A Londres, on respire la tristesse; elle est dans l'air, elle entre par tous les pores. Ah ! rien de plus lugubre, de plus spasmodique, que l'aspect de cette ville par un jour de brouillard, de pluie ou de froid noir ! Quand on est atteint par cette influence, la tête est douloureuse et pesante, l'estomac a peine à fonctionner, la respiration devient difficile par défaut d'air pur, l'on éprouve une lassitude accablante; alors on est saisi par ce que les Anglais appellent le spleen ! On ressent un désespoir profond ! une douleur immense ! sans pouvoir en dire la cause; une haine acariâtre pour ceux qu'on aimait le mieux, enfin un dégoût pour tout et un désir irrésistible de se suicider. Ces jours-là, Londres a une physionomie effrayante ! On s'imagine errer dans la nécropole du monde, on en respire l'air sépulcral, le jour est blafard, le froid humide ; et ces longues files de maisons uniformes, aux petites croisées en guillotine, à la teinte sombre, entourées de grilles noires, paraissent deux rangées de tombeaux se prolongeant à l'infini, et au milieu desquelles se promènent des cadavres attendant l'heure de leur sépulture. Dans ces jours néfastes, l'Anglais, sous l'influence de son climat, est brutal avec tous ceux qui l'approchent; il est heurté et heurte sans recevoir ni donner d'excuse; un pauvre vieillard tombe d'inanition dans la rue, il ne s'arrête pas pour le secourir; il va à ses affaires, peu lui importe le reste ; il se hâte d'en finir avec sa tâche du jour, non pour se rendre dans son intérieur, où il n'aurait rien à dire à sa femme ou à ses enfants, mais afin d'aller à son club, où il dînera très bien et tout seul, car parler est pour lui une fatigue ; puis il s'enivrera et oubliera, dans le sommeil de l'ivresse, le pesant ennui et les peines de la journée. Beaucoup de femmes ont recours au même moyen. Ce qui importe avant tout, c'est d'oublier qu'on existe. Le climat de Londres a quelque chose de si irritant, qu'il est beaucoup d'Anglais qui ne peuvent s'y habituer; aussi est-ce le sujet permanent des plaintes et des malédictions.
Promenades dans Londres de Flora Tristan (1840)
Flora Tristan n’a pas fini de me faire rire ! Sa vision dantesque de Londres est aussi passionnante qu’hilarante. J’adore ses généralisations qui, si quelqu’un en faisait aujourd’hui devant moi, m’irriteraient au plus haut point. Tout l’insupporte. Une chose est sûre, le British Museum est un des rares endroits qui trouvent grâce à ses yeux : « la bibliothèque du British museum est la seule que je connaisse où l'on puisse être admis gratuitement » dit-elle. Aujourd’hui le temps est changeant, il pleuviote, mais j’ai la bougeotte. Je vais aller me promener dans les rues grises pour admirer l’Anglais dans toute sa splendeur au début d’un Bank Holiday (lundi est férié).
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