vendredi 25 juillet 2008

Gare au Gorillaz!

Notre imagination [est] comme un orgue de Barbarie détraqué qui joue toujours autre chose que l’air indiqué.

Marcel Proust

Si le jeune Marcel d’A la recherche du temps perdu était « préoccupé du désir d’entendre la Berma dans une pièce classique », je me faisais moi une joie d’aller hier soir, et pour la première fois de ma vie, au prestigieux Royal Opera House de Covent Garden, pour une soirée de gala. Puccini, Verdi ou Donizetti, n’étaient pas au programme, ni aucuns des Gaspare Pacchierotti ou des Lucrezia Agujari - La Bastardella - du moment (artistes que Frances Burney avait eu le privilège de voir chanter dans ces mêmes lieux au XVIIIe siècle) n’y donneraient de récital. Non, hier soir, ce « temple de l’art lyrique » londonien s’enorgueillissait d’accueillir Monkey : Journey to the West, composé par Damon Albarn (ex-Blur) et Jamie Hewlett, de Gorillaz (ICI) à qui l’opportuniste BBC a commandé le générique de la retransmission des JO de Pékin (ICI) .
Aujourd’hui on entre à l’opéra comme dans un moulin, et c’est une foule bigarrée en jeans, t-shirt et sandalettes qui jouait des coudes dans le foyer et s’éparpillait dans les escaliers richement sculptés en direction de l’auditorium ou du bar. Sous cette immense serre aux allures victoriennes, le motif du singe se déclinait partout : sur les murs, aux branches des bananiers, sur la carte des cocktails rebaptisés pour l’occasion. On y faisait la promotion d’une bouteille aux formes rebondies, sorte de « cuvée du singe », dont je n’osais approfondir l’origine du breuvage couleur whisky.
Une fois assise, j’aurais aimé apercevoir sous les lambris dorés, « réfugiées contre les parois obscures » de leurs baignoires, les « blanches déités » dont parle Proust, et voir le « déferlement rieur, écumeux et léger de leurs éventails de plumes, sous leurs chevelures de pourpre emmêlées de perles ». Mais ni « tritons barbus », ni « demi-dieu aquatique», ni même de princesse de Guermantes anglaise « enturbannée de blanc et de bleu », un « immense oiseau de paradis » en guise de couronne, n’a assisté – les veinards - à cette affligeante adaptation du génial livre de Wou Tch’eng-en : Le singe pèlerin ou le pèlerinage d’Occident [Siyeouki], un des quatre grands classiques de la littérature chinoise, publié vers 1590.
De l’expédition en Inde, au VIIe siècle, du bonze Hsuan-tsang (ou Tripitaka), du Roi Singe Sun Wu Kong, du cochon Zhu Bajie, de Shaseng (le bonze des Sables) et d’un Prince Dragon transformé en cheval, et des 81 épreuves rencontrées par ces fantastiques pèlerins, il ne reste rien, ou alors une ébauche, toc, répétitive, fouillis et bâclée. L’humour du livre a été oublié au profit de masques grimaçants et de costumes dignes des premiers épisodes de Star Trek. J’ai trouvé le tout très antipathique, creux, nauséeux et idiot. Une ou deux saynettes étaient visuellement belles, soit, mais même là, les acrobates me semblaient amateurs, et je m’attendais à recevoir sur la tête, à tout moment, un des bâtons enflammés manipulés sur scène. Même la musique était à la limite du supportable.
Où était-il donc passé, mon espiègle macaque, qui fait fi des convenances et se comporte avec tant d’impertinence et de singerie envers les augustes Immortels ? L’Empereur de Jade qui siège « dans la Trésorerie des Brouillards Sacrés du Palais des Nuages aux portes d’or » ? Et où se cachaient-ils les six bandits de grand chemin aux noms si sensuels : Oeil-qui-voit-et-se-réjouit, Oreille-qui-entend-et-se-met-en-colère, Nez-qui-flaire-et-convoite, Langue-qui-goûte-et-désire, Esprit-qui-conçoit-et-se-délecte, Corps-qui-souffre-et-endure ? Je m’étais tant tordue de rire à la lecture de ce roman chinois à la langue si imagée ! A oublier, très vite ! Alors: Pas un mot de plus ! pour citer mon petit singe préféré ! Heureusement qu’il y a la série télévisée (ICI) !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

What a shame you didn't like it! I didn't know the music had been done partly by Damon Alburn from Blur - he can be a bit of an acquired taste :-)