samedi 7 mars 2009

Supermarchés

Tokyo prolifère au gré d’un « urbanisme par pièces ». Elle progresse part touches, par îlots, par plis et par reprises. Dynamique et déstabilisante, tour à tour cataloguée comme une « ville globale » ou une « ville amibe ». Polycentrique, piquante et poignante, tout en revers et en bifurcations, c’est une espèce d’espace où, comme le dit Abe Kôbô : « Même si vous vous fourvoyez, vous ne pouvez pas faire fausse route. » Ville-embuscade, ville-surprise, entre l’embarras et l’étonnement : vous y trouverez ce que vous cherchez et, plus sûrement encore, ce que vous n’y cherchez pas.

Michaël Ferrier
Le goût de Tokyo (Mercure de France, 2008)
Si on vous donnait carte blanche pour fonder une ville, que construiriez-vous en premier ? Les réponses ont immédiatement fusé : « Un magasin de chaussures ! » a dit l’une, un vrai cri du coeur. « Une salle de gym ! » a dit l’autre, que sa ligne doit préoccuper. Notre ville imaginaire s’est vue doter pêle-mêle d’un supermarché (pas n’importe lequel, un Carrefour !), d’un cinéma, d’un Parlement, d’une université, d’une bibliothèque, d’un hôpital, d’une église et d’une mosquée, d’un réseau routier et d’une multitude de cafés, de restaurants, de parcs... Ni commissariat de police, ni prison, ni stade, ni pubs, ni hôtels non plus... ni même de maisons ! En les écoutant je me disais que la première chose que je construirais moi, c’est une maison, un nid, un cocon. Poussée dans mes retranchements, j’y ajouterais...un cinéma d’art et d’essai à l’architecture bizarroïde...un pont entre deux rives... un parc avec corbeaux incorporés ... et un temple japonais sous la pluie...

En avril, pas loin de chez moi, il y aura désormais 4 supermarchés... et pas de Carrefour. 4 enseignes à se partager les papilles et pépètes du quartier. La concurrence fait rage et il est de plus en plus difficile de distinguer le contenu des étagères et de se frayer un chemin dans cette jungle de rayons, hérissée d’affiches proposant des promotions alléchantes!
Faire ses courses en semaine, que c’est agréable ! Je n’ai jamais vu autant de papis et de mamies qu'hier matin! On m’a demandé gentiment d’attraper des boîtes de conserves haut perchées, d’aider à choisir une sauce pour les pâtes et un riz aromatisé, de me réjouir du prix cassé du Ardennes pâté et du poulet, de pester qu’ils « changent toujours tout de place ! » et qu’ « on ne sait plus où les oeufs se nichent maintenant ! » Mais en voyant une vieille dame charmante scanner ses carottes avec dextérité à une des nouvelles caisses automatiques – je les évite encore comme la peste - j’ai senti avec honte que la plus mamie des deux... c’était moi !

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