vendredi 8 mai 2009

Je ne monte pas sur mes grands chevaux mais...

C’est un phénomène de l’édition. La vente de ses livres atteint des chiffres mirobolants. Il pond des best-sellers à la douzaine. Son éditeur ne tarit pas d’éloges sur sa poule aux oeufs d’or. Pour convaincre ceux qui font la fine bouche, on ajoute toujours, dès qu’on mentionne son nom, qu’il est « traduit en plus de 23 langues », comme si les lecteurs étrangers avaient nécessairement plus de goût littéraire que les mauvais coucheurs nationaux. « Le livre est sorti ce matin, et 1h plus tard, j’en ai déjà vendu 10 exemplaires » se félicite une libraire. « Il se vend comme des petits pains ! » renchérit une autre. « On me harcèle au téléphone pour connaître le jour de la sortie de son dernier opus ».
Lui a le triomphe modeste. Il aime à raconter qu’un jour, dans un aéroport, apercevant une de ses lectrices plongée dans son dernier livre, il se serait approchée d’elle pour lui demander pourquoi ce livre semblait tant lui plaire, sans dévoiler son identité. Elle lui en aurait écrit la référence sur un bout de papier. Il jubilait.
Il méprise les critiques qui jugent son livre sans grand intérêt et sa prose vide de valeur littéraire. Il se gausse de ces gens qui font des fautes d’orthographe et de français dans leurs articles, comment peut-on les prendre au sérieux, hein ?
Sa mère lui a dit « Lis Flaubert, mais après lis Agatha Christie. » C’est ce qui lui a donné l’envie d’écrire des livres d’amour et de suspense. Il a gagné un petit concours de nouvelles en classe de 4e. Depuis il se balade avec un carnet où il note citations et embryons d’histoires. La façon dont il parle de son nouveau personnage est presque clinique, policier, on sent la formule, la petite fiche, quelque chose comme « pilote d’hélico au dessus du grand canyon, elle a un grain de beauté entre les omoplates, son père l’a beaucoup aimée, elle a un chien et deux canaris ».
Il vit entre Paris et Antibes et son plus grand luxe est d’amener, sur un coup de tête, « la femme qu’il aime » à New York, voir une expo, sans que cela n’écorne son budget.
Dans l’émission où il était invité, on s’est bien gardé de lire un extrait de son nouveau bouquin. En écoutant sa voix terne et mesurée, précautionneuse comme s’il s’était guéri d’un bégaiement, je me disais « Il n’écrit pas pour moi, voilà tout ». On m’a connue moins philosophe !

Aucun commentaire: