lundi 27 juillet 2009

La femme qui dort

Le premier aspect du sommeil est cette immobilité non tendue, un consentement à la pesanteur. Lorsque l’on s’est mis dans cette situation et que l’on est en quelque sorte répandu sur une surface bien unie, quand ce serait la terre ou une planche, on ne sait pas longtemps qu’on y est. Aussitôt, par cette immobilité même, par cette indolence, par cette espèce de résolution que nous prenons de ne lever même pas un doigt sans impérieux motif, les choses cessent d’avoir un sens, une position, une forme; le monde revient au chaos; d’où souvent des erreurs ridicules, qui marquent un réveil d’un petit moment. Mais la venue du sommeil est surtout sensible par ceci que je ne réfléchis pas sur ces erreurs. Ce triangle du ciel m’a paru être un chapeau bleu; mais cette sotte pensée annonce le réveil.
Alain (1868-1951)
Cette Romaine dort, d’un sommeil de plusieurs siècles, au vu et au su des visiteurs du British Museum, entre deux poteries éméchées. Elle semble dans un tel abandon, un tel contentement, que je l’envie.
J’imagine qu’elle fait la sieste dans sa « villa des Laurentes, située à dix-sept mille pas de Rome », alanguie sur une couche de sa « belle salle à manger qui s'avance sur la plage, et que les vagues, quand la mer est soulevée par le vent d'Afrique viennent, de leurs flots brisés déjà et mourants, baigner doucement. » (Pline le Jeune)
Quand elle se réveillera elle ira sans doute piocher dans son « armoire qui [lui] sert de bibliothèque » un de ces livres « qu'on relit souvent ». Au théâtre à Rome peut-être a-t-elle vu une représentation d’Hippolythus d’Euripide alors elle a dû relire, dans Les Héroïdes d’ Ovide, la lettre que Phèdre envoie au « fils de l’Amazone » :

C'est quelque chose que de cueillir à pleines mains des fruits dans un verger ; que de détacher d'un doigt délicat la rose qui vient d'éclore. Oui, si Junon m'offrait le dieu, son frère et son époux, il me semble qu'à Jupiter je préférerais Hippolyte. Déjà même, pourras-tu le croire ? je suis entraînée vers un art jusqu'alors inconnu pour moi ; je veux, d'une course rapide, suivre aussi les bêtes fauves ; tes goûts sont devenus ma loi. Je voudrais parcourir l'étendue des forêts, presser le cerf dans les toiles, exciter, sur la cime des monts, l'ardeur d'une meute ; je voudrais, d'un bras vigoureux, lancer le javelot tremblant, ou reposer mon corps sur un frais gazon. Moi seule je connais l'amour secret qui me brûle. (ici)

Si je l’avais pu, c’est vers les épigrammes décapants du sulfureux Martial (ici), le poète si irrévérencieux originaire de l’auguste Bilbilis en Espagne et dont tout Rome a le nom sur les lèvres, que j’aurais guidé sa main à son réveil. Ce « joyeux convive », ce « commensal aimable » serait parfait pour une soirée d’été. Mais pour l’instant, laissons-la rêver à jamais au bel Hippolythe, sur sa confortable couche, entre deux poteries, dans une vitrine du British Museum.

2 commentaires:

asiemutée a dit…

De grâce, que jamais elle ne se réveille, la vie est si petite et le rêve est si grand !!
Je te souhaite un bon début de semaine Agnès et quelques doux rayons de soleil !!

Agnès a dit…

Merci! A toi aussi... mais aujourd'hui c'est le vrai deluge non stop ici... et j'ai paume mon parapluie. Je vais devoir passer entre les gouttes. On dit que demain c'est le grand soleil...