Les campagnes, en Angleterre, offrent l'aspect d'une riche fertilité ; les arbres sont d'une beauté remarquable, les haies touffues et vivaces, les prairies d'une admirable verdure : ce qui m’a toujours frappée, c'est cette multitude de haies dont les terres sont entourées, et qui, vues d'une certaine distance, donnent à la campagne l'aspect d'un jardin potager, divisé en petites plates-bandes symétriquement encadrées de buis; je sais que des écrivains, auteurs de voyages pittoresques, ont prodigué les éloges à ces verdoyantes clôtures. Cependant, si on prend la peine d'analyser l'impression qu'elles produisent, on reconnaîtra qu'elles réduisent, par leur uniformité, un grand royaume aux proportions d'un parterre; ensuite elles privent la culture d'une immense étendue de terre, et dans un pays où le blé, les aliments de toute espèce sont toujours chers, où tant de personnes meurent de faim, dans un pays où les parcs des riches propriétaires et la nourriture de leurs chevaux de luxe enlèvent à la culture une grande portion du territoire, la perte de terrain qu'occasionnent les haies me parait être, en économie rurale, une faute très grave.
Voyage à Brighton de Flora Tristan (1840)
« Je ne crois pas qu'il existe au monde une manière de voyager plus désagréable et plus fatigante que par les diligences anglaises » se plaint Flora. Certes, elle sont rapides, mais inconfortables et dangereuses : « Je ne vois rien d'égal à l'inconfortabilité de ces places que le dos du chameau dans le désert ». Aurait-elle trouvé quelque chose à redire au train rutilant qui filait, avec moi à son bord, vers le Hampshire ?Je me tenais sur une terrasse baignée de soleil. Sous mes yeux s’étendait un grand champ où des lapins sauvages s’ébattaient. De temps en temps, une buse venait planer au dessus de leur joyeuse petite bande et troublait leurs jeux. Ils détalaient alors dans les fourrés, avant de revenir gambader parmi la luzerne une fois l’ombre du danger écartée. J’aurais pu rester toute la journée à observer ce petit manège. Il me suffisait de tourner légèrement la tête pour observer cette fois le ballet des corbeaux dans le champ voisin, quand ce n’était pas un faisan qui surgissait de la haie, un papillon jaune qui se posait sur une fleur, le joli chien flegmatique qui trottait vers un coin ombragé.
Mes oreilles faisaient une cure de silence, ou plutôt de sons inhabituels. Inhabituel, les pattes traînantes du chien sur le carrelage de la terrasse ou le bruit mat des souliers sur l’herbe. Inhabituel, le bourdonnement des insectes, d’un aéroplane à basse altitude... Inhabituels et reposants.
C’est l’endroit idyllique, cette terrasse, pour lire et écrire, me suis-je dit alors, et l’idée de louer un cottage dans la campagne anglaise cet été a flotté dans mon esprit. Il y avait longtemps que je n’avais pas été comme ça, enveloppée, happée par le soleil. Quand soudain, comme pour parachever cette impression de bien être fou, par la fenêtre de la cuisine m’est parvenu le son fétiche qui me plonge dans l’enfance, dans l’insouciance, un son qui rassure, qui laisse miroiter rires et conversations animées, plaisirs conjugués de la table et de l’amitié.
Ce bruit c’est celui que font les assiettes quand on les sort d’un placard pour les poser sur la table du déjeuner: des chocs bruyants suivis du tintement cristallin du verre que l’assiette frôle au passage quand on la pose devant lui sur la table. C’est un son banal et quotidien mais qui a le pouvoir prodigieux de faire s’arrêter le temps et de lui donner une épaisseur moelleuse et régénératrice.
2 commentaires:
Quelle femme cette Flora!
Quel tableau aurait-elle dépeint de Papeete si Paul avait pu l'y emmener?
Je ne prefere pas y penser! Tu imagines passer des vacances avec une nenette comme elle?
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