lundi 27 décembre 2010

Histoire d'une passion

Il y a un an, j’étais à Paris. Un après-midi, par curiosité, je suis entrée à l’église Saint Merri, dans le quartier des Halles. Dès mon retour à Londres, j'ai cherché à en savoir plus sur cet endroit. C’est ainsi que je suis tombée sur un délectable ouvrage, publié en 1830: Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu’à nos jours, dont l’auteur est Jacques-Benjamin Saint-Victor.
Au chapitre consacré à l’église en question j’ai lu qu’un certain Jean de Ganay « premier président au parlement, puis chancelier, mort en 1512 », conseiller de Charles VIII et de Louis XII, y avait été inhumé. D’autres recherches m’apprirent qu’il avait été l’ami de Guillaume Budé (1467-1540) qu’Erasme surnommait « le prodige de la France », qui fonda le Collège de France, que François Ier nomma Maître de la Librairie du Roy. En lisant sur sa vie je rencontrais d’autres personnages de l’époque : des érudits comme Thomas More ; un cardinal conservateur de la Bibliothèque Saint-Marc à Venise ; un écrivain envoyé au bûcher pour hérésie ; et d’illustres imprimeurs vénitiens. Ne dit-on pas : « Quel grand roman que l’Histoire ? »Alors pourquoi m’arrêter en si bon chemin ? J’ai fait subir le même sort à l’église Saint-Gervais Saint-Protais et Saint Paul (ci-dessus), dans le Marais. Chemin faisant, ce sont les sculpteurs, les architectes, les graveurs, bref, les maîtres d’oeuvre de ces églises qui m’ont attirée tels que Salomon de Brosse, Jacques Androuet du Cerceau - en mars, le Musée du Patrimoine soutint ma passion naissante avec une exposition sur cet architecte - et Nicolas Pinaigrier la « figure de proue du vitrail parisien » au XVIe siècle. Fatalement, je devais rencontrer Germain Pilon (1528-1590), un des favoris des rois pour l’exécution de leur tombeau – ci-dessus une Pietà qu’il réalisa pour Catherine de Médicis et que l’on peut voir à l’église Saint-Paul dans le Marais - et son ami Barthélemy Prieur (1536-1611), sculpteur lui aussi, ainsi que François Anguier (1604-1669).
Quand arrivèrent les vacances de pâques, je ne pouvais que me précipiter au Louvre, dans la partie consacrée aux sculptures, que je n’avais jamais visitée. J’y retrouvais tous ceux sur qui j’avais passé tous mes loisirs pendant l’hiver à lire en long et en large : Philippe de Commynes (1445-1511) par exemple, ici en compagnie de sa femme Hélène de Chambres, « homme politique, chroniqueur, mémorialiste », familier du tyrannique Charles le Téméraire, passé dans le camp de Louis XI, « enfermé dans une cage de fer » à la mort du roi... Que c'est croustillant!
Ou bien Philippe Chabot (1492-1543), comte de Brion et Amiral de France, favori de François Ier avec qui il est fait prisonnier à Pavie, qui permit au navigateur Jacques Cartier de poursuivre son exploration de l’Amérique... Qui est l’auteur de ce gisant en albâtre « l'un des chefs-d'œuvre de la sculpture de la Renaissance en France », le saura-t-on un jour ?
La plupart de ces oeuvres proviennent d’églises détruites à la Révolution. Elles étaient entreposées dans d’autres musées avant d’atterrir au Louvre. Par exemple, du monument de Christophe de Thou (1508-1582), premier président du parlement, conseiller d’Henri II, Charles IX et d’Henri III, « commandé par Jacques-Auguste de Thou à Barthélemy Prieur en 1585 » ne demeurent que le buste, les statues de la Justice et de la Prudence, ainsi que deux « génies de bronze imités des figures de Michel-Ange du tombeau des Médicis à Florence.» La prestigieuse famille de Thou possédait une chapelle dans l’église de Saint-André-des-Arcs (aujourd’hui disparue) à qui Armand Arouet, le frère de Voltaire, avait fait don d’un médaillon en marbre représentant Saint André. Outre Christophe de Thou, dans cette chapelle étaient inhumés son fils, Jacques-Auguste (1553-1617) et les deux femmes successives de celui-ci : Marie de Barbançon Cani et Gasparde de La Châtre. Ci-dessus sa statue sur la façade de l’Hôtel de Ville de Paris.C’est ainsi que le Tableau historique et pittoresque décrit le tombeau de « Jacques-Auguste de Thou, président à mortier au parlement de Paris, historien célèbre » : Au bas de la décoration et sur une tombe ornée d'un bas-relief en bronze, est la statue du président. Il est représenté à genoux devant un prie-dieu, revêtu d'un grand manteau fourré d'hermine. Le bas-relief présente plusieurs figures allégoriques, entre lesquelles on distingue la Justice et la muse de l'histoire transmettant le nom de Jacques-Auguste de Thou à la postérité. Toute cette sculpture, exécutée par François Anguier, est d'un bon faire, et peut être comptée parmi les meilleurs ouvrages de cet artiste. (...) Les statues de ces deux dames (...) sont placées sur deux piédestaux en avant du monument de leur époux. Ces sculptures sont également dignes d'éloges, tant pour la pose que pour l'exécution.
C’est ainsi que je le vis moi-même, mon imagination reconstituant les morceaux manquants, la larme à l’oeil, avec l’impression d’être devenue la troisième veuve éplorée de Jacques-Auguste ! Avant de voir en vrai son tombeau au Louvre, j’en savais d’avantage sur lui: qu’il avait servi sous les règnes d’Henri III et de Henri IV, et que ce dernier l’avait nommé « grand maître de la Librairie du Roi », digne successeur de l’illustre Guillaume Budé. Il avait enrichi la bibliothèque de son père et la sienne était célèbre « ouverte aux étudiants et aux étrangers. » On dit qu’elle contenait 12729 volumes et qu’elle « fut dispersée en 1789 ». J’aimerais tourner les pages d’un livre ayant appartenu à la bibliothèque de Jacques-Auguste de Thou... Je ne me lasse pas de lire ses Mémoires où il raconte la mort du Duc de Guise, les troubles de la Ligue, la Saint-Barthélemy, ses entretiens avec Henri III et Michel de Montaigne, son amitié pour Pierre de Ronsard, ses voyages en Italie (il visita le lieu où François Ier avait été fait prisonnier), ses séjours à Tours, la guerre contre l’Espagne aux côtés de Henri IV jusqu’à la paix définitive en 1598... j’en passe et des meilleures... Jamais je n’ai lu de livre aussi captivant qui me rende l’histoire si proche, si réelle. J’ai l’impression que je suis dans la pièce quand de Thou prend congé de Henri III au château de Blois, quelques heures avant la mort du duc de Guise. C’est du 3D avant la lettre !Certains passages me font rêver, comme la fois où, pendant la campagne de guerre contre l’Espagne et attendant la venue de Henri IV en Anjou, il est logé « à Chinon dans une grande maison, qui autrefois avait appartenu à François Rabelais, Médecin célèbre (...). II soutenait que la raillerie était le propre de l'homme, (...) s'abandonnant à son génie, il avait composé un Livre très spirituel, où avec une liberté de Démocrite, & une plaisanterie outrée, il divertit ses Lecteurs sous des noms empruntés, par le ridicule qu'il donne à tous les états de la vie, & à toutes les conditions du Royaume. La mémoire d'un homme si agréable, qui avait employé toute sa vie & toutes ses études à inspirer la joie, donna lieu au Président de Thou & à Calignon, de plaisanter avec ses Mânes sur ce que sa Maison était devenue une Hôtellerie, où l'on faisait une débauche continuelle, son Jardin, le rendez-vous des Habitants les jours de Fêtes, le Cabinet de ses Livres qui donne dessus, un Cellier pour mettre du Vin. » La maison de Rabelais, devenue musée, je l’ai visitée il y a quelques années.
Je suis consciente que tout cela ne passionne que moi, mais je ne voulais pas terminer l’année 2010 sans évoquer Jacques-Auguste de Thou, le hasard qui me l’a fait rencontrer et les passions joyeuses qu’il m’a inspirées. La muse de l’histoire, en gravant son nom pour la postérité sur ses tablettes, a bien réussi son coup !

5 commentaires:

n a dit…

Mais non mais non ça ne passionne pas que toi.
Et des livres provenant de la bibliothèque de de Thou, j'en ai déjà vu passer, comme quoi ça se trouve (même si c'est un peu cher) !

n a dit…

Thou se trouve...
Ahem.

Agnès a dit…

Thou s'achete et Thou se vend ! J'aime bien ta phrase "j'en ai deja vu passer".

Sylvia a dit…

Bonjour Agnès, je crois que N as raison! Vas-y!

Agnes a dit…

Sylvia, vas-y ou?