J’aime le tableau du Titien, Ariadne et Bacchus (ici) que l’on dit inspiré d’un poème de Ovide. J'aime la manière dont le « dieu de la jeunesse et de la beauté » est suspendu dans les airs. Il y a tant de mouvement qu’on semble assister à l’infini au départ de Thésée et à l’arrivée en fanfare de Bacchus. Et le regard qu’échangent les deux panthères est une des choses les plus touchantes de ce tableau.C’était le temps des premières gelées, cristal couvrant la terre. Quand les oiseaux gazouillent à l’abri du feuillage. À demi réveillée, languissante de sommeil, Je me soulève et, pour saisir Thésée, vers lui j’étends mes mains. Personne ! Je retire mes mains, puis à nouveau tâtonne, Et j’agite mes bras à travers tout le lit: personne! La peur a chassé le sommeil: je me lève épouvantée, Et tout mon corps a bondi du lit vide. Ma poitrine aussitôt résonne sous les coups, Je m’arrache les cheveux dans le désordre du sommeil. Il faisait clair de lune. Je regarde si j’aperçois autre chose que le rivage. Mais le rivage seul vient s’offrir à mes yeux. De-ci, de-là, des deux côtés, je cours sans savoir où. Mes pieds de jeune fille s’enfoncent dans le sable profond. Cependant, tout le long du rivage, ma voix criait «Thésée !» Et le creux des rochers me renvoyait ton nom: Ces lieux mêmes t’appelaient autant de fois que moi. Ces lieux voulaient porter secours à ma misère. Près d’eux, une hauteur; on voyait au sommet quelques rares arbustes. De là pend un rocher qu’usent les eaux grondantes. J’y monte – la passion me donnait du courage. Ainsi ma vue mesure au loin l’étendue de la mer. De là je vis (les vents cruels me servirent alors), Tes voiles que tendait l’impétueux Notus. Je les vis – ou je crus que je les avais vues : Plus froide que la glace, j’expirai à demi.
Héroïdes X : Ariane à Thésée de OvideUn poème de Catulle aurait aussi inspiré le Titien.
Cette étoffe, brodée d'antiques figures des humains, montre avec un art étonnant les prouesses des héros. Voici, du rivage de Dia aux flots sonores, dirigeant ses regards vers Thésée, qui part avec sa flotte rapide, le cœur lourd de fureurs implacables voici Ariane: tout ce que voient ses yeux, ses yeux refusent toujours d'y croire; et en effet, elle vient de s'éveiller d'un sommeil trompeur pour se retrouver abandonnée, la pauvre, sur une plage solitaire: tandis qu'oublieux le jeune homme en sa fuite bat les ondes de ses rames, laissant ses vaines promesses au vent de la tempête. Il s'éloigne et, depuis les algues, la Minoïde, aux grands yeux tristes, telle la statue de pierre d'une Bacchante, le fixe là-bas, hélas! là-bas, et les chagrins la roulent, de leurs grandes vagues: elle ne retient pas la mitre fine sur ses cheveux blonds, elle ne dissimule pas d'un léger vêtement sa poitrine dénudée, elle n'enclôt pas ses seins de lait dans la courbe d'une écharpe; tout a glissé de son corps ici, là: et les vagues salées en jouaient à ses pieds. Mais elle, alors, insoucieuse de sa mitre, insoucieuse du vêtement qui surnageait, avec tout son cœur, Thésée !, toute son âme, toute sa pensée elle s'accrochait à toi éperdument.
Catulle carmina, LXIV, 50 – 70 (55 - 52 av. J.C.)
Ainsi que la description détaillée d’un tableau (ekphrasis) de l'Antiquité par Philostrate.C’est Thésée que le navire emporte, et sur le rivage nous voyons Dionysos. Dionysos a mille aspects divers ; qu'un sculpteur ou un peintre en saisisse un seul, même peu important, il a fixé le dieu. En effet, une couronne formée des baies du lierre, des cornes qui font saillie près des tempes, une pardalis, dont les bords apparaissent, voilà des symboles sans équivoque. Mais ici Dionysos n'est reconnaissable qu'à son amour ; vêtements brodés, thyrses, nébrides, tout a été rejeté par le dieu, comme n'étant pas de saison ; les Bacchantes ne font pas retentir les cymbales, les satyres ne jouent pas de la flûte; Pan lui-même se contient pour ne pas réveiller la jeune femme par des bonds désordonnés ; vêtu d'un péplos de pourpre, couronné de roses, Dionysos s'approche d'Ariadne ; il est ivre d'amour. Quant à Thésée, il soupire aussi, mais après la fumée qui s'élève des toits d'Athènes ; il ne connaît plus Ariadne, il ne l'a jamais connue, je dis plus, il a oublié le labyrinthe, il ne sait plus pourquoi il est passé en Crète, il ne voit que devant la proue de son vaisseau. Regarde aussi Ariadne. Combien son haleine est douce et suave, ô Dionysos! exhale-t-elle le parfum des pommes ou des raisins, tu nous le diras à ton premier baiser.
Tableaux de Philostrate de Lemnos (IIIe siècle)
Goethe aurait-il vu cette oeuvre du Titien?
Si elle ouvre les yeux, elle va se réjouir sur ce qui vient compenser la perte qu'elle a faite, elle jouit de la présence divine, avant même d'avoir pris conscience de l'éloignement de l'infidèle. Comme tu seras heureuse, jeune fille comblée, lorsque, au dessus de cette côte rocheuse à l'aspect stérile, l'amant t'emmènera vers les collines cultivées, plantées de vignes où, entre les rangées de ceps, entourée de joyeux serviteurs, tu commenceras à jouir de la vie que tu ne finiras pas, mais dont tu jouiras dans le ciel omniprésent, en regardant vers nous du haut des étoiles, avec une éternelle bienveillance...
Goethe
La draperie pourpre de Bacchus, la présence de deux panthères (que le dieu apprivoisait ainsi que les lions), la couronne de lierre et de pampre, la présence de Ménades dont une entrechoque des cymbales, de Satyres et de Pan... on les retrouvent sur les fresques de Pompéï par exemple... Ce qui est intéressant c’est de voir comment le Titien a interprété le mythe et ses attributs à sa façon.
Il y a encore tellement de détails de ce tableau que je ne m’explique pas : la tête de biche coupée, gisant ensanglantée sur le sol, ce quartier de viande que brandit un Satyre... Je n’ai pas fini de passer de longues minutes devant lui à la National Gallery !
2 commentaires:
encore une coïncidence. Hier j'ai dû découper un quartier de cerf que j'avais reçu en cadeau. Pour la première fois de ma vie. Ah la vie de Robinson...
C'est marrant ces coincidences! J'adore. Justement j'en parle demain d'une qui m'est arrivee aujourd'hui!
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