Dans cette chambre banale, sans lien avec le passé et l’avenir (et pour cette raison on est davantage soi), ce miracle qui tout à coup s’accomplit, cette grâce qui parfois descend : non pas un instant de bonheur, mais la soudaine conscience que le bonheur nous habite. La Tour Eiffel et son simili à Tokyo ne sont qu’un décor sous lequel le chaos subsiste. Mais le bonheur, s’il survient, donne brièvement un sens aux choses : une parcelle au moins se sent libérée, sauvée.
Le Tour de la prison de Marguerite Yourcenar
Marguerite Yourcenar a écrit cela à Tokyo, où elle logeait dans un hôtel proche de celui où je descendais, d’où elle voyait la Tokyo Tower. Ce n’est que ce matin que j’ai compris que la « chambre banale » dont elle parle ce sont toutes les chambres d’hôtel à travers le monde et pas seulement celle de Tokyo. Mais quand je suis tombée sur ce texte, j’avais tellement le Japon dans les yeux que j’y ai lu ce que je voulais y lire car j’y reconnaissais mon expérience.Si une boîte peut contenir Babylone, comme je le disais samedi dernier, et si on peut mettre Paris en bouteille, moi j’aimerais ranger dans une boîte tous mes souvenirs du Japon : les guides que je me concoctais, les carnets que j’y ai remplis, les tickets de musée, les cartes diverses, les plans de ville usés jusqu’à la trame... Non pour la mettre dans un coin et la laisser prendre la poussière, mais au contraire, comme une mémoire vive qui sans cesse réamorcerait « la pompe à souvenirs ». On peut vivre dans une ville pour des raisons qui n’ont rien à voir avec elle. On y est par hasard, on y reste par habitude ou parce qu’on ne peut faire autrement. La ville et nous cohabitons en chiens de faïences. C’est qu’on est amoureux d’une autre ville où se nichent tous nos rêves. Là-bas les rêves bleus, ici la morose réalité. Cela peut durer longtemps. Et puis un jour, ça vient comme ça, on reconnaît soudain en soi, en passant dans sa rue, quelque chose qu’on ressentait là-bas, quand on aimait la vie, quand on donnait libre cours à ses rêves, quand on était libre comme l’air, quand on était heureux. Et cette joie de vivre n’est plus cantonnée à un seul endroit, on peut voyager partout, elle s’y trouve, elle ne s’altère plus, elle croît ! J’ai appris une leçon très simple au Japon, et je n’y allais pas pour ça : à voir les choses déprimantes avec détachement, comme si je les examinais du Japon, et à regarder la joie de vivre dans les yeux, de très près, de Londres.
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