jeudi 11 mars 2010

Un coq en pâte

Je me sentais si bien, si confiante dans ce fauteuil confortable, dans cette atmosphère douillette et raffinée, avec cette voix chaude, aimée, reconnaissable entre toutes qui me berçait, qu’au lieu de se laisser aller à la rêverie et à l’indolence, mon esprit s’est libéré. Il s’est mis à sauter du coq à l’âne, à faire flèche de tout bois. Une partie de moi buvait chaque parole de l’orateur et une autre... Une autre avait remarqué cet homme à la crinière blanche, qui ressemblait tant à celui qui évoquait les trésors affleurant du sol du Norfolk, les têtes de bronze du Royaume de Ife, l’Oba du Bénin et surtout la salle 1 du musée pour en dire autant de bien que moi il y a quelques jours. Il avait de beaux cheveux blancs, soyeux, comme ceux de Jorge Semprùn que je venais de voir sur France 2. Où sont passés Le Grand voyage et La montagne blanche ? Dans quel livre parle-t-il du « bleu Patinir » ? Ce bleu étrange a flotté devant mes yeux – il n’a rien à voir avec celui du ciel au-dessus du Musée National de Tokyo sur la photo - quand soudain le conférencier a sorti un mouchoir blanc anachronique, aussi grand qu’un voile de Véronique. C’était si incongru ce mouchoir, et sa façon habile de se moucher sans casser le fil de son récit... Ce carré de tissu blanc, comme celui dont se sert Mystag le magicien d’un film de Varda, m’a escamotée de mon fauteuil et me voilà enfant, repassant les mouchoirs que l’on empilait dans une armoire. J’ai même senti l’odeur du soleil marocain capturée dans leurs fibres. Il nous a raconté la détresse de ces riches romains, que les Légions, abandonnant l’Angleterre à son sort, laissaient aux abois. Fuyant devant les invasions Vikings et les pillages de brigands en tous genres, ils enterraient à la hâte leurs biens les plus précieux, à la grande joie des archéologues d’aujourd’hui. J’ai pensé à Tolstoï quittant Yasnaïa Poliana et écrivant à sa femme qu’il n’en pouvait plus de vivre dans « ces criminelles conditions de luxe ». En se détachant de ces gens devant réunir en un clin d’oeil leurs richesses, il a laissé entendre que la plus grande était intérieure. C’était une remarque en passant, peut-être même l’ai-je imaginée, mais qui dévoilait ses convictions intimes. Dans mon fauteuil je sentais mon capital s’accroître à vue d’oeil !

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