une différence infime, jusqu’à sa mort.
C’était vraiment d’une beauté, d’une profondeur, et d’une ingéniosité à couper le souffle. Ça m’a fortement remuée, même lessivée, et surtout, ça m’a rendue euphorique!
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