jeudi 16 juillet 2009

Un poisson rouge sur la place Meydan-e Shah

L’arbre chargé de fruits sait les mettre à portée des mains des passants

Proverbe persan
Le soleil se couchait à Ispahan, en Iran. Bientôt les réverbères allaient s’allumer sur l’immense Meydān-e Shah, la « place du roi » qui, avant Shah Abbas au XVIe siècle, s’appelait Naghsh-e Jahān ou « Carte du monde » (quel joli nom pour une place !). Lui, il était là, au beau milieu de la place, et il parlait d’un ton assuré des bâtiments qui la délimitaient : un palais à l’ouest, deux mosquées au sud et à l’est, le bazar.
Et j’ai pensé au voyage de Chanel en Italie avec le couple Misia et José Maria Sert. Le portrait du peintre que fait Chanel correspond mot pour mot à mon voyageur avec qui je partirais bien faire le tour du monde:

José Maria Sert était le compagnon de voyage idéal : toujours de bonne humeur, cicérone d’une érudition baroque et prodigieuse. Il m’emmenait à travers les musées, comme un faune à travers une forêt familière. Jojo savait tout, le catalogue des tableaux de Boltraffion, les itinéraires d’Antonello de Messine, la vie des saints, ce que Dürer avait gravé à 14 ans, quel vernis employait Annibal Carrache ; il pouvait disserter des heures sur l’emploi de la laque de garance chez Tintoret.

L’Allure de Chanel de Paul Morand
Le soleil couchant se devinait aux reflets rose-orangé de l'image. Il était tout à son récit que portait son anglais aristocratique... ce fameux Queen’s English qu’on essaye de nous inculquer à coups de cours de phonétique et d’enregistrements de la BBC. Il faut l’entendre prononcer le nom de Nabuchodonozor - Nebuchadnezzar en anglais... Dans sa bouche cela donne « Nebzar ». Il parle couramment français mais il a une façon de dire Voltaire et Encyclopédie, en essayant héroïquement de tenir à distance sa tenace langue maternelle, qui me ravit. C’est un conteur né et il pourrait tenir un halca (cercle de spectateurs) en haleine place Jamaâ El Fna à Marrakech que décrit si bien Juan Goytisolo (ici). Ou bien on pourrait l’imaginer éleveur de chevaux dans le Hertfordshire, faisant le tour du propriétaire dans les brumes du petit matin.Ce que j’aime c’est qu’il ne la ramène pas, qu’il ait un sens de l’humour et de l’auto-dérision très développé. C’est une de ces personnes charismatiques qui vous charment instantanément, sans rien faire, et qui vous transmettent leur énergie seulement en étant là, comme par osmose...
Alors bien sûr, arrivé au bout de ce billet on peut s'imaginer un coup de théâtre où on découvrirait que je ne parle pas d’un homme mais de mon poisson rouge, de mon portable ou d’un baba au rhum. Mais non... Et je ne sais pas si j’ai le coeur aussi grand que la Meydān-e Shah ou que la Jamaâ El Fna, mais ce qui est sûr c’est qu’il y tient une grande place.

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