mardi 28 juillet 2009

Bergson et j'ai ouvert

Quel est l'objet de l'art ? Si la réalité venait frapper directement nos sens et notre conscience, si nous pouvions entrer en communication immédiate avec les choses et avec nous-mêmes, je crois bien que l'art serait inutile, ou plutôt que nous serions tous artistes, car notre âme vibrerait alors continuellement à l'unisson de la nature. Nos yeux, aidés de notre mémoire, découperaient dans l'espace et fixeraient dans le temps des tableaux inimitables. Notre regard saisirait au passage, sculptés dans le marbre vivant du corps humain, des fragments de statue aussi beaux que ceux de la statuaire antique. Nous entendrions chanter au fond de nos âmes, comme une musique quelquefois gaie, plus souvent plaintive, toujours originale, la mélodie ininterrompue de notre vie intérieure. Entre nous et notre propre conscience, un voile s'interpose, voile épais pour le commun des hommes, voile léger, presque transparent, pour l'artiste et le poète. Quelle fée a tissé ce voile ? Il fallait vivre, et la vie exige que nous appréhendions les choses dans le rapport qu'elles ont à nos besoins. Enfin, pour tout dire, nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles.
Henri Bergson
Nebamun, un riche notable du Temple d'Amun à Karnak, mourut en 1350 avant J.-C. Ces fresques proviennent des murs de sa tombe dont on ignore l’emplacement. (ici) L’artiste l’a représenté dans ses activités quotidiennes mais il est impossible de dire si celles-ci ont lieu ici-bas ou dans l’au-delà. Cette tension entre ces deux mondes nous renvoie à notre propre mortalité. On aurait bien envie nous aussi d’une tombe où l’on viendrait célébrer notre vie, une sorte d’installation avec des photos, des films, des extraits de lettres... Le seul fait de l'envisager nous ragaillardit et la reporte d'office aux calendes... grecques!

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