vendredi 10 avril 2009

Bewitched!

Far away before me, I perceive a beautiful high green mass, an island foliage-covered, rising out of the water - Enoshima, the holy island, sacred to the goddess of the sea, the goddess of beauty.
Lafcadio Hearn

De la plage de Zushi, je croyais apercevoir la presqu’île d’Enoshima, dans la baie de Sagami. Je l’ai cru jusqu’à ce qu’un film d’Ozu, Printemps Tardif, vienne semer la confusion dans mon esprit... Illusion ou pas, qu’importe ! C’était le 25 décembre, et je voulais passer le Noël le plus éloigné de celui que j’aurais pu vivre à Londres. Pari gagné !

Derrière la gare de Kamakura je suis montée à bord d’un train de la ligne Enoden. Après un premier arrêt à Hase, j’ai continué vers Enoshima. La voie de chemin de fer est si étroite que le train agile semble voler au dessus des toits et passer de justesse entre les rangées de maisons et la colline. De temps à autre, en contrebas, on apercevait la côte et la mer agitée sous les rafales d’un vent puissant. Pour moi c’est le plus beau paysage du monde, parce que c’est celui de mon enfance: sans cesse au Japon, par mille détails, je retrouve le Maroc et l’Andalousie... qui l’eût cru ? Des fenêtres ouvertes, et quand les portes s’ouvraient à chaque arrêt, le wagon se parfumait d’air marin aux touches boisées. Hase - Gokurakuji - Inamuragasaki - Shichirigahama - Kamakurakokomae - Koshigoe - Enoshima!

J’atteignis le lieu dit Enoshima. Ce lieu était plein d’attraits qui défiaient toute expression. Sur l’étendue infinie de la mer se détachait cette éminence isolée, qui était creusée de nombreuses cavernes. Je dormis dans l’une d’elles, qui se nommait la grotte de Kannon aux mille bras.

Dame Nijō, 1289

Si à l’époque de Dame Nijō, et même bien des siècles plus tard, à celle de Lafcadio Hearn, il fallait attendre la marée basse pour rejoindre l’île, aujourd’hui il suffit de traverser un pont. Après 600m de promenade, on pose le pied sur Enoshima.

La traversée m’a été difficile tant le vent soufflait fort. La mer se heurtait au pont et éclaboussait tout le monde. Heureusement qu’à l’époque je n’avais pas encore vu Ponyo sur la Falaise d’Hayao Miyazaki ! La façon dont il représente l’océan en furie frappe l’imagination... J’étais loin de la mer « bleue comme un ciel sans nuages » de Lafcadio Hearn : ce n’était pas un soft dreamy blue qui la colorait, elle était encre de Chine! Normalement on peut voir le Fuji d’ici – les estampes représentent toujours Enoshima avec le Mt Fuji au second plan – mais en me retournant je ne voyais que la ville de Katase.And lo! we are in Enoshima. High before us slopes the single street, a street of broad steps, a street shadowy, full of multi-coloured flags and dank blue drapery dashed with white fantasticalities, which are words, fluttered by the sea wind. It is lined with taverns and miniature shops.

Lafcadio Hearn

Qu’ajouter à la description de l’île par Lafcadio Hearn ? Rien n’a changé. Les petites échoppes se sont multipliées et proposent toujours à profusion ces babioles en nacre (mother-of-pearl... c’est joli en anglais !) qui ont tant plu à l’écrivain: « ... des poissons, des oiseaux, des chatons, de petits renards, des chiots, des peignes, des étuis à cigarette, des pipes, des tortues, des grues, des hannetons, des papillons, des crabes, des homards, des abeilles, des fleurs, des bijoux, des épingles à cheveux, des broches, des colliers... » Il en était ébloui! Je me demande bien ce qu’il a pu acheter – pour une bouchée de pain précise-t-il – et s’il y a quelque part dans le monde, sur une étagère, un de ces souvenirs d’Enoshima qui prend la poussière...Au bout de la petite rue principale, on arrive au pied de Shoten-jima, colline où se trouvent les sanctuaires dédiés à Benten, la déesse de la mer, de l’éloquence, de l’inspiration, de la musique, et des arts en général - la déesse du cinéma ?Transie de froid, j’ai retraversé le pont et suis allée m’asseoir sur la plage – déserte - en face d’Enoshima. On pouvait voir au loin le petit port de plaisance de Shonan Beach et sa forêt de mâts.C’était le lieu rêvé pour faire le point sur la vie en général et envoyer des pensées affecteuses à ceux qui s’apprêtaient à fêter Noël à Londres ou en France. Même si le vent s’amusait à me souffler des paquets de sable dans les yeux, pour rien au monde n’aurais-je échangé ma place avec la leur !

Je laisse le mot de la fin à Lafcadio Hearn. Il tente de cerner le charme indéfinissable qu’exerce Enoshima sur ses visiteurs:

...the sweet sharp scents of grove and sea; the blood-brightening, vivifying touch of the free wind; the dumb appeal of ancient mystic mossy things; vague reverence evoked by knowledge of treading soil called holy for a thousand years... And other memories ineffaceable: the first sight of the sea-girt City of Pearl through a fairy veil of haze; the windy approach to the lovely island over the velvety soundless brown stretch of sand; the weird majesty of the giant gate of bronze; the queer, high-sloping, fantastic, quaintly gabled street, flinging down sharp shadows of aerial balconies; the flutter of coloured draperies in the sea wind, and of flags with their riddles of lettering; the pearly glimmering of the astonishing shops.

Comme moi... tout cela l'a « ensorcelé » (bewitched)!

2 commentaires:

asiemutée a dit…

Voila un petit programme que j'envisage lors de mon séjour à Tokyo en mai prochain ...
Je vous lis très souvent en toute discrétion Agnès ... l'attrait du Japon certes, mais aussi le plaisir de vous lire.
Et puis quel étonnement de trouver un lien vers mon message sur le Daitoku-ji ... J'en suis très touchée.
Bien cordialement.
Dominique

Agnès a dit…

Merci!!!Moi je vous ai lue de A a Z, et j'ai pris des notes: je vais aller sur vos traces, notamment a Nagasaki! Mais je pense ce sera pour Paques l'an prochain. Je suis restee trop peu a Kyoto, mais je vais me rattraper en decembre et j'ai ete tres contente de voir de belles photos des rives de la Kamo. Et aussi, je vais lire le livre de Tanizaki dont vous parlez au sujet des cerisiers...