dimanche 11 octobre 2009

Que de tableaux, sacredié!

Enfin, (...) on arriva au Louvre. (...) C'était très grand, on pouvait se perdre; (...) Et, lentement, les couples avançaient, le menton levé, les paupières battantes, entre les colosses de pierre, les dieux de marbre noir muets dans leur raideur hiératique, les bêtes monstrueuses, moitié chattes et moitié femmes, avec des figures mortes, le nez aminci, les lèvres gonflées. Ils trouvaient tout ça très vilain. (...) Ce fut avec un grand respect, marchant le plus doucement possible, qu'ils entrèrent dans la galerie française. Alors, sans s'arrêter, les yeux emplis de l'or des cadres, il suivirent l'enfilade des petits salons, regardant passer les images, trop nombreuses pour être bien vues. Il aurait fallu une heure devant chacune, si l'on avait voulu comprendre. Que de tableaux, sacredié! ça ne finissait pas. Il devait y en avoir pour de l'argent. (...) Gervaise demanda le sujet des Noces de Cana; c'était bête de ne pas écrire les sujets sur les cadres. (...) [Madame Lorilleux] s'intéressait à la maîtresse du Titien, dont elle trouvait la chevelure jaune pareille à la sienne. (...) Encore des tableaux, toujours des tableaux, des saints, des hommes et des femmes avec des figures qu'on ne comprenait pas, des paysages tout noirs, des bêtes devenues jaunes, une débandade de gens et de choses dont le violent tapage de couleurs commençait à leur causer un gros mal de tête. (...) Des siècles d'art passaient devant leur ignorance ahurie, la sécheresse fine des primitifs, les splendeurs des Vénitiens, la vie grasse et belle de lumière des Hollandais.

L'Assommoir d'Emile Zola
« On ne devrait pas être dans un musée plus d'une demi-heure. Mais chaque fois pour ne voir qu'un ouvrage » aurait conseillé à Gervaise, Coupeau et aux invités de leurs noces, Umberto Eco (ici). « Sinon, comme Paul Valéry, on court le risque d'être saisi par un sentiment d' horreur sacrée ».

Une autre de ses idées aurait plu aux personnages de L’Assommoir : «Un musée avec un bar signifie, selon mon principe, qu'on peut faire une pause et donc voir non plus une mais deux œuvres par visite.» Peut-être, dans leur cas, la pause aurait été un peu trop longue !

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