jeudi 21 août 2008

Le Songe d’une nuit d’été

Quelles mascarades, quelles danses aurons-nous pour passer ce long siècle de trois heures qui doit s’écouler entre l’après-souper et le coucher ? Où est l’intendant de nos plaisirs ? Quelles fêtes nous prépare-t-on ?
Thésée, Acte IV, Sc. 1
C’était la première fois que j’allais au Shakespeare’s Globe Theatre qui se tient, depuis 1997, à 230m de l’emplacement du premier « Théâtre du Globe » de 1599. Je suis allée voir A Midsummer’s Night Dream, écrite par Shakespeare en 1594 (ICI).
Les sièges en bois étaient très étroits. Certains, plus prévoyants que moi, s'étaient munis de coussins. J’étais assise tout en haut, sous le toit de chaume, et j’avais une vue plongeante sur la scène – le miroir de l’eau comme on appelle en Chine les scènes de théâtre sur lesquelles la vie réelle se reflète – et le pit, où les spectateurs regardent la pièce debout. Ces pauvres groundlings ne picoraient pas de noisettes ni d’oranges comme jadis, mais ils se sont pris un violent orage sur la tête en pleine représentation: quand Nick Bottom, le tisserand d’Athènes, acteur du dimanche qui joue le rôle de Pyrame - un « amoureux qui se tue galamment par amour » - s’écrie : « Pour bien jouer ce rôle, il faudra quelques pleurs. (...) Je provoquerai des orages », tout le monde a éclaté de rire et personne ne lui en a voulu !
Devant moi se trouvaient deux filles. Quand, au sujet de Démétrius, Hernia se lamente ainsi: « Plus je le hais, plus il me poursuit », et que Héléna soupire: « Plus je l’aime, plus il me hait », elles se sont regardées d’un air entendu. J’en ai déduit qu’elles devaient connaître des amours aussi inconstantes que celles évoquées par les comédiens sur scène!
Pendant la nuit de la Saint-Jean, les fleurs avaient des pouvoirs magiques et s’ils les cueillaient ou les respiraient, les hommes se trouvaient pris de folie. Ce n’est pas tant ce thème de la folie amoureuse qui m’a intéressée, que celui du brouillage entre l’illusion et la réalité et l'incessant va-et-vient entre les deux: sur scène, entre le monde des fées et la Cour d’Athènes; entre les comédiens et les spectateurs; mais aussi entre le XVIIe siècle et le XXIe: le théâtre où je me trouvais n'était-il pas lui-même une illusion? On ne connaît presque rien sur les dimensions de celui de Shakespeare, si ce n'est son extérieur qui apparaît sur une célèbre gravure de 1647.
Le point d’orgues du Songe d’une nuit d’été est la pièce dans la pièce, une farce très tragique intitulée Courte scène fastidieuse du jeune Pyrame et de son amante Thisbé, donnée par une troupe d’amateur au mariage de Thésée, le duc d’Athènes. Les pauvres Bottom, Lecoing (Quince), Flûte (Snout), Etriqué (Snug) et Meurt de faim (Starveling – il ne faisait que grignoter) se feront étriller par la Cour mais nous, spectateurs, nous comprenons bien que cette farce est surtout le miroir déformant du Songe.
Je ne connais pas le nom des comédiens du Songe d’une nuit d’été de ce soir-là et pour quelles raisons celui-ci, plutôt que cet autre, s’est vu attribuer tel ou tel rôle. Mais je sais tout de la farce, ses coulisses et ses ficelles. Contrairement à la sobriété du Songe, le navet de Bottom et de ses piètres compères, est surchargé d’accessoires en tout genre, ses moindres actions nous sont expliquées par le menu - au risque de détruire l’accord tacite entre le spectateur et le comédien qui fait que l’on accepte qu’Obéron, le roi des fées, soit invisible puisqu’il nous le dit ! Shakespeare s’amuse de nous car ce sont des comédiens amateurs ridicules qui nous donnent une magistrale leçon de théâtre ! Et ça, j’ai adoré. Comme j’ai aussi aimé m’esclaffer avec les autres : voir les gens se tenir les côtes et rire à l’unisson (le rire au théâtre – en plein air de surcroît - me semble plus communicatif qu’au cinéma) fait un bien immense. En riant, et en regardant les autres se gondoler, j’ai pensé aux spectacles de rue, aux pièces données sur des tréteaux de fortune.

Les rapides dragons de la nuit fendent les nuages à plein vol, et là-bas brille l’avant-coureur de l’aurore. A son approche, les spectres errant çà et là regagnent en troupe leurs cimetières : tous les esprits damnés, qui ont leur sépulture dans les carrefours et dans les flots, sont déjà retournés à leurs lits véreux. Car, de crainte que le jour ne luise sur leurs fautes, ils s’exilent volontairement de la lumière et sont à jamais fiancés à la nuit au front noir.
Puck, Acte III, Sc. 2
Les costumes me faisaient penser à ceux de Peau d’Ane de Jacques Demy : de loin ils font illusion et semblent somptueux. Quand on les regarde de plus près, ce n’était que des assemblages de bric et de broc, sûrement usés par maints comédiens avant leurs propriétaires éphémères d’un soir.
La nuit était noire et humide. Du Millenium Bridge on apercevait la rive gauche de la Tamise plongée dans l’obscurité. Seul le Globe brillait de mille feux, des feux de lumières s’en échappaient, rougeoyants, comme si nous étions en 1666 en plein incendie de Londres. En face de moi, le dôme de la Cathédrale Saint Paul’s baignait dans une lumière étrange qui tirait sur le mauve. J’étais vraiment heureuse.

Ombres que nous sommes, si nous avons déplu, figurez-vous seulement (et tout sera réparé) que vous n’avez fait qu’un somme, pendant que ces visions vous apparaissaient. Ce thème faible et vain, qui ne contient pas plus qu’un songe, gentils spectateurs, ne le condamnez pas ; nous ferons mieux, si vous pardonnez. Oui, foi d’honnête Puck, si nous avons la chance imméritée d’échapper aujourd’hui au sifflet du serpent, nous ferons mieux avant longtemps, ou tenez Puck pour un menteur. Sur ce, bonsoir, vous tous. Donnez-moi toutes vos mains, si nous sommes amis, et Robin prouvera sa reconnaissance.

Puck, Epilogue

Aucun commentaire: