dimanche 31 janvier 2010

Diluée

Pour Satchi ko qui ne connaissait pas Tokyo, des noms de quartiers comme Shibouya, la Dôgenzaka n’éveillaient en elle aucune idée. Elle imaginait seulement quelque chose comme les aperçus lointains qu’elle avait eus à travers les fenêtres du tramway circulaire, de collines boisées, de vallées, de groupes espacés de maisons, et là-dessus un ciel glacial dont la couleur même donnait le frisson, en un mot un monde totalement différent de celui de la région d’Osaka.
Quatre soeurs de Tanizaki
Tout ce que je sais, c’est qu’au Musée de la Photographie de Tokyo, dans le quartier d’Ebisu, j’avais vu une expo sur Nakayama Iwata. Mais qu’au bout du compte, ce que j’avais préféré, à un autre étage, c’étaient les photos de paysage prises par Toshio Shibata (ici). Après, je ne sais plus, mes traces s’arrêtent là...

samedi 30 janvier 2010

Lieu d’être

Je ne sais pas combien de fois j’ai lu et relu les mots ci-dessus. J’imagine cette boîte. J’imagine l’excitation des archéologues du XIXe siècle. Et j’aime l’idée que ces quelques fragments de terre cuite aient aidé à faire renaître de leurs cendres des villes aussi légendaires que Ninive et Babylone, rayées de la carte depuis des siècles. Une boîte qui contiendrait une ville... Mon imagination qui contient cette boîte qui contient Babylone... C'est vertigineux. Cet après-midi-là moi aussi j’ai fait une « découverte »: la salle 1. Je l’avais traversée une ou deux fois, sans m’y arrêter, car j’avais l’impression qu’on n'y avait exposé que du bric-à-brac... Se côtoient sans ordre apparent, art chinois et japonais, momies égyptiennes, poteries et statues grecques ou romaines, coquillages ramenés par le Capitaine Cook, papillons et scarabées collectés sur l’Ile de Pâques, livres anciens abordant tous les sujets sous le soleil... Je préférais de loin les salles thématiques. Elle est souvent vide d'ailleurs. Cette salle 1 est consacrée aux « Lumières » (Enlightenment), comme le siècle où a été créé le musée, et comme l’effet d’illumination qu’a le Savoir sur l’esprit. C’est le microcosme du musée dans son ensemble. Elle raconte comment il est né (de l’insatiable curiosité de Hans Sloane pour la planète entière et son prochain, surtout si celui-ci vivait aux antipodes de l’Angleterre) et nous révèle son objet, sa raison d’être: pour comprendre le monde et s’en faire une idée, il faut comparer les objets, les civilisations, les pots incas et les pots égyptiens, la statuaire grecque et la romaine, les bottes en phoque des Esquimaux et les sandales des Indiens des Grandes Plaines. Et pour comparer, il faut avoir tout cela sous les yeux en même temps. Flâner dans cette salle, parcourir l’esprit cosmopolite de Hans Sloane, c'est tisser des passerelles entre ce qui existe, a existé et existera. Bref, c'est réfléchir à la tolérance, à la liberté, et surtout à notre identité... Notre appétit aiguisé par ce hors d’oeuvre de choix, notre curiosité à son comble, il est temps de s’éparpiller dans les autres étages.
Cette salle est à elle même un contraste: si les autres sont claires, modernes, animées, celle-ci, toute en boiseries et éclairages tamisés, à l’atmosphère feutrée de vieille bibliothèque, est justement consacrée aux Lumières... Nul besoin non plus de gravir de grands escaliers et de jouer des coudes dans d’étroits couloirs pour passer d’un thème à un autre. Ici, c’est un voyage dans le temps et dans la pensée qui se fait dans l'instant, dans un silence recueilli. Et c’est en voyant le monde d’aujourd’hui se mêler aux objets antiques contenus dans les vitrines, grâce au jeu des reflets conjugués de mon visage, des murs, des frises du plafond, des grandes fenêtres, du ciel et des arbres à l’extérieur, que j’ai compris clairement ce que je venais chercher aussi souvent au British Museum.

vendredi 29 janvier 2010

Course vagabonde

Plus tard elles se rempliraient, puis se videraient, et moi, moi, à ce moment-là, je serais libre comme l’air.Je n’imaginais pas alors que ce ciel, entr’aperçu de l’intérieur des murs, si soudainement bleu, se mettrait à rosir à la minute où je traverserais Oxford Circus. Je n’ai pas eu le temps d’en profiter. Qu'importe, le crépuscule a aussi ses charmes.Rien sur la façade sobre n’indiquait ce qui se cachait derrière ses vitres fumées. Ecole de Haïku ? Temple ou Musée dédié à cet art et à ses génies tels que Bashô ou Issa? Espoirs déçus : il s’agit d’un énième restaurant de spécialités culinaires dites du « monde asiatique ».Dans Saville Row, les tailleurs chics ont pignon sur rue. Qui allait porter ce costume de gala et brandir l’épée rutilante ? Un prince, un acteur, ou un valet de Buckingham Palace ?
J’essayais d’imaginer à quoi pourrait bien me servir un si grand espace quand d’une voiture avec chauffeur un vieux monsieur fort élégant est descendu. On lui faisait mille manières. Le ciel n’en finissait pas de rosir du côté de l’ouest de Londres. Mais j’avais l’impression que le temps s’écoulait très lentement, au compte-gouttes. Au terme d’un très grand détour, je suis arrivée à Piccadilly Circus qui fait peau neuve en ce moment. Palissades, grues géantes, devantures noircies nous font espérer un Londres pimpant au printemps. Lumières de Soho et du quartier chinois. Chercher un café sympa, bouquiner, attendre que passe le temps, enfin.Leicester square. Se retourner une dernière fois pour voir le rose du ciel. J’ai soudain pensé à une chanson de Serge Reggiani qui commence ainsi : « Moi j’ai le temps je vous le donne...»

jeudi 28 janvier 2010

Menez vie ronde

Depuis que j’ai lu ce vers d’Eustache Deschamps, un poète du XIVe siècle, je me demande ce que cela signifiait exactement à son époque de « mener vie ronde ». Comme c’est un vers qui fait partie d’un poème comparable à La Ballade des Pendus de Villon, peut-être cela veut dire d’éviter les excès, les extravagances, et de prier pour son Salut ? Je repensais à ce vers et, en regardant autour de moi et par la fenêtre, je ne voyais rien de rond.Il n’y avait que des rectangles et des carrés. Partout. Je me demande bien l’effet que cela fait sur notre esprit, sur notre moral, de vivre dans des carrés qui se démultiplient et se reflètent les uns les autres.Et ce ciel nouvellement bleu si tentant à l’extérieur !Dans cette salle de classe seule la montre était ronde. Cette montre égrenant les heures qui me séparaient du ciel bleu et du rendez-vous.Attablée dans un agréable café de Leicester square devant un thé marocain, j’ai soudain remarqué la rondeur de la théière et de la tasse. C’est donc ça « mener vie ronde », vie douce, vie bonne, vie belle... où les seuls parallélépipèdes ayant droit de cité sont les livres !

mercredi 27 janvier 2010

Impayable Lucien

Les vêtements des Bienheureux sont faits de toiles d'araignée, fort ténues, couleur de pourpre ; du reste, ils n'ont pas de corps ; ils sont impalpables, sans chair, et n'offrent aux yeux qu'une forme et une apparence : cependant, malgré cette absence de corps, ils ne laissent pas de se tenir debout, de se remuer, de penser, de parler. Personne, chez eux, ne vieillit : chacun y garde l'âge qu'il avait en arrivant. Jamais il ne fait nuit, quoique le jour n'y soit pas éclatant ; mais un crépuscule semblable à celui qui, le matin, précède le lever du soleil, enveloppe toute la contrée. Ils ne connaissent qu'une seule saison pour toute l'année : c'est un printemps éternel, avec un seul vent qui souffle, le Zéphyre.

Histoire Véritable de Lucien de Samosate (120-180)
On trouve toutes sortes d’étranges créatures dans le livre de Lucien de Samosate, la première oeuvre de science-fiction dit-on. Mes préférés sont les Lachanoptères, de grands oiseaux vivant sur la Lune, couverts de légumes, dont les ailes ressemblent à des feuilles de laitue ou les Tarichanes, qui ont des yeux d’anguille et un visage d’écrevisse. C’est très drôle !

mardi 26 janvier 2010

On top of things

Ce qui me stresse le plus, quand j’ai passé plus d’une journée sans lire mes emails, c’est d’imaginer qu’ils s’empilent les uns sur les autres par dizaines, et que chacun porte un message me demandant de faire un truc urgent et imprévu qui va me bouffer ma journée.Chaque fois je dois livrer combat contre ces horribles emails ou plutôt contre mon stress, car souvent je remarque que ce qui est « urgent et imprévu » ne veut pas dire la même chose pour tout le monde et que, somme toute, ces emails sont assez rares... Mais bon, je stresse quand même.
Mais ce qui est un sentiment exaltant c’est quand justement je dois faire face à pleins de ces emails barbants, qui m’ont empêchée de dormir, qui m’ont fait me lever aux aurores pour leur livrer bataille, et que ce stress génère une telle énergie efficace, que je règle tout très vite... Etre « on top of things » c’est vraiment une des choses les plus vivifiantes. Et cet après-midi là ça m’avait propulsée à l’autre bout de Londres, au Victoria&Albert Museum ! C’était un des plus récents « stressless day » que j’ai connus en janvier.

lundi 25 janvier 2010

Où il s’agit de grenouilles et de lucioles...

un vieil étang
une grenouille plonge
le bruit de l’eau

Bashô
Quand Charles J. Yellowplush, le valet de Lord Deuceace, et héros hilarant de Thackeray, arrive à Balong-sir-mare (Boulogne-sur-mer), il est d'abord surpris que la ville ne soit pas vraiment située sur la mer comme son nom l'indiquait – « I who had heard of foring wonders, expected this to be the fust and greatest phansy, then, my disapintment, when we got there, to find this Balong, not situated on the sea, but on the shoar » - mais aussi de ne voir aucun Français ne manger de grenouilles: « and for frogs, upon my honour, I never see a single Frenchman swallow one, which I had been led to beleave was their reglar, though beastly, custom. » Il écrit comme il parle et c’est très très drôle. Au Louvre, quand elles ne sont pas égyptiennes, les grenouilles proviennent de l’atelier de Bernard Palissy qui se trouvait non loin de là au XVIe siècle. On a retrouvé de nombreux fragments de ses poteries lors des fouilles dans le sous-sol du Louvre. Persécuté en tant que Huguenot, ce « potier, émailleur, peintre, verrier, écrivain », est mort à la Bastille en 1589 « de faim, de froid et de mauvais traitements ».On peut voir beaucoup de ses céramiques aux décors naturalistes au dernier étage du musée.
Hier soir, au British Film Institute, j’ai pensé aux grenouilles de Bernard Palissy. On y projetait en avant-première le nouveau film des studios Walt Disney : La princesse et la grenouille, en présence du réalisateur, du dessinateur et de la voix de la princesse. Le film est très amusant, il se passe à La Nouvelle-Orléans dans les années vingt. Si on met de côté les trucs un peu nian-nian à la Disney, il y a des séquences magnifiques, surtout quand il s’agit des lucioles (fireflies). L’enterrement de Raymond-la-luciole est d’une poésie telle que j’ai fondu en larmes !

dimanche 24 janvier 2010

Un coin qui me rappelle...

Ce célèbre portrait de Henri III (1551-1589) par François Quesnel, se trouve au Louvre dans une petite pièce sombre. Il est entouré par les portraits de nombreux autres membres de son illustre famille. Quand je suis entrée dans cette pièce, deux personnes critiquaient tout haut, avec vulgarité, le look de ces rois et de ces reines. Devant ce portrait elles se sont exclamées : « Qu’il est moche ! » J’ai immédiatement éprouvé de la sympathie pour ce roi, lui trouvant même un certain charme. Quand en 1577 Henri III établit la communauté des Marchands de vin, du côté de la rue Geoffroy-Lasnier dont je parlais hier, existe une rue Garnier-sur-l’eau. En 1257 elle avait pour nom André sur l’Eau, puis Garnier sur l’Yaue et Guernier sur l’Eau du nom d’un certain Garnier qui y habitait et qui céda certaines de ses maisons aux Templiers. Après Henri III, vint Henri IV et sa poule au pot. Puis Louis XIII.

Sous Louis XIV, la communauté des marchands de vin ont le siège de leur corporation dans la rue Grenier-sur-l'eau. Cette statue pédestre de ronde-bosse de Louis XIV en empereur romain par Antoine Coysevox, se trouve dans la cour de l’Hôtel Le pelletier de Saint-Fargeau qui abrite le Musée Carnavalet. Il porte un « habit de triomphateur romain » et il est « appuyé d’une main sur un faisceau d’armes, étendant l’autre en signe de commandement » Cette statue se trouvait dans la cour de l’Hôtel de Ville de Paris avant la Révolution et échappa miraculeusement à la destruction. En ronde-bosse se dit des statues que l’on peut observer sous tous les angles comme celle de la Vénus de Milo.Aujourd’hui, la rue Grenier-sur-l’Eau s’appelle l’Allée des Justes. Elle longe le Mémorial de la Shoah. Au no.12 se trouve une vieille maison construite en 1327 pour l’Abbaye de Maubuisson (Val d’Oise). C’est dans cette abbaye que Christine de Pizan s’est retirée à la fin de sa vie : il me plaît de croire qu’elle descendait dans cette « maison de ville » quand elle mettait les pieds à Paris !
Au fond de la photo on peut voir la plaque de la rue des Barres. Il est difficile de s’imaginer qu’à l’époque gallo-romaine il y avait tout autour des marécages et que des pêcheurs vivaient sur cette petite hauteur.
Les tribulations du nom de la rue racontent l’histoire du quartier : ruelle aux Moulins-des-Barres en 1250 (il y avait des moulins à proximité au lieu dit des Barres), puis ruelle aux Moulins-du-Temple, puis rue du Chevet-St-Gervais en 1386. Au VIe siècle on avait élevé ici une chapelle dédiée aux martyrs Gervais et Protais sur l’emplacement d’une nécropole du IIe siècle.
Et j’ai vraiment fait un acte manqué le jour de mon passage : Je suis passée devant une des entrées de l’église St Gervais sans pousser plus loin ma curiosité. Ah ! Si j’avais connu l’histoire de cette église et surtout qui la fréquentait ! Ce sera pour une prochaine fois...

samedi 23 janvier 2010

J’écris, tu écris, il ou elle écrit...

J’ai toujours aimé écrire, voir les autres écrire, entendre quelqu’un dire qu’il ou elle aime écrire. Je ne peux pas imaginer qu’on puisse traverser la vie sans écrire, sans en avoir envie.
Lors d’un examen, j’aime voir mes étudiants rédiger leur essai devant moi, se creuser la tête, chercher le bon mot, faire attention à leur grammaire. J’aime voir les petits cahiers spéciaux qu’ils se concoctent pour noter le vocabulaire que je leur donne. Je les trouve touchants.
J’aime les lettres que mon père m’envoie, des mots sur de petits morceaux de papier qu’il avait sous la main au moment où il a eu envie de m’écrire : c’est le roi du recyclage !
J’aime la possibilité d’écriture que représente un nouveau carnet, une page de blog.
Peut-être cela me vient-il du spectacle de ma mère écrivant de longues lettres à ses parents sur une énorme machine à écrire dont je me servirais la dernière fois pour taper mon Mémoire de Licence sur The Holy Grail des Monty Pythons. A l’époque, je jurais mes grands dieux que jamais, au grand jamais, je n’aurais d’ordinateur de ma vie !
C’est pourquoi je suis fascinée par cette tablette en bois d’origine romaine, composée de quatre feuilles qu’on enduisait de cire pour pouvoir y écrire à l’aide d’un stylet, retrouvée à Hawara en Egypte (ci-dessous) et par la petite figurine grecque en terre cuite (300 av. J.-C.) représentant une jeune fille en train d’écrire sur ce genre de tablettes.

vendredi 22 janvier 2010

Le pressentiment d’un jardin secret

Si la machine à remonter le temps existait, je me transporterais en 1780, rue Geoffroy-L’Asnier (du nom d’une famille bourgeoise du XVe siècle qui la possédait presque toute) dans le 4e arrondissement de Paris, pour assister à l’arrivée de Danton, à l'enseigne de l’auberge du Cheval Noir, où descendaient les Champenois de passage dans la capitale.
De là je remonterais en 1625, sous le règne de Louis XIII, pour visiter, au no.26, l’Hôtel de Châlons-Luxembourg (du nom d’un commerçant nommé Châlons et de Madame de Luxembourg, femme d’un conseiller de Louis XIV) dont le portail est considéré comme le « plus beau du Marais ». A quoi ressemblait Guillaume Perrochel, trésorier de France, pour qui on l'a construit? Le terrain appartenait à Antoine Le Fèvre de la Borderie, ambassadeur d’Henri IV en Angleterre, puis à son gendre, le conseiller d’état Robert Arnauld d’Andilly (1589-1674), qui était aussi passé maître dans l’art de tailler les arbres fruitiers.
Quand on emprunte cette rue, on ne peut manquer ce portail, clos le jour de mon passage. Je n’ai pas osé, comme Gabriele d’Annunzio, « empoigner le lourd battant et pénétrer dans la cour ». Le sulfureux écrivain italien est en exil en France depuis 1910. Il est à la recherche d’une maison « où il aurait vécu dans le silence perpétuel comme au fond d’une petite ville de province la plus reculée. »
Ce jour de 1914 il l’a enfin trouvée : « De hauts murs couverts de lierre, un pavé verdi par l’herbe (...), derrière les fenêtres riches en monogrammes et de gargouilles, le pressentiment d’un jardin secret ». Le silence qui y règne n’est interrompu que par les cloches des églises et des couvents alentours et les « merveilleux concerts » d’oiseaux, car « c’est un asile de moineaux et de merles ». Ces derniers lui donnent « l’illusion de la forêt » et les cloches le font rêver à la Toscane et à l’Ombrie. Il y demeurera jusqu’en mai 1915.
Il loue cet appartement en rez-de-chaussée à Charles Huard, un illustrateur et caricaturiste célèbre qui a illustré les oeuvres complètes de Balzac et publia un « Londres comme je l’ai vu » en 1908.
Si la machine à remonter le temps existait, je ne reviendrais jamais en 2010.

jeudi 21 janvier 2010

Et nous souhaitons une bonne fête à toutes les Agnès!

Charles V est né au Bois de Vincennes, le 21 janvier 1338, jour de la Sainte-Agnès. Charles eut toujours un culte pour la patronne de son jour de naissance. Le carme Jean Golein savait lui plaire en traduisant pour lui en français l’histoire de Madame sainte Agnès, et les siècles ont épargné une coupe d’or émaillée, offerte au roi par son frère Jean de Berry, où un rouge translucide rehausse les fins dessins qui illustrent les épisodes de la vie et du martyre de sainte Agnès.
Charles V de Françoise Autrand
En fait, d’autres sources disent que ce roi qui me passionne était déjà mort quand cette coupe fut achevée et que c’est à Charles VI, que le duc de Berry l’offrit. Qu’importe ! Depuis que je suis tombée dessus cet été, j’aime bien aller la voir au troisième étage du British Museum. Elle a été judicieusement placée sous un projecteur à l’entrée des galeries médiévales, et malgré sa petite taille, elle brille d’un tel éclat qu’on a l’impression que le reste de la salle est plongée dans le noir. Elle vous éblouit. Alors j’espère qu’ « il » l’a tenue dans ses mains. En fait c’est un autre roi que mentionnent les éphémérides du 21 janvier : Louis XVI, guillotiné en 1793.Quand j’étais petite, le jour de ma fête était sacré. Tout le monde me la souhaitait, je recevais même un petit cadeau, et des cartes de voeux (en trouve-t-on encore de ce genre dans les carteries ?) Sur certaines on m’apprenait l’origine de mon prénom et sur d’autres comment Agnès était devenue « martyre en 303 sous Dioclétien» ce qui m’a longtemps laissée songeuse.
Aujourd’hui, même si c’est puéril, ça reste toujours une journée spéciale. Si je regarde mon agenda, elle va être très agréable, d'autant plus qu'une réunion barbante en a miraculeusement disparu. D'ici d'y voir la main de Madame Agnès...

mercredi 20 janvier 2010

Les songes d’Agnès, les plus doux de l’année ( John Keats)

La veille de la Sainte-Agnès, ah ! comme le froid était âpre !
Le hibou, malgré toutes ses plumes, était perclus.
Le lièvre boitait, tout tremblant, par l’herbe glacée
Et silencieux était le troupeau dans son bercail laineux.
« St. Agnes! Ah! it is St. Agnes’ Eve »: c’est donc le jour rêvé pour lire le long poème de John Keats (ici), pour aller voir ou revoir Bright Star de Jane Campion, et pour noter dans son agenda qu’il faudra me souhaiter « une bonne fête » demain !
Mais quel est donc ce culte de « sainte Agnès ailée » ?

... la veille de Sainte-Agnès
Les jeunes vierges pouvaient avoir des visions délicieuses
Et recevoir la douce adoration de leurs amoureux
Vers l’heure de miel du milieu de la nuit
Si elles savaient accomplir les rites propices !
Sans souper elles devaient reposer leurs beautés,
S’allonger la face au ciel, tels des lys immaculés
Nul regard en arrière ; ni autour d’elles, mais requérir
Du ciel les yeux levés, tous leurs désirs.
Si c’est à Wentworth Place, à Hampstead dans le nord de Londres (maison voisine de celle de Fanny Brawne, et qui est aujourd’hui un musée), que John Keats écrivit ce poème en 1819, c’est à Winchester qu’il y mit les dernières touches. S’est-il inspiré d’une visite à la cathédrale pour les premières strophes? Le « diseur de chapelets » qui n’a « lui, que la dure pénitence en la veille de Sainte-Agnès », défile-t-il près du gisant de ce chevalier inconnu dont je parlais il y a quelques semaines (ici)?
Il dit sa prière, ce patient, ce saint homme
Puis prend sa lampe, se lève de sur ses genoux
Et s’en vient, maigre, pieds nus, hâve,
A petits pas au long des bas-côtés de la chapelle.
De chaque côté les gisants sculptés semblaient transis
Emprisonnés de sombres grilles de purgatoire ;
Chevaliers, dames, mains jointes, priant en muettes oraisons
Défilaient près de lui ; et son faible esprit défaille à songer
Combien ils doivent souffrir sous ces casques et ces cottes de maille glacées.Les anges sculptés aux yeux éternellement guetteurs
Épiaient sous les corniches que soutenaient leurs fronts,
Les cheveux soulevés comme par le vent, les ailes croisées sur la poitrine.Une haute fenêtre dressait là ses trois arceaux
Toute enguirlandée de sculptures,
De fruits, de fleurs et de gerbes de renouée
Et losangée de vitres aux bizarres dessins,
Aux nuances, aux taches splendides innombrables
Comme les ailes d’une phalène tigrée de pourpre sombre
Et au centre parmi cent emblèmes héraldiques
Les saints crépusculaires, le blason pénombreux.
Un bouclier armorié rougissait du sang de reines et de rois.
Au « bitter chill » du premier vers, répond « cold », le dernier mot du poème, c’est pour cela que malgré sa magnifique imagerie, ce poème me fait froid dans le dos ! Et comment ne pas s’inquiéter face au sort de Madeline et Porphyro, ces deux amants qui s’enfuient dans la tempête?: And they are gone: ay, ages long ago/These lovers fled away into the storm... Brrr....