samedi 18 avril 2009

Hypomnêmata

- Tu tiens un journal? Quand l’as-tu commencé ?
- Juste avant mon départ pour Tokyo. Je me suis acheté un simple calepin de quatre sous, que j’ai bourré de la première à la dernière page, en colonnes serrées. Plus tard, lorsque j’ai pu acheter de quoi tenir un vrai journal, cela n’a plus été la même chose. Je ne faisais que gaspiller des pages. Mais cette année, par contre, je me suis procuré un cahier avec une page pour chaque jour et j’ai eu tort. Il suffit que je me mette à écrire pour ne plus pouvoir m’arrêter. »
S’il n’apprit pas sans surprise qu’elle tenait son journal, Shimamura s’étonna plus encore quand il sut qu’elle y consignait régulièrement ses lectures depuis sa quinzième ou seizième année, et elle en avait à présent dix cahiers pleins.
« Tu y relèves également tes critiques ? s’enquit-il.
- Oh ! j’en serais bien incapable, protesta-t-elle. Je note le nom de l’auteur, quels sont les personnages et leurs rapports. C’est tout.
- Mais à quoi cet effort ? Quel profit en tires-tu ?
- Rien. Rien du tout.
- Et tout cela à peine perdue ?
- Mais oui, absolument en pure perte ! »
Ce n’était pourtant pas chez elle un effort parfaitement gratuit ; sa constance avait quand même quelque chose de pur ; et la vie tout entière, l’existence même de la jeune femme s’en trouvaient éclairées.


Pays de neige de Kawabata Yasunari
Quand je lui téléphone, je ne manque jamais de lui demander s’il a écrit son journal intime. Je ne veux pas savoir ce que celui-ci contient, mais j’aime l’imaginer en train d’écrire, de mettre en forme son quotidien. J’admire qu’on puisse réserver un moment de sa journée pour se livrer à cette (dé)libération avec soi-même. Ça me plaît d’apprendre que quelqu’un a acheté des carnets et les remplit de sa vie et de ses rêves dans un café ou sur la table de sa cuisine. J’aime lire les journaux intimes des écrivains. Je connais pourtant des tas de gens que l’idée rebute, qui trouvent que c'est une perte de temps.
Pour moi un journal intime, c’est un Hypomnêmata, c’est-à-dire un « carnet aide-mémoire », une somme, qui est à la fois : « un livre de compte, un livre de vie, qui comporte des fragments d’action, des consignations de notes, de citations, de raisonnements entendus ou venus à l’esprit, un trésor accumulé de textes, un réservoir de méditations, qui doivent pouvoir s’implanter, se ficher dans l’âme. » Il peut aussi être livre d’images et herbier.

3 commentaires:

asiemutée a dit…

Enfant, durant les vacances que je passais loin de mes parents, ils m'obligeaient à tenir un journal ... autant d'heures sacrifiées au détriment des jeux.
Maintenant je me contente de petites notes à la va-vite sur mon iPhone. Heureusement, j'ai ma boîte à images et si je n'ai plus le goût d'écrire, j'ai fort heureusement celui de lire.
Je viens de recevoir "Le soleil se couche à Nippori" de Jean PEROL, je ne connaissais pas non plus cet auteur qui a vécu de nombreuses années au Japon.

Agnès a dit…

J'ai regarde ce livre hier et lu les premieres pages sur le Net. Je pense me procurer son livre sur Tokyo.

Agnès a dit…

Parfois on demande aux etudiants de tenir un journal de leurs recherches. Ca ne marche jamais, ils l'ecrivent en bloc a la fin, comme pour la bibliographie. On ne peut forcer personne a tenir un journal, surtout un enfant!