jeudi 12 février 2009

La Berezina...

Noirs corbeaux du Koryu-ji
Kyoto

Des livres ! Des livres ! Voilà un mot magique qui équivaut à clamer : « Amour, amour ». Quand Dostoïevski était prisonnier en Sibérie, retranché du monde, entre quatre murs, cerné par les plaines désolées, enneigées, il demandait secours par courrier à sa famille éloignée ne disant que : « Envoyez-moi des livres, des livres, beaucoup de livres pour que mon âme ne meure pas! » Il avait froid, ne demandait pas de feu, il avait une terrible soif, ne demandait pas d'eau, il demandait des livres, c'est à dire des horizons, c'est à dire des marches pour gravir la cime de l'esprit et du coeur. Parce que l'agonie physique, biologique, naturelle d'un corps, à cause de la faim, de la soif ou du froid, dure peu, très peu, mais l'agonie de l'âme insatisfaite dure toute la vie. N'oubliez pas que l'origine de tout est la lumière.
Federico García Lorca

En 1849 Fedor Mikhaïlovich Dostoïevski est arrêté comme les autres intellectuels libéraux du Cercle Petrashevsky. Le Tsar Nicolas 1er les condamne à un exil de 5 ans, dans un camp de travail à Omsk en Sibérie.

En ce moment, Londres n’ayant rien à envier à la Sibérie, je peux très bien me figurer les insoutenables conditions dans lesquelles Dostoïevski a vécu ces cinq années de bagne... Je l’imagine, dans une masure pleine de courants d’air, tentant de se réchauffer près d’un poêle, la pipe au bec, la lueur d’une bougie qui manque sans cesse de s’éteindre éclairant difficilement une page de livre...
Un jour, alors qu’une bise glaciale balaye la toundra, on frappe lourdement à sa porte. « Фёдор Михайлович Достоевский! Фёдор Михайлович Достоевский! Un colis de votre famille » lui crie Sacha le postier d’une voix grelottante. « Spassiba » lui répond Fédor en s’emparant du paquet marqué du sceau de la censure impériale. Enfin enfin, il va pouvoir gravir les cimes de l’esprit et du coeur et s’envoler au dessus de la steppe! Enfin de quoi maintenir en vie sa petite âme (anouchka) qui se meure dans ce bagne inhumain! Fébrilement, il déchire le paquet qui lui semble bien léger cette fois-ci et sort de son emballage la manne céleste. Il tient maintenant dans les mains le roman Impardonnables de Philippe Djian. « Un livre seulement cette fois-ci » pense-t-il déçu. « Il doit être rudement bien pour que ma famille me l’ait envoyé! »
Il s’emmitoufle dans une peau de grizzli, se prépare un thé noir russe (évidemment), rajoute une pincée de tabac à sa pipe et, bien calé sur sa misérable couche, il se lance dans la lecture, se promettant de savourer chaque mot car le prochain colis de livres à franchir son seuil devrait attendre la débâcle et le printemps.
Mais bien vite il déchante, bien vite il a des envies de s’arracher la barbe à pleine mains... Ces personnages qu’aucun souffle de vie ne traverse, qui ne sont que des mots d’encre sur une page, des marionnettes de papier auxquelles on ne croit pas une seconde... ce narrateur qui n’a rien à raconter, ennuyeux comme la pluie – et encore cela fait injure à la pluie que de dire cela! « L’ennui suinte de ce bouquin comme l’humidité sur mes murs » se dit Fédor. Comment peut-on croire qu’Hemingway, que Djian cite comme caution à longueur de pages, ait pu commander des harengs à la mère de « A.M », un personnage qu’on ne peut s’imaginer une seconde. Quel livre pénible... C’en est triste. Et quand on arrive à la dernière phrase, elle est si bête... on doit la relire relire relire car on n’en croit pas ses yeux. Ceux-ci se mettent à jouer à saute-mouton avec les mots, puis les paragraphes, puis les pages...
Fédor Dostoïevski part d’un grand éclat de rire... « Xarasho Xarasho » s’exclame-t-il... « Voilà le stratagème qu’a trouvé ma famille pour me faire écrire... » Il se met à gratter les pages de cet affreux roman dont la lecture est une torture jusqu’à ce qu’elles deviennent aussi blanches que neige. Et puis, d’une plume alerte, il trace le premier titre qui lui est venu en le lisant: « Crime et châtiment ».

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