dimanche 5 avril 2009

Brève apparition

Tokyo présente ce paradoxe précieux: elle possède bien un centre, mais ce centre est vide. Toute la ville tourne autour d’un lieu à la fois interdit et indifférent, demeure masquée sous la verdure, défendue par des fossés d’eau, habitée par un empereur qu’on ne voit jamais, c’est-à-dire, à la lettre, par on ne sait qui. L’une des deux villes les plus puissantes de la modernité est donc construite autour d’un anneau opaque de murailles, d’eaux, de toits et d’arbres, dont le centre lui-même n’est plus qu’une idée évaporée, subsistant là non pour irradier quelque pouvoir, mais pour donner à tout le mouvement urbain l’appui de son vide central, obligeant la circulation à un perpétuel dévoiement.
L’empire des signes de Roland Barthes
Quand je suis revenue de Kyoto, c’était le 23 décembre, le jour de l’anniversaire de l’empereur. En sortant de la gare et en me dirigeant vers le métro, je pouvais entendre des applaudissements du côté du palais impérial. La ville était pavoisée en son honneur mais je pense que l’indifférence était assez générale. Aux alentours de la gare, d’étranges, de sinistres camionnettes, surmontés de haut-parleurs et recouvertes de drapeaux et de slogans aux couleurs criardes, étaient garées. Je me trompe peut-être mais je crois qu’elles appartiennent aux nationalistes...
A la télé, tout le long de la journée, il y a eu plusieurs rétrospectives sur le monarque. Il y a une chose qui me fascine depuis toujours : à chaque anniversaire d’un membre de la famille impériale, on voit celle-ci se promener au grand complet, par petits groupes, dans les jardins du palais, et s’extasier sur les fleurs, les arbres, indiquant çà et là un détail sur un tronc ou un oiseau sur une branche... « Que notre herbe est belle, comme elle verdoie, ne pensez-vous pas? » et l’impératrice, dans un kimono aux couleurs de la saison d’acquiescer d’un respectueux « so desu ne ». Encore quelques petits pas sous les flashes d'une meute de photographes : « Le beau soleil de notre Japon poudroie de tous ses rayons, ne trouvez-vous pas ? » « so desu ne... En l’honneur de l'anniversaire de votre Majesté » semble-t-elle lui répondre d'un sourire entendu. Des chiens gambadent autour d'eux et ils sourient.
Je me demande toujours s’ils font cela de bon coeur ou si, vraiment, la botanique et eux... ça fait deux !

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