lundi 2 mars 2009

Lettres de Mukojima

J’avais pris le train à Asakusa et j’étais descendue à la station Higashi Mukojima, sur la ligne Tobu Isezaki. Difficile d’imaginer, en traversant cette banlieue si peuplée, qu’il y a plusieurs siècles se trouvait là l’estuaire de la Sumida, qu’elle s’y jetait dans une mer peu profonde constellée de petites îles. Mukojima, « l’île d’en face », était l’une d’entre elles.Ma première étape fut pour le Hyakkaen, « le jardin aux cent fleurs », conçu par le riche antiquaire Sahara Kikû en 1804, et que j’ai trouvé jonché de feuilles mortes. Je n’y ai pas vu la moindre fleur mentionnée dans les classiques de la littérature chinoise et japonaise, et seuls de gros citrons bien jaunes lui donnaient une touche de couleur. On y trouve aussi 29 monuments dédiés à de célèbres hommes de lettres tels que Bashō.Quittant le jardin, je me suis dirigée vers le petit temple Shirahige-jinja qui date de l’an 951. Shirahige, le dieu à barbe blanche, appartient au panthéon coréen. Une petite plaque nous apprend que ce lieu était réputé pour la culture des aubergines.J’ai ensuite traversé le pont Shirahige Bashi et me suis dirigée vers le temple Ishihama-jinja. Quel endroit triste... défiguré par les siècles, les bombes de la deuxième guerre mondiale, et survolé d’autoroutes. Le ciel gris ajoutait à l’impression d’être loin de tout, et me donnait envie de rebrousser chemin pour retrouver la foule d’Asakusa.Autrefois, au Moyen Age, on traversait la Sumida un peu plus loin. Un village prospère s’y développa, qui prit une importance stratégique. L’Ishihama-jinja était le temple tutélaire de ce village. En 1180, Minamono no Yoritomo (1147-99), futur shogun de Kamakura, y traversa le fleuve pour aller combattre le clan Taira, qu’il vainquit en 1185.Le temple était désert et bétonné. Un peu mal à l’aise, j’ai vite retraversé le pont, et j’ai longé une cité dortoir impressionnante. Soudain, après ce qui me parut avoir été des kilomètres, un grand torii rouge planté devant un des bâtiments m’indiqua que le temple Mokubo-ji se trouvait dans les parages. Comme le poète Issa, en 1803 j’aurais donc pu m’exclamer joyeusement:
I see Mokubo temple!
I see!
Ladies with parasols.
Mais c’est aujourd’hui un endroit lugubre et désolé... Un homme lisait sur un banc. Une femme, maquillée comme une voiture volée, promenait son chien dans une poussette...

L’origine du temple, qu’on ne pouvait atteindre qu’en bateau autrefois, remonte au Xe siècle : Umewakamaru, le fils d’un noble, kidnappé à Kyoto pour être vendu dans le nord du Japon, tomba malade et mourut en captivité. On l’abandonna sur les rives de la Sumida en 976. Sa mère se lança à sa recherche. Soudain, atteignant ce qui était alors la frontière la plus orientale du Japon, elle vit une foule qui se pressait autour d’une tombe, et qui priait pour un enfant, mort jour pour jour, un an auparavant. Elle entendit alors la voix de son fils s’élever de dessous la terre. Folle de douleur elle se jeta dans la Sumida. Soami retrace cette histoire tragique dans une célèbre pièce de Nō: « Sumidagawa ». Dans le périmètre du temple se trouverait un petit tertre en mémoire de Umewakamaru sur lequel les mères prient pour le destin de leurs enfants. Un saule pleureur y a été planté. S’y trouve-t-il encore? Ce dont je me souviens ensuite c’est de mon retour à Asakusa, de son métro bondé, vivant, et combien j’avais envie de rire après mon équipée sauvage à Mukojima !

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