jeudi 15 avril 2010

Madame de Cambremer, c'est moi...

Au nom du ciel, après un peintre comme Monet, qui est tout bonnement un génie, n’allez pas nommer un vieux poncif sans talent comme Poussin. Je vous dirai tout nûment que je le trouve le plus barbifiant des raseurs. Qu’est-ce que vous voulez, je ne peux pourtant pas appeler cela de la peinture. Monet, Degas, Manet, oui, voilà des peintres!
Mais, lui dis-je, sentant que la seule manière de réhabiliter Poussin aux yeux de Mme de Cambremer c’était d’apprendre à celle-ci qu’il était redevenu à la mode, M. Degas assure qu’il ne connaît rien de plus beau que les Poussin de Chantilly.
—Ouais? Je ne connais pas ceux de Chantilly, me dit Mme de Cambremer, qui ne voulait pas être d’un autre avis que Degas, mais je peux parler de ceux du Louvre qui sont des horreurs.
—Il les admire aussi énormément.
—Il faudra que je les revoie. Tout cela est un peu ancien dans ma tête, répondit-elle après un instant de silence et comme si le jugement favorable qu’elle allait certainement bientôt porter sur Poussin devait dépendre, non de la nouvelle que je venais de lui communiquer, mais de l’examen supplémentaire, et cette fois définitif, qu’elle comptait faire subir aux Poussin du Louvre pour avoir la faculté de se déjuger.

A la Recherche du temps perdu
Je ne sais pas si Madame de Cambremer est retournée au Louvre faire subir un « examen supplémentaire et définitif » aux tableaux du Poussin... Je pense moi que ce sont plutôt les tableaux de Poussin qui nous font subir un examen définitif, qui nous questionnent.Je venais d’entendre Patrick Dandrey parler de la nostalgie – le mal du pays perdu - sur France Culture. Il citait ce tableau Les bergers d’Arcadie ou Et in Arcadia ego que Poussin peignit en 1638 : même en Arcadie la mort est présente, « même dans l’Eden il y a du temps et si l’Eden a cessé, c’est que le temps y était » expliquait-il. J’ai repensé à ça devant le tableau. Dans la salle consacrée aux oeuvres de Poussin, on peut les contempler une à une et puis s’asseoir sur une banquette et jeter un coup d’oeil circulaire. Ces tableaux ne me laissent pas indifférente, ils m’attirent, alors j’ai essayé de comprendre pourquoi.En fait, en ce moment - je ne sais pas quelle mouche m’a piquée - mais j’aime étudier la composition des tableaux. Je pourrais rester des heures devant une oeuvre qui m’attire pour des raisons qui m’échappent encore - à la décortiquer, et Poussin satisfait cette nouvelle marotte.De retour à Londres, je me suis précipitée à la National Gallery pour voir ses Poussin... qu’il est défendu de photographier. Leur thème hautement religieux, l’atmosphère solennelle de la salle tendue de vert où ils sont exposés... j’ai fait ma Madame de Cambremer: ils m’ont moins plu. Mais pour se rendre chez les Poussin nous avons la bonne fortune (celle qu'il faut saisir et qui fait sens) de passer devant les Claude – Claude Gellée dit Le Lorrain rappellent aux Béotiens les notices des deux côtés de la Manche. Et là... j’ai eu une sorte de coup de foudre. Moi qui n’y connaît pas grand chose j’ai vu un lien, un je ne sais quoi entre Claude et Poussin. J’ai découvert depuis qu’ils allaient tous les deux, ensemble, peindre dans la campagna romaine... Ce qui est sûr c’est que j’aime la peinture du XVIIe siècle, et surtout les paysages où le vert domine... S’il y a une étendue d’eau il faut que les bateaux qui naviguent dessus soient ébauchés et s’il y a des personnages, il faut qu’ils fassent corps avec le paysage, qu’on les remarque à peine, ou bien au contraire qu’ils soient au premier plan, qu'ils fassent des gestes impérieux et que leurs corps soient drapés de jaune, de rouge, d’orange ou de bleu. My God... nous voilà bien!

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