Le dernier salon où l’on cause

De nos jours, nombreux sont encore à Kyôto les monastères avec des jardins de pierres. Le plus renommé de tous est celui du Ryôan-ji dont on dit qu’il incarne l’essence de la philosophie et de l’esthétique zen. Nul autre jardin de pierres ne saurait se mesurer à ses célèbres arrangements de rochers.
« Comme j’aimerais être l’une des pierres de ce jardin ! »
Keiko reprit : « Je me souviens d’un haikai de Yamaguchi Seishi où il était question de regarder la mer du matin au soir, jour après jour, puis de retourner à Kyôto et de comprendre enfin la signification d’un jardin de pierres. »

Tristesse et beauté de Yasunari Kawabata

A chaque fois que je me retrouve devant un jardin de pierres, comme celui du Ryôan-ji par exemple, que l’on attribue à Sôami, et qui date du XVe siècle, je repense à une scène de Hana-bi de Takeshi Kitano.

Avec sa femme qui est gravement malade, il visite un temple et laisse maladroitement tomber ses lunettes sur le gravier savamment ratissé d’un jardin de pierres. En tentant de les récupérer, il perd l’équilibre et s’écrase de tout son poids sur le gravier, réduisant à néant tous les efforts du moine-jardinier. Cette scène résume à elle seule tout l’humour ravageur de Kitano. Deux jeunes américains, assis comme moi sur le rebord de bois devant les pierres énigmatiques, tiraient des plans sur la comète. Qu’ils étaient ambitieux ! Et d’une naïveté... C’était effrayant la vie qu’ils voulaient mener, ces futurs requins de la finance.Nous n’étions qu’une poignée de visiteurs et, faute de bancs pour se reposer – surtout si vous aviez, comme moi, gravi avec peine le chemin qui mène du Pavillon d’Or au Ryôan-ji ! – reprendre des forces devant ces pierres patinées par le temps, y refaire le monde, peut-être est-ce la plus belle zen attitude qui soit? Mais ça manquait de cocktails...