A ce moment-là, dzz-dzz, le vent se mit à souffler très fort ; dans la classe, les vitres des portes tintèrent ; derrière l’école, les châtaigniers et les chaumes de la montagne, toutes les plantes oscillèrent et prirent une étrange pâleur ; l’enfant dans la salle de classe eut comme un petit rire et parut remuer légèrement. De suite, Kasuke s’écria : « Ah ! J’ai compris ! Le nouveau, c’est Matasaburô, le Vent ! »
Matasaburo, le Fils du Vent de Kenji Miyazawa
Ces demoiselles butaient sur la traduction de : « Se transformer en Robinson Crusoë du XXIe siècle, c’est possible. Le naufrage en moins ». Outre le vocabulaire, c’est Robinson Crusoë qui les laissait perplexes. Qui cela pouvait-il bien être ? Et quel était le lien entre ce personnage au nom bizarre et un naufrage ? La mort dans l’âme, j’ai fini par évoquer Tom Hanks dans Castaway et quelqu’un a dit : « Ah, oui ! Forrest Gump ! » Et puis, brusquement, la classe se transforma en volière : tout en avançant dans la traduction, elles se demandaient leur âge d’un bout à l’autre de la salle. L’une d’entre elles avoua 21 ans – elle en faisait 16 se récrièrent ses camarades émerveillées. On la complimenta derechef sur son aspect juvénile et sa peau de pêche. Circulant de groupe en groupe, je réprimais mon envie de rire. C’était un brouhaha joyeux, plein d’énergie, studieux, comme je les aime et que je contrôlais. « Madame, Madame, on peut vous appeler Agnès ? » Jetant mon Bégaudeau aux orties, j’ai dit que oui, au contraire.
Après le cours, je suis allée prendre un thé. Le ciel était noir et le vent à décorner les boeufs. En l’espace de deux heures, je n’entendrais parler que de nerfs qui craquent, d’arrêts maladie, de stress, de tension, de démission et d’envie de tout envoyer balader. Il me restait encore 3h de cours, entre Un Coeur simple de Gustave Flaubert, Louis de Funès dans L’Aile ou la cuisse pour illustrer une discussion sur le bio, et moultes expressions idiomatiques telles que « être chocolat » et « faire chou blanc ».
Tandis qu’en début d’après-midi je me débattais avec Robinson Crusoë, 23h sonnaient chez lui. Je le voyais arriver au cinéma Toho de Roppongi Hills pour la soirée spéciale Kiyoshi Kurosawa en présence du réalisateur qui discuterait de ses nouveaux projets. Jusqu’à 7h du matin, salle 7, il verrait l’histoire de Saburô Takada, un petit citadin qui échoue dans un village perdu et qu’on prend pour le génie du Vent. Puis l’histoire d’un inconnu (Tadanobu Asano) allant de ville en ville pour y disséminer l’amour, et celle de Miyashita qui veut se venger de la mort de sa fille, et puis encore celle de l’inspecteur de police Yabuike, qui après une prise d'otage ratée s’exile dans une forêt où se trouve un arbre maléfique.
Je pourrais m’affliger de ce décalage, mais au contraire je m’en félicite et je trouve que le monde est bien fait. Savoir qu’une autre vie est possible et que certains connaissent des moments et des expériences hors de ma portée dont une seule seconde me comblerait : c’est là que je puise toute mon énergie.
Tandis qu’en début d’après-midi je me débattais avec Robinson Crusoë, 23h sonnaient chez lui. Je le voyais arriver au cinéma Toho de Roppongi Hills pour la soirée spéciale Kiyoshi Kurosawa en présence du réalisateur qui discuterait de ses nouveaux projets. Jusqu’à 7h du matin, salle 7, il verrait l’histoire de Saburô Takada, un petit citadin qui échoue dans un village perdu et qu’on prend pour le génie du Vent. Puis l’histoire d’un inconnu (Tadanobu Asano) allant de ville en ville pour y disséminer l’amour, et celle de Miyashita qui veut se venger de la mort de sa fille, et puis encore celle de l’inspecteur de police Yabuike, qui après une prise d'otage ratée s’exile dans une forêt où se trouve un arbre maléfique.
Je pourrais m’affliger de ce décalage, mais au contraire je m’en félicite et je trouve que le monde est bien fait. Savoir qu’une autre vie est possible et que certains connaissent des moments et des expériences hors de ma portée dont une seule seconde me comblerait : c’est là que je puise toute mon énergie.
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