samedi 7 février 2009

Hiver tardif

Le 25 décembre j’ai pris la Yokosuka line – la ligne bleue – à la gare de Tokyo et je suis montée dans un train en direction de Kurihama. Il s’est arrêté à Shimbashi, Shinagawa, Nishi-oi, Shin-Kawasaki, Yokohama, Hodogaya, Higashi-Totsuka, Totsuka, Ōfuna et Kita-Kamakura où je suis enfin descendue. La gare d'allure bucolique apparaît souvent dans les films de Ozu, notamment en ouverture de Printemps Précoce.En sortant de la petite gare, nos pas se dirigent vers l'Engaku-ji où un Sōseki dépressif a fait une retraite en 1893, qui est la toile de fond du roman Un millier de grues de Kawabata et où le cinéaste Yasuhiro Ozu...

... repose de son sommeil éternel dans un temple enserré dans les collines aux abondantes frondaisons de ce Kita-Kamakura qu’il a jadis habité. Sur la tombe de granit, un burin alerte a ciselé une calligraphie de cet idéogramme MU (néant, non-être, vide) qu’il avait lui-même choisi. Je préfère penser qu’il s’agit plutôt là du MU de MU-CHITSUJO (chaos, désordre) infini de ce monde.

Ozu ou l’anti-cinéma de Kiju Yoshida
Il faisait beau, il faisait doux en ce jour de Noël. Je n’ai pas eu trop de mal, après m’être promenée dans l’enceinte du temple, à trouver l’entrée du cimetière. Munie d’un itinéraire que j’avait préparé à partir des indications données ici et , je me suis retrouvée devant la tombe fleurie du cinéaste.
Je ne sais pas pourquoi mais j’ai pensé à la tombe de Kafka à Prague. Les oiseaux étaient nombreux à faire entendre leurs voix. La végétation luxuriante. Les petits escaliers couverts de mousse.
Près d’une fontaine, un groupe de femmes, employées du temple, discutaient et riaient. Un vieil homme ratissait les étroites allées du cimetière qui s’étendait sur la colline. Je me souviens clairement de l’étroitesse des allées de cet endroit paisible. Il fallait se déplacer les bras collés au corps, ce qui donnait un air emprunté. Avant de poursuivre mon chemin vers le centre de Kamakura, Hase et Enoshima, je suis restée sur un banc, à humer l’air parfumé, à écouter les oiseaux, et à penser à ce mois d’août 2003 où j’ai vu mon premier film d’Ozu avec N.: pour le centième anniversaire de sa naissance, le cinéma Renoir de Brunswick square avait programmé deux de ses films : Herbes Flottantes (1959) et La fin de l’été (1961). Peu de temps après, Voyage à Tokyo (1953) est ressorti:

Bien qu’il soit né à Tokyo, et qu’il y ait tourné de nombreux films, Ozu n’est pas véritablement un Tokyoïte. Ozu est né à Fugakawa, dans cette partie basse de la ville, qui s’étend à l’intérieur d’un réseau de canaux et de voies navigables à l’embouchure de la Sumida. Ozu est né le 12 décembre 1903 près de l’enceinte du temple Fukagawa Hachiman-gū. Alors qu’il avait 12 ans, sa mère vint s’installer avec ses enfants au pays natal du père, à Matsusaka. Cette expérience aura produit, presque à son insu, un regard particulier sur Tokyo, un regard distancié, comme on pourrait l’avoir sur une ville étrangère.

Ozu ou l’anti-cinéma de Kiju Yoshida
En me promenant dans Fugakawa en décembre 2007, j’étais tombée sur Ozu. Peut-être est-ce l’endroit précis où sa maison se tenait ?
Sur mon banc de l'Engaku-ji, je me souvenais très bien de ce mois d’août d’il y a 5 ans parce qu'il est lié à la merveilleuse découverte des films d'Ozu. Brunswick square, dans Bloomsbury, était à l’époque un endroit très glauque, où on n’osait pas trop s’aventurer. Y aller au cinéma, au milieu de tout ce béton, en été en plus, constituait un réel effort ! Ça a commencé comme ça... 5 ans ce n’est pas si vieux pourtant... jamais je n’aurais pu m’imaginer à l’époque que je me retrouverais à musarder dans l’Engaku-ji de Kamakura... La vie prend de ces détours parfois...

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