samedi 3 octobre 2009

Transports parisiens

Il m’arrive en effet, comme le calife qui parcourait Bagdad pris pour un simple marchand, de condescendre à suivre quelque curieuse petite personne dont la silhouette m’aura amusé... Pour ne pas perdre sa piste... je saute comme un petit professeur, comme un jeune et beau médecin, dans le même tramway que la petite personne... Si elle change de tramway, je prends, avec peut-être les microbes de la peste, la chose incroyable appelée «correspondance», un numéro, et qui, bien qu’on le remette à moi, n’est pas toujours le n° 1! (...) Je m’échoue parfois à onze heures du soir à la gare d’Orléans, et il faut revenir! Si encore ce n’était que de la gare d’Orléans! Mais une fois... je suis allé jusqu’à Orléans même, dans un de ces affreux wagons où on a comme vue... la photographie des principaux chefs-d’oeuvre d’architecture du réseau... j’avais en face de moi, comme monument historique, une «vue» de la cathédrale d’Orléans, qui est la plus laide de France, et aussi fatigante à regarder ainsi malgré moi que si on m’avait forcé d’en fixer les tours dans la boule de verre de ces porte-plume optiques qui donnent des ophtalmies. Je descendis aux Aubrais en même temps que ma jeune personne qu’hélas, sa famille... attendait sur le quai! Je n’eus pour consolation, en attendant le train qui me ramènerait à Paris, que la maison de Diane de Poitiers. Elle a eu beau charmer un de mes ancêtres royaux, j’eusse préféré une beauté plus vivante. C’est pour cela, pour remédier à l’ennui de ces retours seul, que j’aimerais assez connaître un garçon des wagons-lits, un conducteur d’omnibus.

M. de Charlus
A la recherche du Temps perdu de Marcel Proust
La chose incroyable appelée « correspondance »... c’est à se tordre de rire ! Moi, je n’ai peur d’attraper ni les microbes de la peste ni ceux de la grippe A dans les autobus parisiens dans lesquels je « saute comme une petite professeure » (mais pas pour les mêmes raisons que M. de Charlus !)
Une chose qui me sidère c’est ma connaissance instinctive de leur réseau, alors que je n’ai jamais vécu à Paris. J’ai pu m’en rendre compte dernièrement quand, en sortant du musée du Quai Branly et voulant aller Gare du Nord, me trouvant dans un endroit où je n’avais jamais mis les pieds auparavant, je me suis dirigée tout droit vers l’arrêt du bus 42 dont le terminus est gare du Nord. Comment savais-je qu’en traversant le pont de l’Alma le bus qu’il me fallait passerait précisément à cet endroit-là ?
Je crois que c’est Tokyo qui m’a appris à me repérer aussi bien dans une ville étrangère : les plans y étant si difficiles à déchiffrer, il faut être à l’affût du moindre signe pour trouver sa direction. Dans la jungle amazonienne, je me vois me frayant un chemin guidée par les cris des perroquets et des singes... Heu, moi, dans la forêt amazonienne ? je dois être encore « légèrement sous l’influence de Bacchus » (une locution favorite du duc de Guermantes) pour imaginer cela !

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