lundi 13 avril 2009

La plage en fer à cheval

Ô habitants d’Al-Andalous
Quel bonheur pour vous
D’avoir eaux, ombrages, fleuves et arbres
Le Jardin de la Félicité n’est ailleurs que dans votre territoire.


Ibn Khafâja Xe siècle
La Herradura est une plage d’Andalousie, très chère à mon coeur, qui tire son nom de sa forme en fer à cheval dont le cercle va du Cerro Gordo (la grosse colline) à la Punta de la Mona. Elle ne paye pas de mine, mais en parler c’est évoquer l’histoire entière de l’Espagne : ici, des hommes préhistoriques sont venus se réunir autour de feux de joie; des Phéniciens ont ouvert un comptoir pour y faire du commerce avec le Moyen-Orient; des Romains se sont délestés de quelques amphores que les pêcheurs ramènent dans leurs filets ; et des Wisigoths, en se dorant au soleil, ont vu fondre les manières qui ont rendu célèbres leurs cousins du Nord, les rustres Ostrogoths.
C’est là qu’en septembre 755, le futur Abd al-Rahman Ier dit le Juste - dont la fière statue orne une place de la ville voisine - débarqua. Il s’établit à Cordoue, la « Ville des Trois Cultures », d’où il régna en poète.
Même la reine Elizabeth 1ère d’Angleterre connaissait l’existence de La Herradura ! On trouve dans sa correspondance la mention d’un naufrage qui eut lieu au large de la plage: Philippe II avait décidé d'envoyer vingt-huit gallions vers la place forte espagnole d'Oran qui avait besoin d’argent et d’armes pour lutter contre les pirates. Peu après avoir quitté le port de Málaga, cette armada fut prise dans une terrible tempête. Le 19 octobre 1562, vingt-cinq d'entre eux sombrèrent corps et âmes au large de La Herradura. 5000 marins et soldats périrent dans ce naufrage dont les épaves gisent encore au fond de la mer.
La façon dont la reine apprit cette nouvelle me fascine : dans un port anglais, dans une taverne louche, un espion à sa solde rencontra un marin – j’imagine qu’il avait un bandeau noir sur l’oeil et un perroquet sur l’épaule ! - qui avait eu ouï dire de la catastrophe.
Elle eut un tel retentissement qu’on la retrouve aussi dans le Don Quijote de la Mancha de Miguel de Cervantes.

Je ne saurais sans doute jamais pourquoi nous avions pris l’habitude d’aller sur cette plage de galets au lieu de rester les pieds en éventail sur celles de sable blond du village. Sûrement pas pour ces faits historiques qui ne faisaient rêver que moi sur ma serviette de plage ! Peut-être parce que, jusqu’à encore très récemment, elle n’était pas trop fréquentée. L’eau nous y semblait plus bleue et plus chaude qu’ailleurs. Que les galets nous écorchent la plante des pieds nous importait peu.

A la route à trois voies qu’on emprunte pour y aller aujourd’hui, je préférais de loin celle qui serpentait dangereusement sur la colline, avec ses vues plongeantes sur la mer. Nous laissions les fenêtres de la voiture ouvertes et je me souviens de l’odeur des pins qui nous accompagnait jusqu’à une étrange sculpture de pastèque éclatée, au carrefour avec la route qui menait au village.


Un de nos passe-temps favoris, entre deux baignades, était de ramasser des coquillages et des tessons de verre poli. Ces derniers, qui nous paraissaient au bord de l’eau être des émeraudes, des rubis et des saphirs, avaient repris leur aspect roturier quand on les retirait de nos poches le soir même.

Quand j’étais sur la plage de Zushi, au Japon, je lui trouvais de faux airs de Herradura. Sa mer bleue, son ciel azur, ses collines couvertes de pins, ses petites maisons blanches... L’illusion aurait été parfaite si, aux verres polis que j’y ai trouvés, ne s’étaient pas mêlés des coquillages aux formes exotiques, qu’on ne trouve pas sur les côtes andalouses !


Les hameaux d’Al-Andalous apparaissent au milieu
de la verdure des vergers
Comme des perles blanches enfouies au milieu d’émeraudes


Ibn al-Hammâra Xe siècle

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