lundi 11 août 2008

Hantée

J’avais bien pris toutes les précautions d’usage avant de m'installer hier midi devant Rétribution (2007) de Kiyoshi Kurosawa (ICI): j’avais regardé le making off, l’interview du réalisateur, et lu plusieurs articles sur le film. Et, en effet, je n’ai pas eu peur : quand le fantôme apparaît dans la cuisine et pousse son cri perçant, je savais que le réalisateur était tapis dans un coin ; quand, sur le terrain vague détrempé - qui ressemble à une scène de théâtre où se jouerait une pièce de Koltès - la femme en rouge s’avance vers le détective Yoshioka (Koji Yakusho qui lui aussi a des dons d’ubiquité !), je savais qu’elle était sur des rails ; quand la maison tremble comme dans un séisme et que les rideaux s’agitent, je me souvenais que Kurosawa avait dit : « c’est mieux quand ils sont tirés ». J’ai même fait des retours en arrière en admirant son savoir-faire: j’aurais juré que dans cette flaque d’eau surnageait un morceau de métal orné d’une tête de mort... mais quand Yoshioka revient le chercher – en pleine nuit, évidemment ! – il avait bien vu lui, que c’était le bouton d’un imper et qu’il pourrait l’incriminer. Je suis revenue en arrière et même là, on ne voit pas tout de suite que ce n’est qu’un bouton, on peut y distinguer le visage d’une femme qui hurle comme dans le tableau de Munch, et ça donne des frissons ! Bref, j’ai bien « regardé dans le cadre » comme le conseille le réalisateur, pour mettre de la distance avec le film, j’ai fait des comparaisons avec Caché de Michael Haneke (ICI) et je me suis gentiment moquée de Jo Odagiri, une sorte de psy improbable, plus fou que ses patients ! Pour couronner le tout, et tenter d’oublier ses aspects inquiétants, je suis sortie voir un énième film chinois The Other Half (2006) de Ying Liang, sur la dure vie des femmes chinoises aujourd’hui...
Mais c’était sans compter sur le pouvoir du cerveau qui, lui, ne veut rien oublier – comme nous le montre le film d’ailleurs ! Dès ma sortie du cinéma, les paroles de la « femme en rouge » me sont revenues à l’esprit comme si je venais de les entendre - en japonais en plus ! – comme une incantation : itsumo anata no soba ni imasu. Itsumademo, zutto... (je serais toujours près de toi...). Comme l’intrigue est quand même un brin tordue, mon esprit logique voulait à tout prix la comprendre : y avait-il un ou deux fantômes ? Et quand il parlait à Harue, c’était un fantôme ou pas ? Ce questionnement ne m’a pas laissé une minute de répit alors que la nuit se faisait sur Londres...
Et soudain je me suis souvenue que le ferry, crucial dans le film, partait de Ariake. Ariake Ariake... je connaissais ce nom... mais oui, mais c’est bien sûr.... une des stations de la Yurikamome, la ligne de métro aérienne automatique (ICI) que l’on prend pour aller sur l’île d’Odaiba... et la première fois que j’avais fait le tour de l’île, j’avais pu observer les terrains vagues et les chantiers. « Après Daiba, c’est la zone » avais-je même remarqué à l’époque... Malgré moi, le film quittait la fiction et s’ancrait de plus en plus dans le réel... Ne pouvant fermer l’oeil, j'ai cru bon d'écouter mon ipod pour me changer les idées. La lecture aléatoire a affiché Les Passantes de Brassens : Je veux dédier ce poème... A celle qu'on voit apparaître / Une seconde à sa fenêtre / Et qui, preste, s'évanouit... – et si Brassens parlait lui aussi de cette femme en rouge qui se cache derrière sa fenêtre, et que pour son malheur - et le mien! - Yoshioka aperçoit brièvement du pont du ferry d’Ariake... ?
Bref, ce matin, je tombe de sommeil!

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