Nous sommes aux portes de la City, à deux pas de la station de métro Old street. Difficile d’imaginer l’approche de ce haut lieu de la finance tel qu’il était il y a 900 ans : une vaste lande monotone où l’on menait paître un maigre bétail, quelques maisons çà et là, et c’est tout. C’est au XVIe siècle qu’il prendra le nom qu’il porte encore aujourd’hui - Bone Hill : 1000 charrettes en provenance de la cathédrale St Paul y déversent des tonnes d’os que l’on recouvre d’une fine couche de terre. Au cours des siècles le nom se transforme en Bunhill Fields. Combien de fois suis-je passée devant ses grilles sans y prêter la moindre attention ? Et puis, à la faveur d’un embouteillage, mes yeux ont été attirés par un des noms gravés sur un pilier de l’entrée : Daniel De Foe. Il a été enterré ici le 24 avril 1731. Son nom a réveillé en moi des souvenirs de fac, quand je travaillais sur son livre, Moll Flanders. Je me demande toujours ce que l’oie blanche que j’étais a pu comprendre aux tribulations de cette gourgandine du XVIIIe siècle, dans un Londres où je n’avais encore jamais mis les pieds... Quand je rouvre ce genre de bouquins, comme par exemple le très drôle The Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentleman de Laurence Sterne, je suis surprise par leur langue ardue. Nous imaginions que tout le monde parlait encore comme cela en Angleterre, et quand nous y avons débarqué, il nous était plus facile de discuter, dans une langue châtiée, des mérites des sonnets de Shakespeare que de demander l’heure à un passant !
Je suis allée me promener dans ce petit cimetière. Les tombes, la plupart entourées de grilles et inaccessibles, sont blanchies par les intempéries ou recouvertes de mousse et de feuilles mortes. Les pierres tombales penchées, semblant s’entrechoquer, leurs hauteurs variables, me font penser à des dents ! On ne peut plus lire leurs inscriptions, sauf pour quelques-unes d’entre elles dont celle d’un homme qui a trempé dans la Monmouth Rebellion de 1685, un complot pour renverser le catholique James II. Seul le nom de son juge, le cruel George Jeffreys, peut encore se lire, celle de sa victime est tombé dans l’oubli.
Je suis allée me promener dans ce petit cimetière. Les tombes, la plupart entourées de grilles et inaccessibles, sont blanchies par les intempéries ou recouvertes de mousse et de feuilles mortes. Les pierres tombales penchées, semblant s’entrechoquer, leurs hauteurs variables, me font penser à des dents ! On ne peut plus lire leurs inscriptions, sauf pour quelques-unes d’entre elles dont celle d’un homme qui a trempé dans la Monmouth Rebellion de 1685, un complot pour renverser le catholique James II. Seul le nom de son juge, le cruel George Jeffreys, peut encore se lire, celle de sa victime est tombé dans l’oubli.
La tombe de Defoe est à part, près de celle de William Blake. Un pot de fleurs se fane devant la tombe du peintre et poète. Tout proche, un autre tombeau surmonté d’un gisant : celui de John Bunyan, mort en 1688, l’auteur de The Pilgrim’s Progress, le livre « le plus traduit après la Bible ». Comme cette phrase nous fascinait... ! Le fait qu’il soit malgré cela impossible de s’en procurer une copie à Tours nous plongeait dans des abîmes de perplexité !
Philip Roth parle dans un de ses romans, alors que son personnage se recueille sur la tombe de Kafka à Prague, de ceux qui visitent les tombes de grands écrivains. Pourquoi le fait-on ? Je ne veux pas m’embarquer sur une docte discussion sur le « corps de l’écrivain » et la fascination qu’il exerce sur le lecteur – en tout cas sur moi. Devant ce monument banal, presque anonyme, que j’imaginais grandiose - à la mesure du plaisir de lecture que DeFoe m’a donné et continuera de me donner - l’étudiante appliquée et curieuse que j’étais m’est revenue en mémoire. Je ne pense pas avoir changé dans le fond ! En quittant Bunhill Fields, j’ai rendu silencieusement hommage à mes extraordinaires profs de fac qui ont eu le talent de me donner le goût de tous ces écrivains, pour moi encore éternellement vivants.
Philip Roth parle dans un de ses romans, alors que son personnage se recueille sur la tombe de Kafka à Prague, de ceux qui visitent les tombes de grands écrivains. Pourquoi le fait-on ? Je ne veux pas m’embarquer sur une docte discussion sur le « corps de l’écrivain » et la fascination qu’il exerce sur le lecteur – en tout cas sur moi. Devant ce monument banal, presque anonyme, que j’imaginais grandiose - à la mesure du plaisir de lecture que DeFoe m’a donné et continuera de me donner - l’étudiante appliquée et curieuse que j’étais m’est revenue en mémoire. Je ne pense pas avoir changé dans le fond ! En quittant Bunhill Fields, j’ai rendu silencieusement hommage à mes extraordinaires profs de fac qui ont eu le talent de me donner le goût de tous ces écrivains, pour moi encore éternellement vivants.
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