Hier soir j’ai vu Linha de Passe de Walter Salles que j’ai beaucoup aimé. C’est un film sur la vie comme elle est. Certes, il représente une dure réalité brésilienne, mais à la hauteur de sentiments humains donc universels. Ce qui m’a bouleversée ce sont les multiples plans de mains : elles battent dans l’air comme des ailes de papillon ou d’oiseau, elles nettoient, elles frottent, elles plongent dans l’eau sale d’un évier, elles caressent ou griffent les visages et les corps, elles boxent, elles baptisent, elles implorent Dieu, elles tournent des volants, elles imitent les battements de coeur... Aux plans de mains correspondent ceux de pieds et de jambes : les coups de pieds du bébé dans le ventre de la mère, les tirs au but du footballeur en herbe, la jambe brisée du motocycliste, les jambes paralysées de l’infirme et celles que l’on prend à son cou pour s’échapper. Les derniers mots du film sont d’ailleurs « marche marche marche ». Le film se passe à Sao Paulo. Je me souviens d’une prof de géo qui adorait le Brésil et qui prononçait le nom à la brésilienne « San Pao », ce qui ne lassait de faire rire les bécassines et bécassons que nous étions. Dois-je le souligner, mais Plastic City de Yu Lik wai se passe aussi à Sao Paulo et ce serait intéressant de comparer les deux visions de la ville.
Pero Vaz de Caminha était l'écrivain du voyage de Pedro Alvares Cabral, le «découvreur» du Brésil. Caminha est séduit par la vision édénique de ce nouveau pays, quand il aborde ses côtes, en avril 1500. La première chose que font les Portugais en posant le pied sur la terre du Brésil, c'est de couper un arbre afin de faire une croix. Avant de repartir au Portugal, les hommes de Cabral laissent derrière eux un forçat avec les Indiens, et celui-ci se débat, crie qu'il ne veut pas rester dans ce territoire, qu'il veut revenir au Portugal, même s'il doit pour cela retourner en prison. Par contre, deux jeunes marins portugais, cette nuit-là, plongent dans la mer pour revenir vers le rivage. Ils sont les premiers à choisir le Brésil... Ce récit donne l'image de ce que sera le pays: peuplé à la fois de Portugais qui ne songent, comme le forçat, qu'à retourner chez eux, et d'immigrants qui, comme les deux jeunes marins, sont venus ici se refaire une vie. Cette opposition a perduré jusqu'à aujourd'hui.
São Paulo « est un véritable melting-pot noyé dans la violence et une vie âpre. Venus de tous les horizons, les jeunes sont comme mes héros. Ils tentent de se réinventer tout en étant confrontés à la misère et à une géographie très dense. J’ai donc voulu évoquer cette jeunesse avec urgence et fraîcheur. D’ailleurs le titre (en français: La Ligne de passe) est le nom d’un jeu de football qui se pratique dans un espace très réduit où quatre ou cinq joueurs doivent se passer le ballon sans le faire tomber. S’il tombe, le joueur est éliminé… Comme dans la vie ! »
Le poète brésilien Augusto Campos, né en 1931 à Sao Paulo, a calligraphié le mot luxo, "luxe" en français, sur un pliage. A l'intérieur, une lettre change, laissant apparaître le mot lixo, "poubelle". Sao Paulo incarne au plus près la terre de contraste sud-américaine. La "ville hospitalière", comme elle se définit, se targue d'abriter 900 000 citoyens d'origine japonaise, et près de 3 millions de descendants d'Italiens. Sao Paulo est, selon les géographes, "une mer de collines", totalement ondulée.
Véronique Mortaigne, Le Monde, 03.02.06
Quand vous roulez en voiture dans la campagne européenne, vous pouvez très bien reconnaître les lieux que vous avez découverts dix ans plus tôt. Au Brésil, c'est presque toujours impossible. C'est un pays en mouvement, la dernière frontière de cette planète.
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