dimanche 3 août 2008

Fantasmagories

Le Genji Monogatari étant un énorme bouquin, il me force à trimballer, lors de mes déplacements, un ouvrage largement plus petit... En ce moment c’est Mon effroyable histoire du cinéma, un dialogue autour des films d’horreur entre le réalisateur Kiyoshi Kurosawa et Makoto Shinozaki. Je me garde bien de voir un film d’horreur, étant très impressionnable, mais je fais une exception pour ceux de Kiyoshi K. Contrairement à la France, et pour une raison mystérieuse, ses films ne sont pas projetés en Angleterre. Seul Cure l’a été. Tant pis... mais aussi tant mieux car je préfère les voir en DVD ! Je n’ai vu qu’un film de son interlocuteur : Jam Session (1999), et j’étais absolument seule dans la salle : c’était un documentaire sur L’Eté de Kikujiro de Takeshi Kitano en version originale...
Kiyoshi Kurosawa, ce maître du film d’horreur, depuis sa plus tendre enfance, collectionne ces films, se repasse et repasse en bondissant de peur leurs scènes effrayantes, les dissèque, fait ensuite de sombres cauchemars tant les momies vengeresses, les femmes serpents, ou autres zombies suceurs de sang lui donnent des sueurs froides ! Il connaît sur le bout des doigts ce cinéma d’épouvante qui a influencé ses propres films. Les titres sont très évocateurs : L’îles des êtres vivants cannibales, Le visage qui fond, et le plus drôle : Professeur violent, hécatombe diurne.
Au Japon, rappelle le livre, on a « l’habitude de se plonger dans des histoires de fantômes pour se donner des frissons et oublier la chaleur » : d’ailleurs, dans le film de Kitano, pour amuser le petit garçon, Kikujiro et les deux motards lui racontent et mettent en scène des histoires de fantômes (kaidan) et d’extra-terrestres, en mangeant de la pastèque - autre tradition estivale nippone. Il existait même une tradition, remontant au début de l’ère Edo - quand commençaient à circuler les premiers recueils d’histoires « étranges » - du nom de Réunion des 100 récits de l’étrange : la rencontre débutait à minuit. On allumait 100 bougies qu’on soufflait au fur et à mesure du récit des 100 kaidan, pour finir plongés dans le noir, les cheveux hérissés sur la tête, persuadés que quelque chose d’horrible et mystérieux allait se passer...
Hier, je croyais échapper aux fantômes en fermant momentanément mon livre inquiétant à l’entrée du cinéma. Fengming, Chronique d’une femme chinoise, le film poignant de Wang Bing (2007), inaugurait pour moi tout un mois de films chinois au British Film Institute. Face à une caméra, assise dans son petit appartement, He Fengming nous confie sa vie pendant 3h : cet article de Vacarme (ICI) résume bien le film. Juste avant le début de la projection, on nous a averti de ne pas nous inquiéter si le début du film se passe dans la pénombre, que c’était une licence artistique. Et c’est la plupart du temps dans le noir que se déroule ce terrible récit d’une descente en enfer sous Mao. Quand He Fengming nous raconte comment elle tente en vain de retrouver la tombe de son mari mort en camp de travail, parmi des milliers de sépultures, j’ai fait le lien avec le livre dont je parle ci-dessus : « Aujourd’hui, ces souvenirs ne s’estompent pas mais vivent toujours en elle, comme un fantôme qui revient nous transporter vers cette époque des extrémismes et de la terreur» dit le réalisateur. C’était très remuant, et par rapport à tous les loups-garous d’opérette, Thomas Hobbes avait raison : l’homme est vraiment un loup pour l’homme !
Je trouve bien que le BFI ait choisi ce mois-ci justement pour nous montrer la vie de Chinois ordinaires et nous les rendre proches.

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