mercredi 11 juin 2008

Ces chers corbeaux délicieux

'Fair, fair,' cry the ospreys
On the island in the river.
Lovely is this noble lady,
Fit bride for our lord.

Premier poème du Livre des Odes (le Shi Jing) que le vieux professeur Chen Zuiliang tente vainement d’inculquer à Du Liniang au début du Pavillon aux Pivoines. En chinois les premiers mots sont Guan ! Guan ! Peut-être est-ce le cri des balbuzards pêcheurs à la parade amoureuse « spectaculaire » selon cet article ? En Bourgogne, selon Buffon, on les appellerait les corbeaux pêcheurs. Cela me fait plaisir parce que...

Parmi toute la gent ailée, j’ai un faible pour les corbeaux couleur encre de Chine, les corneilles et autres choucas. Ces derniers surtout, depuis que je sais qu’en tchèque ce mot se prononce kavka - d’où l’enseigne du magasin du père de Franz Kafka à Prague, et le nom du personnage dans Kafka sur le rivage d’Haruki Murakami. J’aime le bec noir de ce « disgracieux volatile » (E.A. Poe), ses plumes d’ébène lustrées, son cri - ce croassement « sévère » (Rimbaud) que certains s’imaginent de mauvais augure – et son manque de grâce, sa brusquerie, tout à fait assumés. A Londres il est rare de rencontrer ces noirs habitants de l'air (Buffon), mais dimanche dernier j’ai pu en observer un qui fourrageait, solitaire, parmi les herbes d’un petit espace vert, en face du café où je déjeunais. Auparavant, pendant que je corrigeais des copies dans une maison du coin, je l’entendais s’époumoner, et son cri rauque se répercutait dans tout le quartier. A Tokyo je suis servie, il y en a partout, au grand dam des Japonais d’ailleurs. A mon arrivée, le premier que j’entends me transporte de joie car sans le savoir il me souhaite la bienvenue. Au temple Nezu, celui de la photo, peu farouche, se gobergeait des offrandes d’un petit autel. Je serais restée des heures à le regarder, sans m’en lasser. Dans l’immense jardin sauvage du Shizen Kyoiku-en à Meguro, certains voletaient d’arbre en arbre, se passant le mot, comme s’ils cherchaient à me barrer le passage, perchés sur une branche au dessus du sentier escarpé. Un de leurs frangins à l’ Hamarikyu Onshi Teien, semblait avoir attendu mon retour, à deux ans de distance, niché dans le même arbre, au détour du chemin qui mène à l’embarcadère du bateau pour Asakusa. J’aimerais recenser pour vous tous ces « corbeaux délicieux » (Rimbaud) rencontrés au hasard de mes flâneries japonaises, mais... je vous vois bâiller aux corneilles... je ne vous en ferai donc pas tout un fromage!

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