A Calais, un groupe de femmes monte dans le train (elles sont vendeuses dans une boutique et se rendent au séminaire Carroll à Paris). « Les gens ne sont pas à leur place ! » s’énerve l’une d’elles, dépitée : comme une volée de moineaux, ceux qui se sentent visés se lèvent.
A mon grand plaisir la rame se transforment en volière. Elles s’échangent des anecdotes sur leurs magasins respectifs. Leur quotidien m’enchante. Je suis tout ouïes : véritable bain de jouvence pour mes oreilles engourdies. Enfin ! du vrai français avec d’authentiques sujets de conversations français dedans, porté jusqu’à moi par des voix françaises musicales dont je capte toutes les subtilités... J’ai l’impression d’avoir été sourde jusque-là et que les gens que je croise, et à qui je chipe des bribes de conversations, s’expriment comme dans un film !
Un garçon à la voix douce, dans le train qui entre en gare de Tours et qui chuchote à son portable: « Il y a des choses qui ne se disent pas » et « ma tante et mes cousines disent que tu nous as zappés ».
Tous ces gens qui s’épanchent dans leur portable au sujet de leur travail... Toujours les mêmes préoccupations qui reviennent en boucle (inimitiés entre collègues, horaires abrutissants, réunions interminables, clients casse-pieds) : je me jure, à l’avenir, de bannir ces sujets de ma conversation - tout en sachant que c’est un voeux pieux.
Vue d’Indre-et-Loire, ma vie londonienne m’apparaît soudain bohême, une vie de cigale qui n'est pas ancrée dans la vie réelle. Etonnant comme je l’ai mise volontiers en sourdine pour pouvoir assumer les rôles de fille, de nièce, de cousine, de belle-fille, de soeur... Je m’oublie et tous les livres et les disques que j’achète c’est pour quelqu’un d’autre, pour ailleurs, pas pour ici : d'ailleurs je ne pourrai ouvrir l'un de ces livres qu’en repartant pour Londres.
Parfois, quand je me retrouve seule, ce qui a été très rare, mon coeur se serre, je me sens aux extrémités de mon être, presque au point de non retour... J’aperçois dans une librairie une affiche qui lance le concours de l’autoportrait. Peut-être c’est ma voix qui me représente le plus : une inconnue me dira que j’ai un accent anglais quand je parle français. Personne de ma famille ne m’en a fait encore la remarque.
Je préfère n'être personne que moi-même, jouer avec mon "soi" qu'avec mon "moi", pour reprendre la formule de Jouvet. Je ne m'intéresse qu'à une chose : exprimer de petites choses qui me touchent, et partager un moment de vie intense avec une équipe. Faire des rencontres humaines. Ce qui me plaît, c'est que la réussite d'un film soit celle d'une collectivité. Vivre l'instant. Trouver des frères et des soeurs de jeu. Le reste a peu d'intérêt. Il faut disparaître. Le rôle s'en va, comme une vieille peau, une mue. Je préfère laisser des traces que des preuves.
Florence Loiret-Caille, Le Monde, 17.09.08
2 commentaires:
Qui est-on réellement Agnès entre ce que l'on donne comme image de soi à certains... et pas à d'autres... ou plus exactement que l'on croit donner de soi... et celle qu'ils perçoivent... et celle qu'ils nous renvoient...
Vous n'auriez pas comme un peu le mal du pays parce que écrire ça: "... du vrai français avec d’authentiques sujets de conversations français dedans..." je reste un peu perplexe :-)mais il est vrai que je n'ai jamais vécu très longtemps hors de mon pays
Je pense neanmoins qu'il y a un "noyau dur" qui nous represente vraiment, mais tout le reste n'est qu'ondoiement et reflets.
Oh non, ce n'est pas le mal du pays! De plus j'ai tres peu vecu en France! Je suis une Tourangelle d'adoption. C'est seulement que je n'entends parler que du francais un peu anglicise, par des etudiants ou des gens qui vivent ici depuis des lustres. ca fait du bien d'entendre parler francais en France quelque soit l'accent d'ailleurs. Et surtout ce dont parle les Francais - je veux dire les gens qui vivent en France! - me fascine! En "live" et pas par radio interposee... Et aussi le fait de tout comprendre, ou de preter attention a tout ce qui se dit - ici j'ai parfois l'impression d'entendre malgre moi (les gens qui hurlent dans le bus ou la rue!).
Merci de vos petits messages!
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