dimanche 1 août 2010

Le Bois dont je me chauffe


La nature est un temple ou de vivant piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe à travers une foret de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.

Correspondance de Charles Baudelaire

Ce n’était pas la forêt de Dodone où se trouvait un célèbre sanctuaire dédié à Zeus et à Dioné qui transmettaient leurs oracles par le bruissement des feuilles de chêne - gare à celui qui était dur de la feuille ! Les « confuses paroles » n’étaient pas émises par les « vivants piliers » bordant le sentier, mais par nous, entre deux rires. Pourtant, sans le savoir, nous jouions les sibylles.

Je me souviens très bien de cette conversation. C’était une vraie journée de vacances, une brève clairière, au milieu de tout le travail que je devais abattre, en excellente compagnie. J’étais détendue, comme toujours quand je vais là-bas. Alors, ces paroles lancées au vent, ces élucubrations qui nous faisaient tant rire, venant de coeurs purs, ne pouvaient que se révéler prophétiques. Nous parlions d’un certain Michel Bois, un intrépide historien et homme de télévision anglais, que nous vénérons toutes les deux. Nous évoquions ses documentaires sur les traces d’Alexandre le Grand, de la ville de Troie, des mythes et des héros...

Le jour, il marche à travers le désert sur la piste de la reine de Saba ; il traverse la Mer Egée dans une barque de pêcheurs, on le largue un peu loin de la côte et il manque de se noyer avec tout son barda ; il escalade la plus haute montagne du Pamir, en racontant, à peine essoufflé, l’épopée des soldats grecs. A pied, à cheval, en voiture, il ne se dépare pas de son sourire engageant. Devant chaque merveille archéologique il lance des « fantastic » et des « fabulous ». Il rencontre des conteurs qui lui rejouent une geste héroïque en turc ancien, et il s’émerveille comme un enfant. Il grignote tout ce qu’on lui tend : de la pastèque, du pain rond et plat, des brochettes, et parfois des mixtures peu ragoûtantes qu’il avale en hochant la tête (il est Anglais, ceci explique peut-être cela !)

Sa garde-robe est fascinante. Toute la mode masculine de ces vingt dernières années, interprétée par Marks&Spencers, défile sous vos yeux, accessoirisée par tout ce qui lui tombe sous la main dans les pays qu’il visite : un pardessus emprunté à un espion soviétique en Allemagne de l’Est, un bonnet en laine piqué au Grand Lama du Tibet, un chapeau de cow-boy en Colchide (Georgie). Dans ce coin de la planète, voulant s’assurer que la Toison d’Or de Jason l’Argonaute ne s’y trouvait plus, il débarque au milieu de nulle part pour se retrouver nez à nez avec des indépendantistes georgiens armés jusqu’aux dents, dégustant tranquillement un méchoui à l’ombre des arbres. « Hello ! » leur lance notre huluberlu, toutes dents dehors, sans faiblir. Un des chefs lui a tendu un morceau de viande qu’il a eu l’intelligence de ne pas refuser !


Il est polyglotte : débouchant dans un village grec écrasé par la canicule – il cherchait à vérifier qu’une forteresse dont parlait Homère dans L’Iliade se trouvait bien dans le coin – il se précipite sur des petits pépés qui tapaient la discute à grands renforts d’Ouzo. Un des anciens lui montre du doigt le sommet de la colline en lui tenant un beau langage. « Fantastic » s’exclame notre Michel, qui lui répond en grec sous le regard incrédule d’une femme en noir, fichu bariolé sur la tête, plumant machinalement une oie qu’elle tenait sur les genoux. En Turquie, au Tibet, en Egypte, en Anatolie... partout, il semble ne pas avoir besoin d’interprète. Il déchiffre toutes les écritures : les hiéroglyphes n’ont aucun secret pour lui, bien sûr, mais là où il est imbattable, c’est pour le cunéiforme qu’utilisaient entre autres les Hittites. La séquence du déchiffrement des tablettes hittites, c’était à se tordre : « <<<<<< >>>>> » nous montre-t-il du doigt, en expliquant « le nom d’Agamemnon a été barré avant que la tablette ne soit sèche ».

Le jour donc, il parcoure, infatigablement, les coins les plus reculés de la planète comme s’il était chaussé de bottes de sept lieues. Sa peau prend à la longue des couleurs mordorées et ses joues se couvrent d’une barbe de trois jours... mais la nuit... la nuit il crapahute sous des abris de fortune, et il dort à poil (sauf au Tibet où il se gelait !). Il se laisse filmer sur son lit de camp, torse-nu, et il nous récite des passages de Homère ou de Tite-Live à la lumière vacillante d’une lampe à gaz.

Pour tout cela nous aimons Michel Bois. Il est drôle et sympathique. Il nous fait rêver. Il titille notre imagination. Il nous émoustille. Voilà de quel phénix nous parlions dans ces bois. On se disait qu’il ne payait pas de mine, ok, mais qu’on ne pourrait que tomber amoureuses de lui si on le suivait dans ses périples au bout du monde. Qu’on ne lui montrerait pas notre trouille s’il lui advenait de traverser une jungle infestée d’araignées ou de visiter une grotte pleine de chauve-souris. On passerait outre les chemisettes Marks&Spencers et les chaussures à semelles de crêpe. On n'aurait de cesse de se faire conter L’Art d’Aimer d’Ovide à la belle étoile !

Quelques semaines plus tard, lors d’un dîner avec des amis, je leur racontais ma flamme pour Michel, dans ce même ramage, avec moults autres détails croustillants sur ses faits et gestes. Ils m’écoutaient en riant. Quand j’ai eu fini, Alex m’a dit : « C’est un de nos amis, on te le présentera ». Je n’ai jamais rougi aussi violemment que ce soir-là.

2 commentaires:

Ren a dit…

Quelle aventure !!! J'ai vu quelques documentaires de BBC sur les mythes grecques. Un homme mince, les cheveux échevelés, les yeux bleus, une intensité de joie sur le passé, et il est allé dans le Caucase, où il n'est pas sage de refuser de l'hospitalité. Je ne sais pas s'il s'agit du même homme, mais je pense qu'il le faut. Mais bien. Que vous le rencontrez ! Ne rougissez pas trop ! et que vous nous en racontez
! Fantastic !

Agnes a dit…

Oui c'est lui! Ce serait marrant de le rencontrer...