mercredi 8 décembre 2010

La forme trompeuse d’un cerf

En levant la tête ce jour-là, j’ai cru voir un cerf dans les nuages. J’ai aussitôt pensé à la légende d’Actéon et aux tableaux du Titien à la National Gallery. J’adore cette histoire et voici ce qu'en disent Les Métamorphoses d’Ovide:Là s'étendait une vallée ombragée de pins et de cyprès à la cime aiguë : Gargaphie est le nom de ce lieu, cher à Diane chasseresse ; au fond de ce vallon, et dans la sombre épaisseur du bois, s'ouvrait un antre où la main de l'art ne pénétra jamais (...). A droite murmure une source dont les eaux limpides coulent dans un lit peu profond, entre deux rives verdoyantes ; c'est là que la déesse des forêts, épuisée par les fatigues de la chasse, aimait à répandre une onde pure sur ses chastes attraits. Tout à coup [Actéon], qui, après avoir interrompu sa chasse, promenait au hasard ses pas incertains dans ce bois inconnu, arrive jusqu'à l'antre où le guide sa destinée. A peine est-il entré dans la grotte où cette fontaine répand une fraîche rosée, que les Nymphes, honteuses de leur nudité à la vue d'un homme, se frappent le sein, remplissent la forêt de hurlements soudains, et, pressées autour de Diane, lui font un voile de leur corps ; mais la déesse, plus grande qu'elles, les dominait encore de toute la tête. Comme on voit un nuage placé vis-à-vis du soleil, et frappé de ses rayons, se nuancer de mille couleurs, comme brille la pourpre de l'aurore ; ainsi rougit Diane lorsqu'elle se vit exposée toute nue aux regards d'un homme. (...) Que n'a-t-elle ses flèches toutes prêtes ! Du moins elle s'arme de l'eau qui coule sous ses yeux, la jette au visage d'Actéon, et, répandant sur ses cheveux ces ondes vengeresses, elle ajoute ces mots, présage d'un malheur prochain : «Maintenant, va oublier que Diane a paru sans voile à tes yeux ; si tu le peux, j'y consens».
Là finit sa menace, et, sur la tête ruisselante d'Actéon, elle fait naître le bois d'un cerf vivace, allonge son cou, termine ses oreilles en pointe, change ses mains en pieds, ses bras en jambes effilées, couvre son corps d'une peau tachetée, et jette dans son âme une vive frayeur. Le héros prend la fuite et s'étonne lui-même de la rapidité de sa course. A peine a-t-il vu l'image de ses cornes dans les eaux où il avait coutume de se mirer : Malheureux ! veut-il s'écrier ; mais il n'a plus de voix, et ses gémissements lui tiennent lieu de paroles ; des pleurs coulent sur son visage, hélas ! jadis humain ; dans son malheur, il ne lui reste que la raison. Quel parti prendre ? doit-il rentrer dans le royal palais, son ancienne demeure, ou se cacher au fond des forêts ? La crainte l'arrête d'un côté, et la honte de l'autre ; tandis qu'il délibère, ses chiens l'ont aperçu (...). Les chiens, l'entourant de tous côtés, plongent leurs dents dans les membres de leur maître, caché sous la forme trompeuse d'un cerf, et les mettent en lambeaux. Ce ne fut qu'en exhalant sa vie par ses nombreuses blessures qu'il assouvit, dit-on, le courroux de la déesse qui porte le carquois.

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