mardi 31 mars 2009

10 vues du Mont Fuji

Une nuit, il y a longtemps, j’avais rêvé du Fuji. Je passai la nuit dans un hôtel au pied de la montagne et en ouvrant la fenêtre le matin, je le voyais, massif, presque vivant.

A travers la fenêtre, j’observais le Fuji : il était là, debout, dans son pesant silence. « C’est vraiment quelque chose ! » pensai-je en le regardant.
- Il n’y a pas à dire, m’écriai-je, le Fuji, ce n’est tout de même pas mal ! Il tient bien son rang !
Cent vues du Mont Fuji de DAZAI Osamu

Il paraît que cela porte bonheur de rêver du Fuji.
Peut-être c’est grâce à ce rêve qu’enfin, en récompense, au bout de mon quatrième voyage au Japon, j’ai pu le voir vraiment - si l’on peut dire car un hublot d’avion et une fenêtre de train s’interposaient encore entre lui et moi. De l’avion c’était un spectacle extraordinaire. Un personnage d’une nouvelle d’Osamu Dazai compare très justement son cratère à un nénuphar blanc.Pourtant, en revenant de Kyoto, j’avais encore failli le rater : ce n’est que le murmure d’admiration qui a couru parmi mes voisins de train qui m'avait fait lever la tête de mon livre pour regarder par la fenêtre.
« Il était comme une flamme aux reflets bleus flottant dans le ciel » dit Osamu Dazai dans sa nouvelle. Il dit aussi: « Ce petit triangle tout blanc, là-bas, à l’horizon : c’est lui. Ce n’est pas grand-chose : une sorte de « gâteau de Noël » ! Il penche dangereusement du côté gauche : on dirait un navire de guerre qui aurait été touché, et dont la poupe commencerait à s’enfoncer dans la mer. »
Et aussi: « Faire le choix de la simplicité, du naturel – et donc de la brièveté limpide-, et transcrire mes impressions telles quelles : c’était ainsi qu’il me fallait écrire. L’image de Fuji, son « style », avait peut-être la beauté de l’expression simple. »C’est sur le chemin d’un énième pèlerinage, il y a presque 1000 ans, que Dame Sarashina l’admira : « There is no mountain like it in the world. It has a most unusual shape and seems to have been painted deep blue; its thick cover of unmelted snow gives the impression that the mountain is wearing a white jacket over a dress of deep violet. »
Cela devait être impressionnant quand il n’y avait rien d’autre dans le paysage, et surtout pas ces multiples cheminées crachant une épaisse fumée blanche. A cause d’elles on croit que le Fuji n’est qu’une illusion, qu’une image flottante.

Comme s’il avait jailli de la lampe d’un génie.

lundi 30 mars 2009

Il sait se faire désirer

Si on ne peut pas y aller soi-même en pèlerinage et qu’on vit à Tôkyô, on a l’embarras du choix : il suffit de se rendre au jardin Hamarikyû par exemple et de grimper au sommet de ce mont artificiel pour que les mille dieux du Japon fassent preuve d’indulgence à votre égard. Mais le vrai, l’unique, la star, il s’annonce par des sunlights de nuages... ...des tourbillons de brume, un puissant souffle blanc... une lave blanche immatérielle projetée dans le ciel bleu... ...une nuée enchantée au-dessus de prosaïques champs de salades et de choux-fleurs...
Plus on s'en approche et plus il se fait aveuglant... qui lance ce feu d'artifice? Peut-être ce sont des fusées de détresse ? La détresse de ceux qui ont contemplé de trop près sa beauté ?

dimanche 29 mars 2009

Gares à moi

Mercredi soir j’aurais dû assister, à l’ICA, à une conférence de l’ethnologue Marc Augé, mais le pauvre était malade. C’est dommage parce que j’aurais bien aimé l’entendre disserter sur les non-lieux, ces « voies rapides, échangeurs, gares, aéroports... trains ou avions... grandes chaînes hôtelières aux chambres interchangeables... supermarchés... Tout le contraire d’un lieu au sens commun du terme. Seul, mais semblable aux autres, l’utilisateur du non-lieu entretient avec celui-ci une relation contractuelle symbolisée par le billet de train ou d’avion, la carte présentée au péage ou même au chariot poussé dans les travées d’une grande surface. Dans ces non-lieux, on ne conquiert son anonymat qu’en fournissant la preuve de son identité – passeport, carte de crédit, chèque ou tout autre permis qui en autorise l’accès. »
Ce sont peut-être des « non-lieux », mais j’aime les gares. J’aime surtout m’en échapper car ce que je préfère, au fond, ce sont les trains. Peut-être parce que j’aime le cinéma : traverser anonymement des étendues qui se déroulent, se dévident comme une pellicule sous mes yeux, c’est un peu la même chose !
Il y a la gare du Nord, à Paris. J’y pense toujours à la Bête humaine de Zola : ...la gare, cette tranchée large trouant le quartier de l'Europe. A gauche, les marquises... ouvraient leurs porches géants, aux vitrages enfumés, celle des grandes lignes, immense... les trois doubles voies qui sortaient du pont, se ramifiaient, s'écartaient en un éventail dont les branches de métal, multipliées, innombrables, allaient se perdre sous les marquises.
Mais peut-être parlait-il de la gare Saint-Lazare ? Les trains ont bien changé depuis et les cheminots n’ont plus le visage barbouillé de suie comme Jean Gabin dans le film de Renoir !Il y a surtout la gare de Kyoto, dont l’architecte s’est amusé avec les structures et la charpente métalliques !J’ai noué une relation privilégiée - contractuelle uniquement comme dirait Marc Augé - avec le pauvre employé posté juste après les tourniquets d’accès au quai tant je lui ai demandé non chemin ! Ce jour-là j’étais à la fois triste en regardant le tableau d’affichage...Mais impatiente de monter à bord du Shinkansen avec son nez d’ornithorynque !
Que la neige de février dans le Kent et le Nord de la France me semble loin...Tandis que les alentours de Kyoto me semblent très proches, eux !Il faut du non-lieu, parce que les non-lieux sont les espaces où quelque chose peut surgir... Cela me plaisait d’évoquer les non-lieux pour des espaces un peu abstraits, non qualifiés, non décrits, ces décors où, comme dans le romans de chevalerie, le chevalier errant est là, et s’il est errant, c’est qu’il est seul, il n’y a pas de social, mais quelque chose peut surgir. On est toujours heureux que quelque chose puisse arriver. Il y a une poésie propre... A partir du moment où nous vivons à l’échelle de la planète à bien des égards, il est évident que les espaces de communication, de circulation et de consommation, occupent une place plus importante... Il n’y aurait plus de non-lieux, peut-être, le jour où il y aurait une société-humanité, une société planétaire, c’est-à-dire une société unique – est-ce que c’est souhaitable ? Je n’en sais rien. (Marc Augé, ici)

samedi 28 mars 2009

Monde excitant

Avant d’assister au Barbican Centre à un spectacle de Kabuki d’après Twelfth Night de Shakespeare, je viens de voir une belle expo à la Royal Academy sur Utagawa Kuniyoshi (1797-1861), l'un des derniers grands maîtres de l’ukiyo-e (estampes sur le monde flottant).
Je l’avais souvent rencontré au fil de mes lectures car il a en particulier illustré les poèmes de l’anthologie Cent poèmes par cent poètes, réunis au XIIIe siècle par Fujiwara no Teika dans laquelle Dame Nijô puise à tours de bras.

Mon estampe préférée est celle représentant le poète et courtisan Ariwara no Narihira admirant « l’eau rougie des feuilles » de la rivière Tatsuta. On dit que Ariwara no Narihira (825-880) était un grand amoureux : fils d’empereur il fut banni de la cour pour une liaison avec l’impératrice. Il se cacherait sous les traits du héros des Contes d’Ise et il aurait inspiré à Muraski Shikibu son Prince Genji.

Mais comme en ce moment je lis Le Dit des Heike, c’est l’estampe intitulée « Fantômes des guerriers du clan Taira au fond de la baie de Daimotsu » qui a le plus retenu mon attention. Je suis encore loin de leur défaite cuisante... Elle est un peu macabre mais le soin qu’a apporté Kuniyoshi à dessiner les poissons, les calamars géants, et les crabes aux carapaces humaines m’amuse beaucoup. Pour rester dans l’ambiance japonaise j’ai goûté un sakura mochi, avec sa feuille et sa fleur de cerisier, dans une pâtisserie jouxtant le musée. J’ai eu du mal à l’avaler. Heureusement, de l’autre côté de la Royal Academy se trouve une boutique Ladurée... qui porte bien mal son nom tant ses macarons sont éphémères !

vendredi 27 mars 2009

En cours de Français aussi, tout finit par des chansons!

Derniers cours de l’année pour deux classes. Et si on étudiait une chanson, pour finir en beauté ?
Pour le premier cours, j’avais choisi Parachutes dorés d’Alain Souchon. On regarde le clip sans le son d’abord pour deviner le sujet de la chanson. On déchiffre ensuite des paroles telles que « J’ai creusé la dette au lieu de me creuser la tête » ou « La boîte a coulé... on va se la couler douce », ou bien encore « La pilule on va se la dorer ». Maintenant, écoutons la chanson avec le son ! A ce moment-là, un crachottis de mauvais augure est sorti des haut-parleurs, se transformant en bruit assourdissant... il a fallu tout arrêter... Il ne me restait plus qu’à chanter la chanson a capella... J’avais l’impression d’être devant le jury d’« A la recherche de la nouvelle star » !
Pour la deuxième classe, j’étais très fière des trois pages d’exercices en tous genres que j’avais concoctés sur la chanson Des hommes pareils de Francis Cabrel et son vidéo clip. Cabrel, c’est pas trop ma tasse de thé, mais bon... Nous avons parlé respect, tolérance, fraternité... Au bout d’une heure de cours ils voulaient continuer sur cette lancée et écouter d’autres chansons.
Leurs choix m’ont sidérée: Jacques Brel (Les bonbons), Edith Piaf (La Foule), Charles Aznavour (Avoir 20 ans), Sylvie Vartan (L’amour c’est comme une cigarette), Mireille Mathieu (Mille colombes), Claude François (Le téléphone pleure), La Compagnie Créole (Au bal masqué)! J’ai découvert atterrée que leurs connaissances musicales remontaient à Hérode... Mais d’où sortent ces goûts-là vu qu’ils ne sont pas Français et qu’ils n’ont que 18 ans? Et moi, avec ma « dernière chanson de Francis Cabrel »... j’avais l’air fin, tiens ! Mireille Mathieu... c’est dingue ! Et triste.
En sortant de ce cours un peu déjanté (ils chantaient les chansons à tue-tête), les paroles d’une chanson de circonstance me sont venues à l’esprit: « Je vais craquer, au feu les pompiers ! » (Oh Gaby de Bashung).

jeudi 26 mars 2009

Prochain arrêt: le Nirvana

Ce jour-là, sans doute dopée par l’exquise crème aux haricots rouges que j’avais savourée en face du Tenryu-ji, ainsi que par ma longue randonnée dans la région de l’Arashiyama, sur ma lancée, je me suis arrêtée au Kôryû-ji, fondé par le prince Shôtoku en 603. Je me souviens très bien du trajet en bus parce que je ne connaissais absolument pas mon chemin, le nom de tous les arrêts se ressemblaient, et il fallait être sur le qui-vive. C’était à la fois un peu stressant et excitant. Je crois aussi que j’en avais un peu marre de perdre mon chemin sans arrêt !Dans l’enceinte du temple, tout au fond, se trouve le Shin-Reihôden, un pavillon où sont entreposés les Trésors du temple. J’avais lu que s’y trouvait une rare statue du Miroku Bosatsu. Bosatsu est le nom que prend un saint qui, au lieu d’aller tout de suite au Nirvana, recule son départ et reste un peu sur terre pour aider l’humanité dans ses souffrances. J’avais lu que le philosophe allemand Karl Jaspers avait écrit, après avoir admiré la statue du Kôryû-ji, qu’il n’avait jamais vu une oeuvre d’art exprimant autant la paix la plus pure.Certains voient une influence chrétienne dans la pose de cette statue, à l’origine recouverte d’or. Elle viendrait de Corée ou bien des artisans coréens, installés dans la région de Kyoto, l’auraient sculptée dans du pin rouge. La disposition des doigts de la main droite serait très symbolique et indiquerait que c’est le Christ et non Bouddha qu’on a voulu représenter.Il faisait gris, il n’y avait pas âme qui vive, et cette tranquillité n’était troublée que par une bande de corbeaux tapageurs qui se poursuivaient dans les arbres, ce qui me comblait.L’intérieur du pavillon aux Trésors est en bois de cerisier et de paulownia. Le Miroku Bosatsu n’est pas tout seul dans cette atmosphère feutrée et parfumée, mais comment ne pas voir que lui ? Un halo de lumière renforce la douceur de ses traits. C’est très poignant parce que face à cette statue d’une magnifique beauté, on languit de connaître la même paix intérieure pour pouvoir sourire aussi sereinement que lui. Je suis sortie encore plus ragaillardie du Kôryû-ji, et moi, contrairement au Miroku Bosatsu, je n’ai pas attendu cinq minutes de plus pour aller au Nirvana : je me suis précipitée, direct, au cinéma !

mercredi 25 mars 2009

Incontournable

La baraque est tarabiscotée et biscornue. Tout nous indique qu’elle est à part : elle se trouve en haut d’une côte, au bout d’une ruelle sans issue, dans un quartier populaire de Tokyo. Elle est bordée par une voie ferrée. On n’aurait pas été surpris si le cinéaste avait ajouté un sinistre corbeau perché sur sa cheminée ! S’il ne s’agit pas d’un film d’épouvante, dont son réalisateur est l’un des maîtres, il raconte quand même l’histoire de fantômes, bien réels ceux-ci.
J’aime les premiers plans du film. La caméra se déplace sur la pointe des pieds à l’intérieur de la maison. L’espace est étroit, encombré, fragmenté : le coin repas, le coin cuisine, le coin salon. On doit s’y bousculer, jouer des coudes pour exister. Une main invisible feuillette des magazines jetés là sur une table basse. Les rideaux s’agitent comme si un maraudeur s’y cachait. Si l’on connaît son cinéma japonais sur le bout des doigts, on reconnaît immédiatement la signature de l’auteur de ces images.
Au moment où le vent s’engouffre plus fort dans la pièce, une femme s’avance et ferme brusquement la porte fenêtre coulissante. La pluie a laissé une flaque, qu’elle s’empresse d’éponger. On la sent comme prisonnière de cet espace étouffant qu’elle protège bec et ongles des agressions de l’extérieur, qu’elles soient climatiques ou économiques. Mais bientôt cette bulle illusoire va éclater.
Il s’agit de Tokyo Sonata, le réalisateur est Kiyoshi Kurosawa et le film sort aujourd’hui en France.

mardi 24 mars 2009

Téléportation

Je suis à Kyōto
Mais au chant du coucou
Rêvant de Kyōto.

Bashō
Se souvenir de moments heureux est à double tranchant.Prenez cette visite au Kiyomizu à Kyoto par exemple. Je m’en souviens comme si c’était hier. Je n’ai point besoin de fermer les yeux pour revoir la rue qui y mène, ses commerces, les bonnes odeurs de gâteaux que l’on prépare sur le pas des boutiques, et cette pagode, comme un phare à l’horizon.Le soleil menace de se coucher à tout moment et il fallait se dépêcher si on voulait le voir darder ses plus beaux rayons de la célèbre plate-forme du temple.Alors, c’est un peu bête et injuste, on ne jette qu’un coup d’oeil aux autres pavillons : celui-ci semble, de loin, abriter de minuscules Père Noël..... mais l’esprit de Noël nous joue des tours, ce sont en fait des statuettes de Jizo.
Nous voilà face au soleil, c’est beau, c’est émouvant, on a un sentiment d’éternité. Les flashs crépitent. Nous retrouvons nos instincts primitifs : et si nous venions de voir le dernier soleil se coucher ?Mais un peu follement on se dit qu’on s’en moque parce qu’on a assisté à ce rituel à Kyoto et que tout peut nous arriver maintenant, et vivre le reste de notre vie dans la lumière électrique ne nous effraie pas!Je me souviens précisément de tout cela... du chemin qui descend la colline, de la fraîcheur du soir, et même de ce que disait un couple de Français sur leurs enfants qu'ils devaient retrouver à Tokyo le lendemain. Avoir une excellente mémoire, c’est bien, mais déchirant. J’aimerais être là-bas tout entière, corps et âme, et pas seulement par la pensée. Dire qu’il me faut encore attendre huit mois !
Je ne savais plus vraiment où j’étais en quittant l’enceinte du Kiyomizu. J’ai suivi une petite ruelle à l’aveuglette pour tomber sur une boutique qui vendait de très jolies boucles d’oreille... Même déboussolée, je ne perds pas le Nord !Dans ce monde, si l’homme n’existait pas, une ville comme Kyôto n’existerait pas non plus, et il n’y aurait que des forêts sauvages et des champs d’herbes folles. Et ici, ce serait le domaine des sangliers ou des cerfs, non ?
Kyôto de Kawabata Yasunari