lundi 3 mai 2010

Le temps des cerises

Que l'étranger désireux d'apprécier le goût des Anglais, le sentiment qu'ils ont de l'harmonie, se transporte, avant d'aller visiter une de leurs exhibitions nationales, sur la place dite de Trafalgar. A la vue de tous les édifices et monuments entassés sur cette place, il pourra se faire l'idée du chaos dans l'art! Le palais de la reine est mesquin, lourd et triste ; son architecture n'a rien d'original : la première fois qu'on le voit, on croit se rappeler l'avoir vu. II est trop petit pour une résidence royale, et les grandes réceptions ont lieu au vieux palais Saint-James. Le petit arc de triomphe, bâti après coup, cache entièrement la façade du palais; il est copié sur celui du Carrousel. La collection du musée national de Pall Mall est peu considérable, mais elle contient des tableaux des premiers maîtres : des Rembrandt, des Claude Lorrain de la plus grande beauté, des Léonard de Vinci, des Rubens, des Teniers, des Sebastiano del Piorabino, des Van-Dyck, des Poussin, un Murillo admirable, un Raphaël apocryphe; puis des Hogarth, des Wilkies, des Lawrence, etc.
Promenades dans Londres de Flora Tristan (1840)
Toujours aussi drôle, Flora. Ce 1er mai, le chaos était dans les rues, un désordre qu’elle aurait aimé : la plupart étaient interdites à la circulation, il y avait un rassemblement à Trafalgar square et des défilés, que promettaient les panneaux jaunes disposés à chaque coin de rue, pouvaient surgir à tout moment. Mais si l’atmosphère était électrique, ce n’était pas de la faute des manifestants, mais celle de l’orage qui se préparait. La température avait fortement baissé et le ciel virait au noir de façon alarmante. Gare à celui ou celle qui aurait égaré son parapluie samedi après-midi, et pauvre Nelson qui, du haut de sa colonne, allait devoir essuyer une énième tempête !Flora est injuste pour Buckingham Palace (ci-dessus) et pour Marble Arch, si c’est de ce palais et de cet arc de triomphe dont elle parle... Quant à la National Gallery qu’elle visita, ce n’est pas celle qui donne sur Trafalgar square car elle n’ouvrit ses portes qu’en 1838. A l’époque, et depuis le 10 mai 1824, ce musée se trouvait dans l’ancienne maison de John Julius Angerstein, au 100 Pall Mall, pas très loin de Trafalgar square. Ce sont les 38 tableaux achetés à ce banquier qui sont à l’origine de la National Gallery. Dans le musée actuel, il suffit de regarder à quelle époque les tableaux sont entrés dans ses collections, pour réaliser combien, lors de la visiste de Flora, ils étaient peu nombreux. Par exemple il y a 10 Murillo aujourd’hui contre 2 en 1838. Le « Murillo admirable » dont elle parle doit être Petit paysan penché à une fenêtre (ici) qui entra dans la collection en 1826, l’autre étant un tableau d’inspiration religieuse et je doute qu’il ait eu sa préférence. Quant au peintre Sebastiano del Piorabino, il n’existe pas. J’imagine qu’elle a eu du mal à relire ses notes et a pris del Piombo pour del Piorabino.Comme il ne pleuvait pas encore, j’ai poussé ma promenade jusqu’à Saint James’ Park. On ne peut qu’admirer encore plus Gauguin, Monet, Renoir et leurs collègues, en retrouvant les couleurs de leurs tableaux dans la nature.La rose qu’a peinte Zurbaràn (ici) n’a pas cette couleur éclatante, peut-être, mais la trace qu’elle a laissée dans mon esprit est elle très vive.Qu’aurait pensé Flora Tristan si on lui avait dit qu’un jour des tableaux de son petit-fils, Gauguin, seraient exposés à la National Gallery, tels que Moisson : Le Pouldu (ici) et ses merveilleux jaunes – un peu pâlichons online – et Nature morte aux mangues (ici)?Le vent s’est levé, les gouttes ont commencé à tomber, il était temps de se mettre à l’abri. Je mourrais d’envie de prendre une tasse de thé. Normalement je préfère le café, mais cet après-midi-là, l’image du réconfort – j’étais frigorifiée – c’était une tasse de thé fumante et son nuage de lait ! J’ai retraversé le jardin pour remonter sur Picadilly Circus. Au passage j’ai pris cette photo. Je ne me doutais pas ce cygne allait me faire découvrir Kenneth White l’auteur des Cygnes sauvages, un livre sur Bashô et le Japon.Tandis que les cygnes couvaient parmi les roseaux, les canes se promenaient avec leurs canetons - il y en avait au moins 15 autour de celle-ci, aussi vifs que des têtards. « C’est si délicieux de glisser sur l’eau, si exquis quand elle vous passe par-dessus la tête et de plonger jusqu’au fond » nous disait leur petit manège. La mère glissait sur l’eau imperturbable : « Ne mettez pas les pattes en dedans, un caneton bien élevé nage les pattes en dehors comme père et mère ». C’est en pensant à Andersen, et sous une pluie battante, que j’ai quitté ce jardin.

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