[L’acteur] s’écoute au moment où il vous trouble, et tout son talent consiste non pas à sentir... mais à rendre si scrupuleusement les signes extérieurs du sentiment que vous vous y trompez. Les cris de sa douleur sont notés dans son oreille. Les gestes de son désespoir sont de mémoire, et ont été préparés devant une glace. (...) Le socque ou le cothurne déposé, sa voix est éteinte, il éprouve une extrême fatigue, il va changer de linge ou se coucher ; mais il ne lui reste ni trouble, ni douleur, ni mélancolie, ni affaissement d’âme. C’est vous qui remportez toutes ces impressions. L’acteur est las, et vous tristes ; c’est qu’il s’est démené sans rien sentir, et que vous avez senti sans vous démener.
Paradoxe sur le Comédien de Diderot
Moi j’aurais bien voulu m’attarder dans la salle, pour donner libre cours à mon émotion, pour tenter, au moins, de la garder intacte et éviter qu’elle ne s’évapore au contact obligé de la nuit froide et humide. J’aurais voulu que mes oreilles n’entendent pas les trop nombreux : « Vous avez vu comment son visage reflétait vivement la perte de son amant ? Elle en avait les larmes aux yeux! ». J’aurais voulu me rendre dans les coulisses voir les acteurs se démaquiller et discuter de leur performance, comme dans ces films de Mizoguchi sur les acteurs de kabuki. J’ai tant bien que mal fendu la foule compacte, en me demandant si le beau Chinois élancé, croisé devant l’entrée des artistes à mon arrivée, et qui fumait une cigarette, était Yu Jiulin, l’acteur principal, à la voix si haut-perchée. Le chemin de retour s’est passé dans une rêverie où se mêlaient Diderot, les facéties de la servante Parfum de Printemps et l’idée de ce bol de riz parfumé qui tromperait si bien la faim qui me tenaillait au bout de trois heures de représentation...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire